Déclassifié : Operation Mockingbird, la guerre froide culturelle de la CIA

Le présentateur de CNN, Anderson Cooper, qui a couvert la majorité des false flags aux Etats-Unis n’a strictement aucune formation journalistique. Par contre, il est passé dans les rangs de la CIA au début de sa carrière. Bien sûr, il n’y travail plus… officiellement en tout cas. Mais un lapsus est vite arrivé. Aussi, lorsque Luke Rudkowski de We Are Change essaye de lui tirer les vers du nez, sa réaction gênée en dit long sur la question.

 

Le but premier, l’obsession de la CIA, véritable État dans l’État créé en 1947 par le Président Truman en réponse au renforcement du bloc de l’Est à la fin de la Seconde Guerre mondiale : abattre le communisme, bête noire de l’Amérique. À mesure de la publication de ses archives et des découvertes des historiens, l’historique rocambolesque des opérations de l’agence atteste de l’activité incessante d’une fourmilière. Ou plutôt, d’un véritable nid de frelons.

L’argent étant le nerf de la guerre, la CIA dispose dès ses débuts de fonds illimités. Et, comme toute agence de renseignements digne de ce nom, elle sait qu’une des conditions fondamentales de la victoire tient à un contrôle sans faille de l’opinion publique. Ce sera la mission de l’Opération Mockingbird (« Opération Oiseau moqueur »).

En 1948, Frank Wisner est nommé directeur du Bureau des projets spéciaux, plus tard renommé Bureau de la Coordination des politiques, une branche de la CIA dont le travail consistera en propagande, guerre économique, actions directes préventives, subversion dans les pays hostiles à l’Amérique et, au plan intérieur comme à l’international, promotion des éléments anticommunistes du camp occidental (dit « monde libre »).

Journalistes en vente : sur-mesure et prêt-à-porter

L’Opération Mockingbird, lancée la même année 1948, vise à influencer l’opinion à travers une emprise aussi large que possible sur les médias. La CIA commence à recruter des agences de presse et des journalistes, qui deviendront autant de pions à son service, dans deux buts : d’une part l’espionnage et le contrôle de confrères et d’autre part, la diffusion de propagande anticommuniste.

Pour commencer, elle s’assure les services de Philip Graham (éditeur et copropriétaire du Washington Post) qui, conjointement aux efforts de recrutement par la CIA d’anciens membres des services de renseignements militaires devenus journalistes, se chargera de battre le rappel d’autres acteurs des médias américains. L’affaire, menée tambour battant, avance à un rythme tel que, dès le début des années 50, le Bureau des projets spéciaux de Frank Wisner possède des antennes au New York Times, à Newsweek, à CBS et dans plusieurs autres grands médias d’information. « Vous pouvez avoir un journaliste pour moins cher qu’une bonne call girl, quelque chose comme deux cent dollars par mois » – Un agent de la CIA à Philip Graham, éditeur du Washington Post. (Deborah Davis, Katharine The Great, 1991)

Les voix de certains des journalistes recrutés portent très loin, comme celle de Joseph Alsop dont les articles sont repris dans 300 supports de presse différents, ou encore celles de membres d’organes aussi importants que le New York Herald Tribune, Time et le New York Daily Mirror. Sont aussi comprises dans l’opération des publications locales comme le Chicago Daily News, leMiami News, le Chattanooga Times, le Washington Star, etc. En tout, plus de 400 journalistes opèrent pour le compte de la CIA et rédigent des articles commandés par Frank Wisner, qui leur fournit parfois des documents classifiés pour aider à leur avancement – le fameux « scoop » qui forge la réputation professionnelle dont rêvent tous les journalistes.

En 1953, Allen Dulles, directeur de la CIA, prend la barre de l’Opération Mockingbird, qui couvre désormais 25 agences et organes de presse, dont Life et le New York Post. Le magnat de la presse Henry Luce (Time, Life, Fortune, Sports Illustrated) en devient l’un des piliers. Dès mars 1947, Luce, un anticommuniste convaincu, avait déclaré dans les colonnes de Life, « la Troisième Guerre mondiale a commencé. Nous en sommes à l’étape des premières escarmouches. » Dans le même numéro figurait l’extrait d’un livre de James Burnham, un ex-trotskiste qui en appelait à la « création d’un empire américain dominant le monde en pouvoir politique, instauré en partie par la coercition (y compris probablement par la guerre ou du moins, la menace de guerre) et dans lequel un groupe de gens détiendrait plus que sa part égale de pouvoir ». Le livre de Burnham prône par ailleurs l’établissement d’une « Fédération européenne sous égide américaine. » ( The Struggle for the World, 1947)


Barre à gauche, toutes !

Mais des messieurs en costumes anthracite affiliés au parti Républicain, avec leurs préjugés de classe, leur anticommunisme stéréotypé et leur rigorisme rébarbatif ne peuvent suffire au succès de l’opération. La CIA comprend vite qu’elle ne peut pas s’en tenir à une critique confinée à la seule droite de l’échiquier politique et ne prêcher que des convertis. Pour contrer efficacement le communisme, elle doit surtout placer ses pions à gauche, mais dans une gauche libérale, anticommuniste, libertaire, festive, convertie à la religion libérale-capitaliste, qu’elle entend bien mener à la domination culturelle.

Dans son livre Who Paid the Piper? The CIA and the Cultural Cold War (2000) l’historienne britannique Frances Stonor Saunders détaille la guerre psychologique menée par la CIA sur le flanc gauche de la société occidentale d’après-guerre. Dès la fin des années 40, l’agence commence à infiltrer des associations étudiantes et des magazines censément indépendants ( Partisan Review, Kenyon Review, le New Leader du philosophe Sidney Hook, Tribune et Encounter au Royaume-Uni, Preuves en France) ; sur sa lancée, elle organise des festivals, des conférences, des expositions, des colloques, des traductions d’auteurs, des concerts, et soutient des musiciens d’avant-garde comme Schönberg, des chorégraphes, des peintres abstraits et toute une cohorte éclectique, chic et cosmopolite d’acteurs, d’intellectuels et d’artistes qui, de leur plein gré ou inconsciemment, se battront tous à gauche contre la subversion communiste. Les financements, souvent somptueux, sont assurés par diverses courroies de transmission de la CIA telles que les fondations dites « philanthropiques » Ford, Rockefeller, Fairfield, etc.

En France, le Congress for Cultural Freedom, une organisation culturelle fondée par la CIA en 1950, établie à Paris et qui compte des annexes dans 35 pays, est l’une des chevilles ouvrières majeures de l’offensive sur le front gauche. Il regroupe toutes sortes d’iconoclastes et de libres penseurs réunis autour de refus du « totalitarisme stalinien » et de la défense de la « liberté occidentale ». L’Europe, avec ses anciens cercles intellectuels souvent anti-impérialistes et idéologiquement proches du communisme, se retrouve ainsi au centre des préoccupations de la CIA et en première ligne de la guerre psychologique.

Les opérations se déroulent sur deux tableaux : d’une part, la promotion d’auteurs libéraux ou déçus du communisme tels qu’Arthur Koestler, André Gide ou Raymond Aron et d’autre part, la neutralisation des critiques contre les politiques de Washington par la valorisation de la culture américaine. « Le Congress lui-même est né d’une conférence d’intellectuels à Berlin Ouest en juin 1950. Outre qu’elle [la conférence de Berlin] a lancé le Congress, elle a aidé la stratégie émergente de la CIA de promotion de la gauche non-communiste – la stratégie qui allait rapidement devenir la base théorique des opérations politiques anticommunistes de l’agence au cours des deux décennies suivantes » – Michael Warner, historien attaché au Département de la défense US et historien officiel de la CIA.

Hollywood et la CIA

Dès les débuts de l’opération de contrôle de l’opinion publique dite « Operation Mockingbird », le cinéma, l’un des principaux vecteurs de propagande de masse, figure évidemment dans les avants-postes où la CIA souhaite s’installer. Il s’avérera des plus consentants. Selon l’historien Hugh Wilford dans The Mighty Wurlitzer: How the CIA Played America (2008), « deux facteurs prédisposaient l’industrie cinématographique à une attitude volontariste dans la guerre froide culturelle. L’une, une forte tendance à l’autocensure, résultait de nombreuses années d’expérience dans l’évitement d’offenses à des groupes de pression intérieurs (…) ou à des publics étrangers, à cause de leurs effets commerciaux désastreux. L’autre tenait au fait que les hommes qui dirigeaient les studios étaient intensément patriotes et anticommunistes. »

 

De sorte que Frank Wisner recrute aisément plusieurs poids lourds de l’industrie cinématographique, dont John Ford, John Wayne, Cecil B. DeMille (Paramount Pictures), Darryl Zanuck (Twentieth Century-Fox) et Howard Hughes (RKO Pictures). Avec leur accord, des agents infiltrés, recrutés au sein des équipes existantes de scénaristes ou embauchés dans ce but veilleront à la pureté idéologique anticommuniste des scénarios des différents studios de Hollywood et « à y insérer les bonnes idées avec toute la subtilité requise. » – C. D. Jackson, agent de liaison entre la CIA et le Pentagone, spécialiste des questions de guerre psychologique, d’affaires internationales et de planification de la guerre froide.

La CIA ne se limite pas à peser sur les orientations politico-sociales des productions hollywoodiennes ; elle produit occasionnellement ses propres films, dont l’exemple le plus connu à ce jour est une adaptation en dessins animés d’Animal Farm, de George Orwell, en 1954. L’aventure commence par des doutes : le propos d’Orwell, trop à gauche, ne satisfait pas la CIA qui malgré tout, aime bien l’auteur pour son anti-stalinisme virulent. De sorte qu’au bout du compte, l’agence dégainera son fer à repasser : le texte d’Orwell, une fois lissé et débarrassé de ses scories anticapitalistes, sera apte à délivrer un message sainement pro-américain. « Il est raisonnable de penser que, si Orwell avait écrit le livre aujourd’hui, il serait considérablement différent et que les changements le rendraient encore plus anticommuniste et probablement quelque peu plus favorable aux puissances occidentales. » (un agent de la CIA non nommé dans une lettre à John Halas, directeur du studio d’animation britannique chargé de la réalisation).

La contre-offensive : le sénateur Frank Church au Congrès

Mais tout le monde n’est pas dupe. En mars 1967, Le journaliste Sol Stern dénonce la mainmise de la CIA sur les organisations étudiantes américaines et, au passage, sur tout le système des organisations anticommunistes en Europe, en Asie et en Amérique du Sud dans un long article, NSA and the CIA, publié par Ramparts Magazine. La confiance de la gauche américaine s’effondre, mais rien n’enraye la machine à propagande de la CIA ; elle passera simplement par des voies détournées déjà bien établies, en particulier ses antennes européennes et sud-américaines. Autrement dit, sa propagande viendra désormais de l’étranger.

Il faudra dix ans de plus et un scandale pour que le Congrès des USA s’en inquiète. A la suite du Watergate, deux commissions seront créées pour enquêter sur les activités du FBI, de la CIA et de la NSA, dont celle du sénateur Frank Church. Le 29 avril 1976, l’enquête officielle sur les activités de la CIA du Church Committee délivre son rapport final au Congrès des USA, « La CIA entretient un réseau de plusieurs centaines d’individus étrangers à travers le monde, qui fournissent des indications à la CIA et tentent parfois d’influencer l’opinion à travers de la propagande déguisée. Ces individus fournissent à la CIA des accès directs à un grand nombre de journaux et de périodiques, à des dizaines de services de presse et d’agences d’information, à des stations de radio et de télévision, à des éditeurs de livres et autres supports médiatiques ».

Selon le rapport, l’une des pratiques préférées de la CIA consiste à faire publier des articles et essais biaisés dans des médias étrangers, d’où une fois traduits en anglais, ils reviennent aux USA. Les livres suivent le même parcours. La CIA fait publier des livres à l’étranger, puis en commande des critiques élogieuses à des agents-maison implantés dans la presse des USA, préférentiellement dans des publications prestigieuses comme le New York Times. De là, le livre en question entre dans les circuits de promotion littéraire américains, notamment universitaires, d’où il repart en Europe auréolé d’une gloire littéraire entièrement factice. Le sénateur Church écrit, « par exemple, la CIA fait éditer des livres pour des raisons opérationnelles, sans tenir compte de leur viabilité commerciale. Plus de mille livres ont été publiés, financés ou parrainés par la CIA jusqu’en 1967. »

En résumé, une fois traduits en anglais, tous ces livres reviennent dans les librairies, bibliothèques, articles de presse et cercles universitaires américains, où ils sont lus, critiqués et débattus par des gens (journalistes, professeurs, élèves, groupes de lectures, conférenciers, critiques littéraires) qui, dans leur vaste majorité, n’ont pas conscience de leur caractère de propagande.

En mai 1976, le Sénat instaure un comité sénatorial censé garantir la conformité des activités des services de renseignements avec la Constitution des USA, le Senate Select Committee on Intelligence. L’Opération Mockingbird, quant à elle, est déjà officiellement du passé ; le directeur de la CIA d’alors, un certain George H. W. Bush, en a clôturé les activités, au moins en partie, en février 1976 – deux mois avant la présentation finale du rapport Church au Congrès.

Le journaliste d’investigation Carl Bernstein donnera des éléments supplémentaires sur l’Opération Mockingbird un an après sa fin officielle (octobre 1977, Rolling Stone). Selon les données récoltées par Bernstein, 400 journalistes américains ont effectivement secrètement travaillé pour la CIA au cours des vingt-cinq années précédentes : « Quelques-uns de ces journalistes étaient des lauréats du prix Pulitzer, des reporters distingués qui se considéraient comme des ambassadeurs sans portefeuille pour leur pays. La plupart étaient moins glorieux : des correspondants étrangers qui trouvaient une aide dans leur travail par leur collaboration avec la CIA, des journalistes locaux et des pigistes aussi intéressés par les risques de l’espionnage que par le fait de placer des articles et, dans la dernière catégorie, des employés à plein temps de la CIA se faisant passer pour des journalistes à l’étranger ».

Au cours des années 90, l’activiste Steve Kangas, le journaliste d’investigation Angus Mackenzie ( Rolling Stone, Mother Jones, Washington Post, San Francisco Examiner ) et d’autres réfutent la cessation de l’Opération Mockingbird. En 2014, le journaliste allemand Udo Ulfkotte, duFrankfurter Allgemeine Zeitung, révèle dans son livre Gekaufte Journalisten (Journalistes vendus) que la CIA continue à commander, insérer et publier des articles de propagande dans la presse européenne. Le livre, un best-seller en Allemagne, a été traduit en anglais (2016) sous le titre Journalists for Hire: How the CIA Buys the News.

yogaesoteric

19 septembre 2017

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