Oliver Stone parle de son nouveau documentaire: « Les interviews de Poutine » (1)

Alors que la communauté du renseignement, le Congrès et la presse enquêtent sur la prétendue ingérence russe dans les élections présidentielles aux États-Unis, Stone montre l’histoire vue du côté de Poutine.

Oliver Stone, l’interprète Serguei Choudinov et le président Vladimir Poutine dans une scène du documentaire

Trois fois primé aux Oscars, Oliver Stone — vétéran du Vietnam et décoré du Purple Heart pour certains des plus grands films contre la guerre de Hollywood — était interviewé lors de la commémoration du Jour J dans son bureau de Santa Monica. La caractéristique de l’œuvre cinématographique de Stone est qu’il a créé des contre-récits artistiques qui ont suscité l’opposition contre lui non seulement des forces gouvernementales mais également des médias dominants. En 1986, lorsque le président Ronald Reagan menait l’opération secrète Iran-Contra, Stone a montré l’autre face de l’histoire en Amérique centrale dans son fascinant Salvador. Plus tard cette année-là et en 1989, avec l’Oscar du meilleur film sur le Vietnam pour Platoon et la nomination pour le meilleur film Born on the Fourth of July, Stone a défié le militarisme avec ses classiques sur l’enfer de la guerre. Alors que Reagan vantait un capitalisme débridé, Stone questionnait en 1987, dans Wall Street, l’ethos selon lequel « la cupidité est une bonne chose ». Le film de Stone peut-être le plus mémorable est sa démolition du rapport de la commission Warren dans JFK, de 1991, impliquant des agents du renseignement américains dans l’assassinat de Kennedy. Et, dans sa colossale série documentaire de 796 minutes en 2012, Untold History of the United States, Stone a présenté de façon convaincante une vision alternative de la Guerre froide, et plus encore.

Aujourd’hui, Stone est de retour avec The Putin Interviews [Les interviews de Poutine]. Tandis que la communauté du renseignement, le Congrès et la presse enquêtent sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine et une éventuelle collusion avec la campagne de Trump et la présidence, Stone, utilisant son accès rare au président russe, ose montrer le côté Vladimir Poutine de l’histoire. Au cours d’une interview approfondie avec The Nation, Stone a adopté une vision longue de l’histoire et a souligné qu’il exprimait souvent ce qu’il avait compris des points de vue de Poutine. Ils ont parlé d’Edward Snowden, du nouveau maccarthysme, de la Syrie, de Donald Trump, de l’Ukraine, des médias dominants, de Hillary Clinton, de Julian Assange, de Bernie Sanders, de la Nouvelle guerre froide, de Megyn Kelly, de la guerre et de la paix, et de Poutine. L’interview a été modifiée et condensée par souci de clarté.


The Nation :Parlez-nous du calendrier de The Putin Interviews.

Oliver Stone :
The Putin Interviews a commencé en juin 2015. Nous venions de terminer de tourner Snowden – nous sommes allés à Moscou pour filmer la dernière scène avec Ed Snowden. Nous sommes restés quelques jours de plus et nous sommes allés au Kremlin voir M. Poutine pour notre premier entretien. Puis nous avons prolongé ce voyage de deux jours et donc nous avons eu plusieurs interviews. Nous y sommes retournés au début de l’année suivante et au milieu de 2016 – et chaque fois, différentes interviews, à Sotchi… dans la datcha – c’était attrape ce que tu peux. Son temps était très restreint ; il travaille de longues heures. Souvent, il partait à une heure du matin et disait : « J’ai une autre réunion. »

Il se discipline et prend une bonne nuit de sommeil. Il était frais chaque jour – il n’était jamais fatigué, contrairement à moi. Très, très discipliné, ça lui vient probablement du judo… Il portait un complet et une cravate et paraissait très soigné quelle que soit l’heure. Il n’a jamais eu besoin d’aller aux toilettes… Il a fait cela depuis plus de 16 ans. J’ai mentionné la manière dont Reagan réglait ses affaires – il ne délègue pas, il entre dans le mécanisme de chaque situation. Cela m’a impressionné… Poutine est un dirigeant en accord avec ses valeurs conservatives.

Le quatrième voyage – nous espérions avoir terminé… Ce n’était pas prévu – après l’élection américaine, une nouvelle série de problèmes a surgi. Nous avons donc décidé d’y retourner en février 2017 et de réaliser un dernier épisode, post-Trump. Il est beaucoup consacré à Trump – mais ce n’est pas seulement au présent, il remonte en arrière et englobe 17 années, nous racontant le temps passé par Poutine à son poste, ce qui est très important pour comprendre la situation actuelle. Les Américains tendent à penser sur le moment – le gros titre, les nouvelles. Cela ne marche pas comme ça, la politique, les relations entre les pays prennent du temps… Malheureusement, nous n’avons pas cette capacité, avec le monde des médias faisant pression pour obtenir une réponse immédiate, comme Bush poussé à dire : « J’ai regardé dans son âme et j’ai trouvé un homme en qui je peux faire confiance »… Des relations comme celle-là ne sont fabriquées que pour la caméra.

Il aurait pu interrompre à chaque moment. Si les interviews avaient été ennuyeuses, mes questions futiles, je pense qu’il aurait arrêté plus tôt. Je pense que j’ai maintenu son intérêt en dansant, en faisant ce qu’un réalisateur fait avec des acteurs, les incitant à vouloir jouer les scènes, en maintenant l’intérêt. C’est une qualité que j’ai acquise au fil des années avec des acteurs. Je l’ai fait avec des chefs d’État, Castro, Netanyahou, Arafat…

Au total, nous avons eu 19 heures de film. Nous les avons réduit à quatre heures – c’est un bon rapport de 20%. Nous avions 22 heures ensemble… Il n’y a pas d’argent russe du tout dans le financement de The Putin Interviews…


The Nation :Quelle est la signification de votre documentaire, qui sort à un moment où les relations entre les États-Unis et la Russie se détériorent, avec ces accusations de piratage des élections ?

Stone : Ce n’était pas prévu comme ça. C’est une nouvelle crise dans une longue suite de crises. Les États-Unis ont toujours dominé les médias et raconté leur version de l’histoire avec des gros titres dans le monde entier. Vous devez prendre en compte qu’ils n’incluent jamais le point de vue russe, qui n’a jamais été correctement présenté aux Américains. Et lorsqu’il l’a été, il paraît présenté avec sarcasme, en se moquant – ce n’est pas une bonne manière de faire des affaires. Donc ce que nous essayons de faire très clairement est de remonter dans le temps et d’avancer jusqu’à aujourd’hui. Avec la présidence accidentelle de Poutine en 2000.

Il a trouvé la Russie dans un état chaotique – souvenez-vous, les Américains avaient envoyé des équipes d’économistes en Russie, pour conseiller Eltsine. Eltsine avait été un bon ami de M. Clinton, il était vraiment « notre gars ». En 1996, alors que ses sondages d’opinion étaient mauvais, Eltsine a été réélu président. Il y a toujours eu de grandes questions en Russie, cela a été considéré comme une élection frauduleuse, et il y a beaucoup de preuves en ce sens. Il a également obtenu un prêt surprise du FMI, vraiment important, à la dernière seconde, pour maintenir cette économie.

Notre expérience en Russie n’a pas fonctionné : privatisations, transformation de toutes les entreprises publiques. Cela a installé beaucoup de corruption, celle dont nous nous plaignons actuellement. Beaucoup de cette corruption est venue de cette période. Parce que ceux qui étaient intelligents ont eu le tour gratuit. Les gens qui se conformaient aux règles, qui les respectaient, qui avaient des régimes de retraite, des régimes de sécurité sociale, ont vraiment été baisés. [Rires.] C’est ainsi que le PIB de la Russie a perdu environ 40%. C’était un effondrement pire pour eux que la Deuxième Guerre mondiale, qui a causé un préjudice énorme à la Russie. Comme Kennedy l’a dit : « Un tiers des États-Unis, de Chicago à New York, était détruit. » Elle est tombée à peu près au niveau de l’économie de la Hollande.

Depuis que Poutine est entré en fonction, la situation s’est vraiment retournée. Les niveaux de revenu ont augmenté. Il y a toujours des problèmes de pauvreté et des écarts, ceux-ci viennent des années 1990. Les privatisations ont été transformées, modifiées. Il croit en une économie capitaliste de marché, plus du côté européen que du côté américain. Il a promulgué une réforme financière. Il s’est fait de nombreux ennemis, comme vous pouvez le dire, des gens qui avaient profité des années 1990. Pas tous, mais beaucoup se sont exilés, ils ont pris l’argent et sont partis.


The Nation :Les oligarques ?

Stone : Ouais, on les appelait les oligarques. Beaucoup sont restés et ont travaillé avec le gouvernement.

The Nation : La Russie devrait-elle être un partenaire de l’Amérique en terme de sécurité nationale, au lieu d’être vue comme l’ennemi public numéro un ?

Stone : Absolument. L’Amérique et la Russie ont beaucoup d’intérêts communs, y compris la guerre contre le terrorisme. Dans l’espace, ils seraient des alliés essentiels. Nous ne devrions pas militariser l’espace, ce qui est l’une de leurs plaintes. Le contrôle du climat, certainement… Il y a de l’espoir qu’il y ait des partenariats dans tous ces domaines – et pour être des partenaires dans tout cela – et pour un monde sûr.

The Nation :Vous avez été un grand critique des médias dominants. Que pensez-vous de la vision qu’ont ces derniers de Poutine ?

Stone : Elle a été lamentable en Occident. Au début, quelques choses positives ont été écrites lorsqu’il a amené un peu d’ordre dans le chaos. Mais lorsqu’il a émergé comme un fils de la Russie, pour ainsi dire, agissant dans l’intérêt propre de la Russie, comme les pays sont supposés le faire, je pense qu’il a pris les dirigeants européens, l’élite, par surprise, dans sa fermeté et sa cohérence. Une guerre médiatique contre lui a commencé en février 2007 [lorsque Poutine a critiqué l’unilatéralisme américain pour son « usage démesuré de la force, presque incontrôlé, dans les relations internationales » à la conférence sur la sécurité de Munich].

The Nation :Ce qui me frappe le plus dans votre œuvre de fiction et de non-fiction, de JFK à Untold History, c’est que vous opposez de manière cinématographique un contre-récit à la version officielle dominante sur les événements et les personnes. En quoi votre point de vue sur Poutine est-il différent de la sagesse conventionnelle des médias dominants ?

Stone : Dans notre documentaire, il entre dans les détails – c’est important pour comprendre l’histoire et les origines –, il entre dans trois chocs qui lui ont été infligés par l’expansion américaine de l’OTAN, qui a commencé en 1999, où 13 pays lui ont été ajoutés. L’OTAN a une autre signification pour les Russes que pour la population européenne…


L’OTAN comme il l’explique est presque un État-nation en soi qui s’empare du mécanisme militaire du pays avec lequel il s’allie. Celui-ci devient un pays de l’OTAN. La planification de l’OTAN, l’utilisation de ses pays pour des opérations de mise en scène, de jeux de guerre et peut-être pour finir comme un otage de guerre, quelqu’un en première ligne. L’OTAN est un engagement sérieux… L’OTAN est vendue comme une alliance anti-russe… C’est très important pour les États-Unis, et je ne pense pas qu’il soit dans l’intérêt de l’Europe d’être l’otage en première ligne dans une situation qui a été exagérée. Mais amener l’OTAN aux frontières de la Russie est à la limite – c’est comme si [la Russie] mettait des troupes au Mexique et au Canada, juste aux frontières, en disant nous ne vous faisons pas confiance, nous allons tomber sur vous à un moment donné. C’est une tension pénible. Ça s’est appelé une « stratégie de la tension », et c’est une stratégie très importante pour les intérêts occidentaux… Mais les Russes n’ont exercé aucune pression sur nous, ils n’ont pas déplacé de troupes – c’est les États-Unis qui le font. Combien de bases avancées avons-nous – 800 ? plus des troupes d’opération spéciales dans 130 pays – nous nous sentons menacés, nous nous sentons encerclés…

Ce que M. Poutine dit, c’est : « Qui apporte le désordre au monde ? » Si vous mettez ça sur une carte et dites : « Où sont les troupes, où sont les bases, où vont les armes ? »

 Lisez la deuxième partie de cet article

yogaesoteric
12 décembre 2017

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