Le jour où j’ai cessé de dire « Dépêche-toi »


Voilà l’histoire emouvante de Rachel Macy, ecrivaine à succes de New York Times :

Chaque minute compte dans nos vies modernes et effrénées. On a constamment l’impression qu’on doit cocher quelque chose de notre to do list (choses à faire), qu’on doit vérifier un écran ou un autre ou se presser pour se rendre à notre prochaine destination. Et peu importe comment on divise notre temps et notre attention, peu importe combien de tâches on tente d’accomplir simultanément, on finit toujours par avoir l’impression qu’il n’y a pas assez d’heures dans une journée pour arriver à tout faire.

Ainsi allait ma vie pendant deux années totalement frénétiques. Mes pensées et mes actions étaient régies par des notifications électroniques, des sonneries et des agendas surchargés. Même si mon sergent intérieur s’était donné comme objectif de toujours être à l’heure, je n’y arrivais simplement pas.

C’est que, voyez-vous, la vie m’a fait cadeau, il y a déjà six ans, d’une adorable enfant du type je-prends-mon-temps-rien-ne-presse-regarde-maman-les-jolies-fleurs-tu-veux-les-sentir ?

Lorsque nous devions quitter la maison en cata, elle prenait tout son temps pour se choisir un sac à main et un diadème. Lorsque nous devions aller quelque part à cinq minutes, elle insistait pour prendre le temps de bien boucler la ceinture de sécurité de sa peluche. Lorsque nous devions prendre le déjeuner sur le pouce, elle prenait tout son temps pour faire la conversation à la dame à côté de nous qui lui rappelait sa mère-grand. Lorsque, par chance, j’avais le loisir de trouver 30 minutes pour un petit jogging, elle insistait pour que nous nous arrêtions à chaque chien que nous croisions afin de lui faire un câlin. Lorsque le premier rendez-vous à mon agenda était à 6 heures du matin, elle prenait tout son temps pour battre les oeufs aussi doucement que possible.

Mon enfant était, pour ma personnalité de Type A, une bénédiction, mais je ne m’en rendais pas compte. Bien sûr que je ne m’en rendais pas compte : quand on mène ce genre de vie effrénée, on a une vision très limitée uniquement tournée vers l’avenir, et tout ce qui ne fait pas partie d’une to do list nous semble superflu et inutile.

Quand ma fille m’obligeait à dévier de mon agenda, je me disais intérieurement « On n’a pas le temps pour ces peccadilles ». Conséquemment, les deux mots que je disais le plus à mon petit ange dans une journée type étaient « dépêche-toi ».

Mes phrases commençaient par ces deux mots :
Dépêche-toi, on va être en retard.

Mes phrases se terminaient par ces deux mots :
On va tout rater si tu ne te dépêches pas.

Je commençais mes journées avec ces deux mots :
Dépêche-toi à manger ton petit déjeuner.
Dépêche-toi de t’habiller.

Je terminais mes journées avec ces deux mots :

Dépêche-toi à te brosser les dents.
Dépêche-toi à te mettre au lit.

Même si, de toute évidence, ces mots ne rendaient aucunement l’exécution des tâches à accomplir plus rapide, je persistais à les prononcer. Le plus effrayant, c’est que je les prononçais plus souvent que les mots « je t’aime »…

La vérité fait mal, mais la vérité guérit, aussi… et elle me rapproche de la maman que je veux être.

Puis, un jour, tout a changé. Nous venions tout juste d’aller chercher notre aînée à la garderie et nous sortions de notre voiture. Trouvant que sa petite soeur n’allait pas assez vite, elle lui a lancé: « tu es tellement lente ». Puis, elle a croisé les bras et soupiré avec une exaspération qui m’a fendu le coeur. J’ai pris conscience de mon propre comportement : j’étais un tyran qui bousculait constamment une enfant, dont le seul désir était de prendre le temps d’aimer la vie. Et à cet instant, j’ai réalisé à quel point ma propre vie effrénée était néfaste non seulement pour moi, mais pour mes deux filles également.

La voix tremblotante, j’ai rivé mes yeux à ceux de ma cadette, et je lui ai dit: « Je te demande pardon de t’avoir constamment bousculé jusqu’à aujourd’hui. J’aime que tu prennes ton temps et je veux apprendre à être comme toi le plus souvent possible. »

Mes deux filles furent tout aussi surprises l’une que l’autre de cet aveu inattendu, mais celui de la plus jeune avait, en plus de la surprise, l’air de quelqu’un à qui on vient de donner raison et qui en jouit intérieurement.

« Je te promets d’être plus patiente à partir d’aujourd’hui », lui dis-je en la serrant dans mes bras tandis qu’elle rayonnait littéralement à la simple idée de cette promesse que je venais de lui faire.

Rayer les mots « dépêche-toi » de mon vocabulaire fut simplissime, mais ce qui fut considérablement plus difficile, ç’a été d’acquérir la patience que j’avais promise à cette enfant. Afin de nous venir en aide à toutes les deux, j’ai commencé à lui accorder plus de temps pour se préparer si nous devions nous rendre quelque part. Malgré cela, nous étions encore souvent en retard. Dans ces moments, je me rassurais en me disant que ça ne durerait que quelques années encore, le temps qu’elle vieillisse.

Lorsque ma fille et moi marchions ou allions au magasin, je la laissais dicter le pas, et lorsqu’elle s’arrêtait pour admirer quelques choses, je taisais toutes les pensées reliées à mon sacro-saint agenda afin de simplement l’observer et profiter du moment. Je voyais sur son visage des expressions que je n’avais jamais même aperçues auparavant. J’admirais les fossettes sur ses petites mains potelées et la façon dont ses yeux avaient de se plisser lorsqu’elle souriait. J’ai pris conscience de la façon dont les gens prenaient leur temps pour lui répondre lorsqu’elle s’adressait à eux. J’ai découvert son talent pour voir de jolis insectes et de mignonnes fleurs. C’était une observatrice et j’ai rapidement découvert que les observateurs sont des gens rares et précieux. C’est ainsi que j’ai compris que ma fille était une bénédiction pour mon âme frénétique.

Ma promesse de ralentir la cadence a été faite il y a bientôt trois ans, en même temps que j’ai entrepris mon périple vers l’abandon des distractions quotidiennes et la concentration sur ce qui compte vraiment. Aucun doute, cependant: vivre à une vitesse « petit v » me demande encore un effort de tous les instants. Ma cadette est le mémento quotidien qui me sert à ne pas perdre mon objectif de vue. En fait, voici un bel exemple des petites choses qu’elle fait ou dit qui me le rappellent quotidiennement.

Pendant nos vacances, nous étions allées nous régaler d’une granita après une petite balade en vélo. Après avoir payé pour notre friandise glacée, elle s’est installée à une table de pique-nique et regardait avec admiration la montagne de glace et de sirop devant elle, puis elle m’a regardé avec un peu d’angoisse et m’a demandé: « Maman, est-ce que je dois me dépêcher? » J’ai failli fondre en larme. Apparemment, les cicatrices d’une vie effrénée s’estompent, mais ne disparaissent pas complètement. Tandis qu’elle attendait que je lui réponde, je savais que j’avais un choix à faire : je pouvais me morfondre en pensant au nombre de fois que je l’avais bousculée dans sa courte vie… ou je pouvais profiter pleinement du fait que, désormais, je fais les choses différemment.

Et j’ai choisi de vivre l’instant présent.

« Tu n’as pas à te presser, ma chérie. Prends tout ton temps », lui ai-je doucement répondu. Son visage s’est illuminé et ses épaules sont tombées de soulagement. Puis, nous nous sommes assises côte à côte et avons discuté des choses dont discutent les petites joueuses d’ukulélé âgées de 6 ans. Nous avons même profité de longs moments de silence pendant lesquels nous nous contentions de nous sourire et d’admirer le paysage.

J’avais l’impression que ma fille allait dévorer tout son immense granita, mais lorsqu’elle est arrivée à la dernière bouchée, elle me l’a tendue et a dit avec fierté : « je t’ai gardé la dernière bouchée juste pour toi, maman ». Jamais de la glace pilée n’aura été aussi bonne, et je me suis rendue compte que je venais de conclure le marché du siècle. J’ai accordé un peu de temps à ma fille, et en retour, elle m’a donné la dernière bouchée de sa friandise et m’a rappelé que les choses ont meilleur goût et que l’amour s’épanouit bien mieux lorsqu’on prend le temps de prendre le temps.

Que ce soit pour…
Manger une granita
Cueillir une fleur
Boucler une ceinture de sécurité
Casser un oeuf
Ramasser les coquillages
Observer les coccinelles
Déambuler sur le trottoir

Je ne dirai plus jamais « nous n’avons pas le temps », parce qu’en fin de compte, c’est comme si on disait « nous n’avons pas le temps de vivre ». Prendre le temps de savourer les petites joies du quotidien est la seule façon de pleinement profiter de la vie. Et croyez-moi, j’ai appris cette leçon de l’experte mondiale dans le domaine de profiter-pleinement-de-la-vie !

yogaesoteric
12 novembre 2017

Also available in: Română

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