Colombie : L’accord de paix va permettre une aggravation de l’extractivisme

Rencontré à Amsterdam, Sebastian Guzman parle sur les accords de paix en Colombie, extractivisme et situation politique pour la gauche.

 

Tout d’abord, peux-tu te présenter, qu’est-ce que le GEED ?

Le Groupe d’étude économie digne est un groupe de recherche composé d’étudiants de droit et sciences politiques de l’Université nationale de Colombie. La perspective critique qui est la sienne s’inscrit dans l’étude du marxisme, du féminisme et de la dette publique.

Il est partie prenante du CADTM, section de Colombie et du Mouvement écosocialiste, pôle de Bogota. C’est un groupe de recherche dont l’orientation est tout à la fois académique et pratique ; toujours en relation et en soutien avec les mouvements sociaux qui luttent contre le capital et ses logiques d’exploitation et de domination. Du fait de son lien avec le CADTM, l’étude du système capitaliste financier et de la dette publique est l’un des axes principaux de travail, en lien avec les autres formes de domination comme l’extractivisme, la politique fiscale régressive, le patriarcat, etc.

A présent nous avons 3 grands axes de travail, qui sont : 1) l’extractivisme et les résistances territoriale, 2) la dette publique et le système financier et 3) les mouvements sociaux et la construction de la paix.


Où en est-on à présent avec les accords de paix ?

Pour pouvoir analyser les accords de paix, il faut avoir en tête deux éléments qui expliquent les intérêts qu’ont les deux acteurs à parvenir à trouver une solution au conflit armé par la voie de la négociation. D’un côté, tant pour les FARC-EP que pour les autres guérillas de type communiste dans le monde entier, l’option de la lutte armée est devenue caduque et elle a été délégitimée à partir de la chute du bloc soviétique, d’autant plus qu’il y avait une escalade de la violence dans le conflit lui-même et peu de perspectives de prise du pouvoir. D’un autre côté, pour le président Santos, représentant de l’establishment, apporter une solution au conflit était une question nécessaire, moins par altruisme ou souci humanitaire que pour avancer dans la mise en œuvre du projet néolibéral dans le pays, initié depuis les années 1990 avec la Constitution, mais qui du fait de la persistance du conflit armé, ne parvenait pas à être réalisé complètement.

En gardant cela en mémoire, nous essaierons d’analyser rapidement ce qu’est l’accord de paix et son agenda de discussion, qui comprend 6 points essentiels qui répondent aux causes qui ont été à l’origine des FARC-EP en tant que mouvement politique armé.

Le premier point, appelé Réforme rurale intégrale, tente d’aborder une dette historique de la classe des propriétaires terriens vis à vis des petits paysans, telle que la redistribution de la terre. Sur ce point, diverses considérations nous amènent à penser que les termes de l’accord ne correspondent pas à une vraie réforme intégrale ni à une réforme en faveur des petits paysans pauvres. D’abord parce qu’il ne touche pas à ce qui devrait être la base de toute réforme agraire, à savoir la redistribution de la terre, afin de transformer ainsi complètement la base de la structure agraire qui en Colombie est essentiellement latifundiste et même improductive, pour reprendre le vocabulaire du capital.

La pierre angulaire pour ce point sera la création d’une réserve foncière de près de 8 millions d’hectares, mais loin de constituer une réforme structurelle, il est plutôt un mécanisme subsidiaire qui cherche à atténuer le conflit social pour la terre en Colombie, présent tout au long du XX e siècle. De plus, dans le cadre de la mise en œuvre de ce point, un décret a été adopté, le décret 902, qui au lieu d’atténuer le problème de la terre, va l’aggraver car il modifie la vocation historique qui était celle de ce fonds depuis 1996, destiner des terres à des paysans sans terre ou possédant trop peu de terres, car il ouvre maintenant un espace important au grand capital, plaçant à nouveau les paysans en situation de vulnérabilité pour l’accès à la terre.

Le deuxième point concerne la participation politique et les transformations nécessaires tant au niveau du régime que du système politique pour une participation des FARC à la politique, au-delà de la phraséologie sur l’approfondissement de la démocratie, le droit à exprimer une pensée différente, la politique comme outil de résolution des différends, etc. Sur ce point il y a deux éléments importants : le premier est que les FARC vont pouvoir participer dès maintenant aux élections aux postes de responsabilité par suffrage universel et elles auront 16 sièges spéciaux pour les zones les plus touchées par le conflit. Cependant, le Sénat, le 6 décembre 2017 a recommandé au niveau de la mise en œuvre d’annuler ce siège-là. En outre l’assassinat de près de 140 leaders sociaux de gauche depuis un an par des groupes paramilitaires et l’attitude de déni et d’ineptie du gouvernement face à ce phénomène montre à quel point l’état de la participation démocratique dans le pays est préoccupant et le peu que l’on a avancé sur ce point de l’accord.

Pour ce qui est du 4e point qui concerne le trafic de drogue et les drogues illicites, il est très complexe mais on peut le résumer à la question de la substitution ou de l’éradication des cultures. Il a été demandé que cessent les éradications forcées de cultures de coca et de marijuana, que ce soit par arrachage manuel ou par aspersion de glyphosate. Or ce qui est préoccupant c’est que les deux méthodes sont à nouveau appliquées, ce qui non seulement constitue une violation de l’accord mais aussi reproduit les dynamiques de violence et oppression que les petits paysans qui produisent ces cultures ont subi tout au long de l’histoire. Le problème n’a donc pas été réglé, mais au contraire on le reproduit car c’est le chaînon le plus faible de la chaîne de production qui est attaqué et criminalisé, celui qui mène cette activité pour une question de subsistance et non pas de crime organisé. Le massacre perpétré à Tumaco par les forces armées lors d’une opération d’éradication, au cours duquel près de 18 paysans ont trouvé la mort, montre ce que ces opérations ont de tragique et que sur ce point les choses vont mal dans le pays.

 

La situation générale est donc plutôt préoccupante, et le seul point sur lequel on a avancé est celui de la fin du conflit avec le désarmement de la guérilla, ce qui est une opération stratégique pour le gouvernement et montre la faiblesse de son engagement en faveur de la construction d’une paix véritable, intégrant la justice sociale et environnementale.

Est-ce que l’accord de paix signifie une aggravation de l’extractivisme ?

L’accord de paix il faut le prendre pour ce qu’il est, ce n’est qu’un accord a minima qui doit être mis en marche par des lois, des décrets et aussi des politiques publiques et des actions concrètes. L’accord de paix en lui-même ne se réfère pas explicitement à une expansion de l’extractivisme (à l’exception de l’agro-industrie qui elle est mentionnée précisément et à plusieurs reprises dans les principes) mais il comporte d’importants éléments dont il faut tenir compte et qui nous permettent d’affirmer que oui, l’accord de paix va permettre une aggravation de l’extractivisme.

Le modèle économique de la Colombie se fonde depuis le début du 20 e siècle sur le modèle extractif et il faut en tenir compte car l’un des postulats de départ au début des négociations était de « ne pas négocier le modèle économique » et donc que l’accord n’y toucherait pas et que l’issue du conflit permettrait l’approfondissement de ce même modèle.

Parler d’extractivisme en Colombie nous renvoie nécessairement à la réalisation de 4 types d’activités, à savoir les activités minières, l’exploitation des hydrocarbures, la construction de barrages hydroélectriques et les monocultures industrielles. Par rapport à cela, il faut souligner un aspect essentiel et indéniable, qui est que la présence de la guérilla dans de nombreuses régions du pays a permis leur conservation environnementale, et que donc la fin du conflit signifie que de nombreuses zones d’importance vitale pour l’environnement s’ouvriront à des activités de ce type, par exemple dans la Macarena, les Monts de Maria et la région du Catatumbo.

Le débat autour de l’usage de la fracturation hydraulique est présent en Colombie face à l’absence de réserves et à la baisse des prix du pétrole. L’épicentre en est la municipalité de San Martin César où l’entreprise Conoco Phillips envisage de réaliser le premier projet de fracturation hydraulique du pays.

En ce qui concerne l’agro-industrie, la question est d’autant plus importante que c’est un élément qui a été ajouté à l’accord a posteriori, après la victoire du NON au référendum. C’est ainsi que l’accord envisage une transformation de la campagne hors de toute logique de souveraineté et de sécurité alimentaire et parie sur un modèle agroindustriel fondé sur la monoculture de la palme et du cacao dans des régions de hauts plateaux du pays.

Enfin, même si cela ne figure pas dans l’accord, on est en train de créer différentes formes d’exploitation comme les ZIDRES1, les PINES2, et de désarticuler les consultations populaires qui sont des éléments de participation qu’ont adoptés les communautés pour faire face à ce modèle d’exploitation.

Quelle est la situation de la gauche en Colombie ?

Il faut aborder la situation des gauches en Colombie sur deux plans, 1) le plan électoral avec les élections de 2018 et 2) le plan social, qui renvoie aux conditions dans lesquelles la gauche peut développer un projet politique au-delà du niveau électoral et partisan et plus orienté vers les mouvements locaux et les territoires.

Pour ce qui est du premier plan, nous ne prononcerons pas d’affirmations, mais nous pouvons faire quelques hypothèses à partir de la situation concrète. Il est certain que, comme cela a été le cas tout au long de son histoire, la gauche colombienne est plutôt divisée, tant sur le plan idéologique qu’électoral ce qui rend difficiles les alliances, qu’elles soient ad hoc, comme une coalition liée à des élections ou institutionnalisées comme la construction d’un seul parti fort. Cette situation a permis à la droite de se disputer les postes électoraux entre elle.

Les candidats que l’on pourrait caractériser comme de gauche (radicale ou social-démocrate) seraient Gustavo Petro du mouvement progressiste et ancien maire de Bogotá, Clara López, ex-membre du Pôle démocratique (centre gauche), le sénateur Jorge Robledo (gauche maoïste). Produit de ces divisions, la gauche n’a jamais pu accéder au pouvoir présidentiel, son plus grand succès ayant été d’arriver en 2e position, avec Carlos Gaviria lors des élections de 2008.

C’est pourquoi la gauche préfère passer des alliances avec des forces qui ne sont pas vraiment de gauche ou au moins du centre gauche, mais au contraire des forces de droite, dans une optique de défense du néolibéralisme, comme c’est le cas avec l’alliance entre Robledo, Fajardo et López, trois candidat.es qui se veulent différents de la classe politique traditionnelle, sur les questions de corruption, clientélisme, etc., mais qui sont dans une optique d’approfondissement du capitalisme. Enfin, il n’existe pas de candidat qui représente la gauche radicale et défende de façon ouverte et concrète le drapeau du communisme et moins encore de l’écosocialisme, car la longue tradition de droite qui prévaut dans le pays a associé ce terme à pauvreté, autoritarisme, etc.

Quant aux perspectives de la gauche issue du mouvement social et des processus de résistance, la situation est bien plus fertile. L’intensification du capital dans le pays a aiguisé les contradictions de classe, de genre, de nature, etc. et le mouvement social contre le capital est devenu une constante.

Le mouvement social contre l’extractivisme que l’on retrouve dans des organisations et mouvements comme Asoquimbo, Ríos vivos, les consultations populaires, le mouvement des femmes indigènes contre la mine de Cerrejon, CORDATEC dans le César et sa lutte contre le fracking, etc sont des luttes glocales, qui cherchent à freiner un projet local concret tout en parvenant à remettre en question le modèle extractif colombien et par conséquent la division internationale du travail et la logique de suprématie du capital sur la nature.

Le mouvement indigène qui lutte depuis la conquête et la colonisation est un mouvement de grande résistance contre le capital, car le capital continue à en faire la cible de toutes les violences possibles – physiques, structurelles, symboliques. Citons le Mouvement de libération de la Terre-mère des indigènes NASA dans le département du Cauca contre les processus historiques d’usurpation de leur terre et de concentration aux mains des grands propriétaires.

L’élection présidentielle colombienne de 2018 s’est déroulée le 27 mai 2018 en Colombie afin d’élire le président de la République. Le deuxième mandat du président en exercice Juan Manuel Santos étant arrivé à son terme, celui-ci n’est pas candidat à sa réélection du fait de la limitation du nombre de mandats imposée par la constitution. Aucun candidat n’ayant recueilli la majorité absolue au premier tour, un second est organisé le 17 juin suivant entre Iván Duque, à la tête de la coalition de droite «Grande alliance pour la Colombie », qui arrive en tête avec 39,14 % des voix, et Gustavo Petro, candidat de la coalition de centre gauche «Liste de décence » qui en réunit 25,08 %. Le candidat de la Coalition colombienne, Sergio Fajardo, écologiste et de centre gauche, réunit pour sa part 23,73 %. Ce dernier avait annoncé publiquement qu’il votera blanc, et son parti Alliance verte avait appellé à voter blanc ou pour Gustavo Petro 2,3.

Iván Duque l’emporte au second tour avec près de 54 % des suffrages, son opposant Gustavo Petro en réunissant 41,80 %, tandis que 4,21 % des votants choisissent de voter blanc, un vote officiellement reconnu dans le décompte des voix en Colombie.
 
 
 



yogaesoteric


23 juin 2018

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