L’ « Occident » et sa « guerre au terrorisme » : traitement des symptômes, mais pas des causes de la maladie (2)

 

Lisez la première partie de cet article

 

 

L’extrémisme violent est défini par le gouvernement australien comme « croyances et les actions de personnes qui soutiennent ou utilisent la violence pour atteindre des objectifs idéologiques, religieux ou politiques. » La définition d’autres gouvernements impliqués dans des guerres d’agression contre des pays musulmans serait la même. Les contradictions doivent surgir d’emblée à l’esprit des musulmans, mais pas seulement : Est-ce qu’attaquer d’autres pays en contravention du droit international fait partie de vos valeurs fondamentales ou partagées ? En Irak ou en Libye, n’avaient vous pas utilisé la violence pour parvenir à une fin politique ? En Syrie ne soutenez-vous pas des groupes extrêmement violents pour atteindre des buts politiques ? Votre propre définition de l’ « extrémisme violent » ne s’applique-t-elle pas de fait à vous-mêmes ? Vos principes et valeurs ne sont-ils destinés qu’à usage interne ?

Ces contradictions ne semblent pas évidentes aux yeux des bureaucrates, des universitaires et experts de l’anti-terrorisme qui élaborent des programmes de « déradicalisation » : si elles sont évidentes ils choisissent de les ignorer sauf comme références notionnelles. Toutes les causes de l’« extrémisme violent » sont examinées sauf celle qui doit être considérée comme la plus cruciale, le massacre de musulmans à grande échelle au cours de la vague récente des guerres « occidentales ». Ce refus d’accepter ce qui est sans doute la cause centrale de la riposte musulmane violente est probablement la raison pour laquelle on considère que ces programmes ont failli.

Le gouvernement australien finance des programmes universitaires de « déradicalisation », il donne de l’argent à des clubs de football, des conseils municipaux et à des organismes communautaires, mais tant qu’il ne prendra pas en compte les origines « occidentales » de la violence au Moyen-Orient et ailleurs, et tant que les gouvernements « occidentaux » refuseront de se conformer aux exigences du droit international, ces programmes n’aideront aucunement à éliminer la réponse terroriste à leur propre violence extrême.

Dans un excellent exposé mis en ligne sur le site de la London Review of Books, Karma Nabulsi souligne les idées fausses du « Prevent » Program (programme de prévention) britannique. Elle y décrit un état d’esprit gouvernemental proche de la paranoïa, et les soupçons et l’islamophobie engendrés par les gouvernements dans l’esprit des gens qui peinent à comprendre ce qui se passe.

Les étudiants musulmans à l’université et même les élèves d’école primaire, sont soumis à une surveillance généralisée par les services de sécurité, la police, les médecins, les opticiens, les enseignants, les conférenciers universitaires, toute personne entrant en contact avec eux. Ces derniers sont légalement tenus de remplir des déclarations « d’évaluation des risques » et de donner des exemples concrets de la façon dont ils sont attentifs aux signes de radicalisme en classe et les mesures qu’ils ont prises. S’ils ne le font pas ou refusent de se conformer à cette obligation leur institution peut se voir refuser son financement. Les membres du public sont invités à appeler une hotline de sécurité nationale pour faire part de leurs soupçons, qui pourraient porter sur n’importe qui, une femme avec un foulard, un homme portant une longue barbe, une djellaba et des sandales ou quelqu’un qui parle arabe dans un bus ou un train.

Mme Nabulsi décrit un petit garçon syrien d’âge préscolaire qui passait son temps à dessiner des avions larguant des bombes. Au lieu d’essayer de comprendre pourquoi et de consulter les parents, l’institutrice appela la police. A de nombreuses reprises des étudiants musulmans n’ont pu avoir accès à des salles pour des conférences sur l’Islam. La chambre d’un étudiant sikh a été fouillée après que quelqu’un l’eut entendu prier en punjabi. Porter un badge d’identification avec les Palestiniens peut être suffisant à éveiller les soupçons.

Dans l’énumération des causes de radicalisation, le Prevent program inclut les crises identitaires, l’éloignement à l’égard des valeurs britanniques, les expériences négatives avec les autorités, le sentiment d’échec et les activités criminelles. Il veut « empêcher » des jeunes de se radicaliser d’abord, puis peut-être, emportés par le « tapis roulant », de passer à des actes de violence. Que les mêmes gouvernements qui mettent en place des programmes de « déradicalisation » chez eux vendent des armes à des gouvernements largement considérés comme facilitant l’extrémisme violent à l’étranger n’est qu’un autre aspect contradictoire de leur comportement.

Donald Trump, par exemple, vient de signer un contrat d’affaires et de vente d’armes d’un montant de 350 milliards de dollars avec l’Arabie Saoudite, avant de se rendre à Jérusalem pour discuter avec un gouvernement dont l’extrémisme idéologique violent prend pour cible les Palestiniens tous les jours de la semaine. Theresa May a fait le même voyage dans le Golfe : les gouvernements conservateurs britanniques au fil des ans ont vendu pour des dizaines de milliards de livres d’armes aux États du Golfe.

Que des armes puissent être livrées au gouvernement saoudien alors qu’il s’efforce de soumettre le peuple yéménite en l’affamant ou en le bombardant témoigne de l’absence de principes des politiques « occidentales » derrière les discours sur la démocratie et les préoccupations humanitaires. Des milliers d’enfants entre autres ont été tués par des frappes de missiles sur le Yémen, ou sont morts et meurent encore de malnutrition. Donald Trump et Theresa May ont-ils la peau si dure qu’ils y sont insensibles ? A en juger par leur comportement nous devons en conclure que la réponse est « oui ».

Le programme « Vivons ensemble » du gouvernement australien semble être largement inspiré du modèle « Prévention » britannique. De vastes sommes d’argent sont mises à la disposition des universités qui mettent sur pied des programmes de « déradicalisation », de réhabilitation, et d’anti-terrorisme, ainsi qu’à des universitaires individuels faisant des recherches sur des formes « modérées » de l’islam. En abordant les « motivations sociétales » de la radicalisation le programme australien se réfère à l’extrémisme lié à des questions thématiques, donnant en exemple les droits des animaux, le militantisme pour la préservation de l’environnement, l’extrémisme séparatiste ou ethno-national et le contrôle des armes à feu qui, tout en étant une question importante aux États-Unis, n’est guère pertinente en Australie.

Sous la rubrique violence « ethno-national »’ il est noté que les Australiens sont allés en Yougoslavie, et plus récemment en Afghanistan, Syrie, Liban et en Somalie pour participer « illégalement » à des conflits dans ces pays. L’illégalité du rôle que joue l’Australie dans des guerres étrangères et son soutien de longue date à Israël, état qui viole le droit international et qui a été condamné à maintes reprises par des organisations de défense des droits de l’homme en raison de son comportement violent, extrémiste s’il en est, n’est même pas mentionnée.

Une publication du parlement du New South Wales intitulée, « Radicalisation et extrémisme violent : Causes et Réponses » (février 2016) mentionne entre autres causes de radicalisation : l’idéologie, les relations personnelles, les questions d’identité et l’exclusion sociale, et la « perception » d’une injustice faite aux musulmans, comme dans les cas d’Israël/Palestine et d’Afghanistan (aucune mention de l’Irak) qui figure bien bas sur la liste. La formulation elle-même trahit la mentalité officielle parce que la Palestine et l’assassinat de civils en Afghanistan, sans parler de l’Irak, de la Somalie ou du Yémen ne sont pas des perceptions d’injustice, mais de l’injustice pure et simple, brutale et validée par le droit international.

Malheureusement, il n’y a pas que le refus des gouvernements de reconnaître les crimes qu’ils ont commis, mais il y a aussi leur soutien constant aux politiques violentes d’autres gouvernements. Donald Trump soutient la colonisation totale du territoire palestinien de Cisjordanie, et appuie sa décision de construire un mur le long de la frontière mexicaine en se référant au mur de « séparation » ou d’« apartheid » érigé par Israël. Lui et d’autres hommes/femmes politiques n’hésitent pas à se rendre à Jérusalem, ville occupée selon le droit international, dont une grande partie de la terre et de nombreux bâtiments sont toujours la propriété de Palestiniens quoiqu’en en dise la loi de l’occupant.

Julia Gillard, ex-première ministre d’Australie, tint le Hamas pour responsable des attaques de Gaza par Israël, refusant systématiquement de qualifier d’illégales les colonies israéliennes et essaya d’empêcher que la Palestine n’obtienne le statut d’observateur à l’ONU. Elle fut « horrifiée » par « les immenses pertes en vies humaines » dans les attentats de Paris, mais pas une seule fois au cours de sa carrière politique elle n’a exprimé l’horreur que pouvait lui susciter les massacres en masse de civils à Gaza et au Liban perpétrés par Israël. Elle se présente comme le défenseur mondial des droits des femmes et des enfants mais n’a jamais condamné les massacres à grande échelle des deux catégories par Israël à Gaza, au Liban et en Palestine occupée.

Les jeunes doivent être encadrés et tenus à l’écart d’activités dommageables pour eux-mêmes et les autres autant que possible. De ce point de vue ces programmes de « déradicalisation » ont un but méritoire, mais lorsque l’un des « moteurs » principaux de radicalisation, sinon le principal, est ignoré, les gouvernement qui mettent en place ces programmes traitent les symptômes mais ne soignent pas la maladie. Tant qu’ils refuseront d’admettre les conséquences de ce qu’ils ont fait leur « guerre au terrorisme » échouera forcément.

Regarder en face, avec honnêteté, leur propre comportement nécessitera, toutefois, qu’ils renoncent au modèle de conduite systématique qui consiste à condamner la violence chez eux tout en la pratiquant à l’extérieur. Les victimes de violence où que ce soit, quelles que soient les circonstances et quel que soit le temps, ont besoin que l’auteur cesse de faire ce qu’il fait et demande pardon. Dans les relations personnelles, ou à l’échelle nationale ou mondiale, ce sont les premiers pas indispensables pour revenir à un comportement rationnel, humain et fondé sur des principes, mais l’« Occident » n’arrête jamais et ne demande jamais pardon. Comme le mauvais étudiant, indiscipliné, et égoïste qu’il est, il refuse d’apprendre, il cherche des excuses et d’autres explications, il accuse tout et tout le monde sauf lui-même, et ainsi les dures leçons vont continuer.

 

yogaesoteric
24 septembre 2017

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