20 ans de génocide en République démocratique du Congo – 5,4 millions de victimes

A la fin de 2017 on reparlait de la République démocratique du Congo, où une extermination silencieuse doublée d’une crise humanitaire catastrophique est en cours depuis deux décennies. Retour sur les responsables et les alliances qui perpétuent cet interminable conflit essentiellement mené pour le profit. Nous arriverons au vingtième anniversaire de l’invasion du Congo par les armées fantoches des USA rwandaise et ougandaise, en 1998. Depuis, 5,4 millions de personnes ont été victimes. La journaliste de Black Agenda Report Ann Garrison a rencontré Sylvestre Mido, de l’association Genecost, sur l’invasion et ses conséquences actuelles.

 

Genocost, un groupe de défense congolais basé au Royaume-Uni, a commémore le génocide du Congo le 2 août 2017. Le 2 août est le jour où des alliés des USA, le Rwanda et l’Ouganda, ont envahi la République démocratique du Congo, lançant la Seconde guerre du Congo en 1998. Bien qu’un traité de paix ait été signé en 2003, la violence, les déplacements de masse, et les massacres continuent. Les épidémiologistes de guerre qui travaillent avec l’International Rescue Committee ont estimé les morts à 5,4 millions au cours des dix dernières années de cette guerre qui dure depuis presque vingt ans. Genocost demande que les nations du monde reconnaissent formellement le 2 août comme jour de commémoration du génocide du Congo.

Ann Garrison : Sylvester, pourquoi est-ce que votre groupe commémore un génocide qui se poursuit ? Les génocides et les autres tragédies de cet ordre sont généralement commémorés après leur fin.

Sylvestre Mido : Nous voulons commémorer le génocide au Congo parce que le Congo a une histoire pleine de tragédies oubliées. Il n’y a pas de commémorations pour les dix millions de Congolais tués sous le règne de terreur du roi des Belges Léopold II. Le roi Léopold II a exterminé presque la moitié de notre population à cette époque – il y a plus d’un siècle – au nom du caoutchouc, de l’ivoire et de l’or. Dans d’autres pays, des monuments seraient construits après une tragédie pareille, des livres seraient écrits, et cette histoire serait enseignée à l’école. Mais dans nos écoles, nous apprenons que Léopold II était notre « Roi Bâtisseur ». On nous a raconté comment il aidait à bâtir notre pays en construisant des routes et des infrastructures. Ce personnage est encore vendu aux enfants congolais presque comme « un sauveur » de notre pays. A ce jour, de nombreux congolais chez nous en parlent encore, ainsi que des autres colons belges, comme de Nokos (oncles maternels).

Ce n’est qu’après avoir déménagé au Royaume-Uni que j’ai découvert la véritable histoire de Léopold II dans un documentaire de la BBC, « Roi blanc, caoutchouc rouge, mort noire » (White King, Red Rubber, Black Death).

AG : OK, attendez, parce que les bras m’en tombent. Vous êtes en train de me dire que vous êtes allé à l’école au Congo, et qu’on vous a parlé du glorieux roi Léopold sans vous dire qu’il avait massacré la moitié de la population ?

SM : Oui.

AG : Ils ne vous ont pas dit ça ?

SM : Non.

AG : Est-ce la même chose dans tout le système scolaire congolais ?

SM : Pour autant que je sache, c’est la situation générale. A ce jour, le Congo enseigne le programme scolaire laissé par les Belges après la colonisation.

AG : Donc, qu’avez-vous fait après avoir vu « Roi blanc, caoutchouc rouge, mort noire » ?

SM : Découvrir la véritable histoire de Léopold II m’a fait comprendre l’importance pour nous, en tant que nation, d’apprendre et de raconter notre propre histoire, et de la transmettre à la génération suivante dans l’espoir qu’elle ne souffrira pas comme les anciennes générations. Aujourd’hui, le Congo subit de nouveau presque exactement la même exploitation inhumaine que sous Léopold – le massacre systématique et la réduction en esclavage des Congolais au nom de leurs ressources. Nous avons donc commencé par une commémoration du jour où cela a débuté. Le 2 août est l’anniversaire du début de la Deuxième Guerre du Congo, et nous la commémorons pour rappeler aux communautés congolaises, au pays et à l’étranger, que depuis cette date, des millions de Congolais ont été tués, violés, enlevés, et asservis pour nos ressources naturelles. Nous devons nous souvenir d’eux et travailler à mettre fin au massacre.

AG : J’imagine que vous voudriez aussi que nous autres, qui ne sommes pas Congolais, nous nous élevions contre le massacre et que nous aidions au travail pour y mettre fin ?

SM : Oui, Nous voulons que nos amis à travers le monde se rangent de notre côté et nous aident à mettre fin aux massacres. Le Congo a beaucoup à offrir au monde. C’est un pays d’une incroyable beauté, dont la richesse dépasse de loin ses seules ressources minières. Le Congo abrite l’une des plus grandes jungles tropicales au monde, qui arrive juste derrière l’Amazonie, ce qui signifie qu’elle occupe une partie importante des poumons de la planète. L’exploitation forestière sauvage et la déforestation sont en train de détruire non seulement les peuples indigènes des forêts, mais aussi le climat de la planète. Nous sommes connus pour notre gentillesse, le dynamisme de notre culture, notre musique et notre art, et nous aimerions partager cette beauté avec le reste du monde, mais tant que la violence continue, nous ne perdons pas seulement notre population, mais aussi notre culture, notre environnement et nos chances de participer à la lutte contre les catastrophes climatiques. Nous demandons donc à tous de se joindre à notre combat.

AG : Pourriez-vous nous parler de l’aide que vous avez reçu de Jeremy Corbyn ?

SM : J’ai rencontré Corbyn la veille de Noël 2011, quand j’ai participé à une manifestation devant le 10, Downing Street, dans le froid et la pluie, avec des centaines de Congolais, pour protester contre les élections truquées au Congo. Un homme âgé est venu vers moi et m’a dit qu’il voulait parler avec nous, et les anciens ont dit, « laissez-le parler, c’est le député d’Islington », qui comporte une forte communauté congolaise. C’était Jeremy Corbyn, et il nous a dit qu’il était allé au Congo, qu’il comprenait ce qui s’y passait, et qu’il voulait encourager notre action parce qu’elle méritait beaucoup plus de visibilité mondiale. Je suis donc ravi que des années après, Jeremy Corbyn dirige le Parti travailliste et ait de bonnes chances de devenir Premier ministre. Et il n’a pas fait que parler. Après cela, il a demandé au Parlement de voter une motion déclarant les résultats des élections congolaises de 2011 non crédibles.

AG : Je suis allée chercher des renseignements sur la motion de Corbyn – présentée au Parlement le 12 décembre 2011. Malheureusement, seuls 30 des 650 membres du Parlement, dans la Chambre des communes, ont voté pour.

SM : Oui, mais il est de toutes façons significatif que Jeremy Corbyn ait porté notre cas devant le Parlement et que nous ayons eu ces quelques soutiens.

AG : Et c’est particulièrement important parce que le Royaume-Uni et les USA sont les puissances les plus influentes au Congo et dans la région africaine des Grands Lacs, n’est-ce pas ?

SM : Oui, le Royaume-Uni et les USA sont les principaux donateurs bilatéraux au Congo et au Rwanda, et je pense donc qu’avoir quelqu’un comme Jeremy Corbyn au pouvoir pourrait changer les choses de façon positive. Je ne me fais pas d’illusions, son élection seule ne suffirait probablement pas pour mettre fin au génocide. Une armée de multinationales et de lobbies le combattraient. Mais cela enverrait un signal fort à Paul Kagame au Rwanda et à tous les autres dictateurs et seigneurs de la guerre divers qui sèment le chaos au Congo et dans la région des Grands Lacs. Cela leur ferait savoir que leurs alliés habituels, y compris Tony et Cherie Blair, ne seraient plus à la barre et en mesure de les protéger plus longtemps.

AG : Quelques écrivains et universitaires ont dit que le mot génocide est si galvaudé et politiquement instrumentalisé qu’ils ne l’utilisent plus, ou ne l’utilisent plus que rarement. Parmi ces gens, nous avons notamment les professeurs Edward S. Herman et David Peterson, co-auteurs de « Génocide et propagande : L’instrumentalisation politique des massacres » et Noam Chomsky, qui en a écrit la préface. Je suis d’accord avec eux, mais ceci est votre histoire, alors expliquez-nous pourquoi votre groupe et vous revendiquez le mot « génocide » ?

SM : L’article II de la Convention de l’ONU sur le génocide le définit en cinq critères :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Tous ces critères sont présents au Congo. Les Congolais sont systématiquement massacrés. Des enfants sont soustraits à leurs familles pour être entraînés comme soldats ou travailler comme esclaves dans les mines. Les femmes sont systématiquement violées, séparées de leurs communautés et abandonnées à leur sort avec des maladies sexuellement transmissibles. Nous avons des générations entières qui en sont affectées. Chacun des maux infligés à la population du Congo répond à la définition du génocide en elle-même. Mais quand les cinq se produisent au même endroit, en même temps, vous ne pouvez plus soutenir que ce ne soit pas un génocide. Un génocide est ce qui est en train de se produire au Congo. C’est ce qui se produit depuis bientôt vingt ans. C’est un massacre systématique, soutenu. C’est un massacre mené par le besoin de faire des profits, et par la demande mondiale de cuivre, de coltan et d’autres ressources minières détenues par les Congolais.

AG : C’est donc organisé et systématique – pour séparer les populations de leurs terres et de leurs ressources.

SM : Oui, c’est exactement ce qui se passe.

AG : D’autres crimes internationaux qui ne sont pas répertoriés dans la Convention de l’ONU sur le génocide sont également commis au Congo. Ils ont été définis par les Nations-Unies comme suit :

a) Crimes contre la paix i) Projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d’agression ou une guerre faite en violation de traités, accords et engagements internationaux;

ii) Participer à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes mentionnés à l’alinéa i.

Le Rwanda et l’Ouganda ont tous deux violé de façon répétée le premier principe du droit international en envahissant le Congo. Ils sont aussi commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, tels que définis par les Principes de Nuremberg :

b. Crimes de guerre :

Les violations des lois et coutumes de la guerre qui comprennent, sans y être limitées, les assassinats, les mauvais traitements ou la déportation pour les travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction perverse des villes ou villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires.

c. Crimes contre l’humanité :

L’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions sont commis à la suite d’un crime contre la paix ou d’un crime de guerre, ou en liaison avec ces crimes.

On pourrait soutenir que la Convention sur le génocide comprend la plupart de ces crimes, mais un crime qu’il n’inclut pas est le « pillage des biens publics ou privés ». Pensez-vous que votre groupe pourrait ajouter les violations des Principes de Nuremberg à la liste des crimes commis au Congo ?

SM : Ces principes auxquels vous faites référence ont été violés de façon systématique par les armées du Rwanda et de l’Ouganda au Congo. Un des pires exemples qui me vienne à l’esprit est la guerre de six jours à Kisangani, au cours desquels des troupes rwandaises et ougandaises se sont combattues pour des richesses minières sur le sol du Congo. Ils ont détruit toute une ville remplie de civils. Nous pourrions aussi ajouter ceux-là à la liste des crimes commis pendant ce conflit, mais pour le moment, nous voulons concentrer l’attention du public sur le tableau général, en leur demandant de reconnaître le génocide. Cela, malgré tout, n’est pas quelque chose que l’ONU et la « communauté internationale » feront, en toute probabilité, si cela ne sert pas leurs intérêts – ou tant que cela ne les sert pas.

La plupart des groupes d’activistes congolais se concentrent sur le lobbying auprès de l’ONU et d’autres structures politiques pour qu’elles reconnaissent ce qui se passe au Congo et qu’elles y fassent quelque chose. Nous n’avons rien contre cela, mais nous pensons qu’il est également très important, sinon encore plus, de gagner le soutien de la population congolaise elle-même. Une fois qu’un pays se lève pour protester et exiger qu’on lui fasse justice, il devient difficile pour ceux qui voudront travailler avec nous à l’avenir de continuer leurs exactions et leurs agressions. Une fois que nous aurons reconnu ce que nous traversons, il deviendra difficile pour les autres de le réfuter, et c’est à cela que nous travaillons. L’auto-détermination.

AG : OK, permettez-moi de poser quelques questions sur l’occupation du Congo par le Rwanda, pour finir. Dans son livre, « Les champs de la mort de Kagame », David Himabara écrit, « En 1997, Kagame était devenu la principale force d’occupation dans la République démocratique du Congo, un vaste pays quatre-vingt-dix fois plus grand que le Rwanda ». Est-ce que vous décririez cela comme une occupation encore aujourd’hui ? [Kagame est soutenu par les USA et le Royaume-Uni, Ndt]

SM : L’influence de Kagame en RDC n’est un secret pour personne. Il peut bien la nier, mais l’ascension soudaine de Congolais rwandophones à des rôles-clés du gouvernement congolais et de l’armée de la RDC n’est pas une coïncidence. Des groupes de rebelles comme le M23, dont les atrocités sont bien documentées, passent sans cesse la frontière entre la RDC et le Rwanda. Ils « disparaissent » simplement au Rwanda quand cela les intéresse.

AG : Est-ce que vous pensez que cette occupation pourrait être maintenue sans l’assistance de puissances plus importantes que le Rwanda ?

SM : Non. Il serait ridicule d’imaginer que dans le monde d’aujourd’hui, le Rwanda pourrait occuper militairement une nation de la taille du Congo par ses seuls moyens. Même les provinces du Kivu présentent un trop grand défi. Ceux qui espèrent balkaniser la RDC en séparant les provinces du Kivu, qui sont riches en ressources minières, du reste du pays en ont été pour leurs frais, malgré de nombreuses tentatives. Le Rwanda a réussi à tenir jusqu’ici parce qu’il est soutenu par des super-puissances dont les corporations bénéficient de la contrebande de minerais. Ce sont les mêmes super-puissances qui vendent des armes à des milices, des deux côtés de la frontière RDC/Rwanda, depuis vingt ans. Ils continuent à alimenter le conflit, qui s’est révélé un business très profitable sur de nombreux plans.
 
 
 

yogaesoteric

19 mars 2018

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