Comment les médias forment et déforment notre réalité (2)

 

Lisez la première partie de cet article 

La concentration de la presse

À tout cela s’ajoute la concentration de la presse où les médias se retrouvent entre les mains d’un nombre de plus en plus restreint de propriétaires. Ce qui facilite encore plus le contrôle de l’information, puisque le contenu est de plus en plus le même, d’un média à l’autre.

À titre d’exemple, en ce qui concerne la presse écrite au Québec, comme l’a démontré le Centre d’étude des médias de l’Université Laval, la très grande majorité des organes médiatiques est divisée entre seulement quatre grands propriétaires : Gesca, Québécor, Groupe Transcontinental et Rogers Communications. Si l’on ne considère que les impressions quotidiennes, 97% du tirage provient de Gesca (52% divisé entre La Presse, Le Soleil, Le Droit, La Tribune, La Voix de l’Est, Le Nouvelliste et Le Quotidien) et de Québécor (45% avec le Journal de Montréal et le Journal de Québec), laissant un maigre 3% au Devoir, le seul quotidien indépendant au Québec.

Ailleurs dans le monde, le portrait est similaire dans la plupart des pays occidentaux. Aux Etats-Unis, seulement cinq grandes corporations se partagent, en 2006, le terrain de jeu médiatique alors que vingt ans plus tôt, en 1983, ils étaient plus de cinquante ! Ainsi Disney, Viacom, Time Warner, News Corp, et la General Electric se disputent près de 90% du marché médiatique américain.

En Belgique, trois groupes de presse se partagent un lectorat de 4 millions de francophones (près de 15 titres), soit Rossel, IPM et Mediabel. En Suisse, selon le portal observatoire des médias Acrimed.org, c’est dans le marché germanophone que la concentration se fait le plus sentir. Toutefois, le marché francophone suisse n’échappe pas à la tendance.

« La concentration des médias helvétiques s’accélère et prend une forme nettement hiérarchisée à deux niveaux – national et régional (cantonal ou supra-cantonal) –, les entreprises locales indépendantes perdant de plus en plus de signification. Au sommet, on trouve les groupes ayant une dimension nationale, avec, pour certains (Ringier et Edipresse), des extensions internationales », rapporte Jean-François Marquis dans son article Concentration et hiérarchisation dans la presse en Suisse.

Finalement en France, la plus grande partie des médias est sous l’influence de cinq groupes. Le marché français a ceci de particulier que cette forte concentration est aggravée par les alliances entre certains de ces groupes. « Ces connivences génèrent de multiples dérives, notamment l’abolition de la frontière entre information et divertissement ainsi que l’uniformisation des contenus à l’exclusion de nouveaux venus qui n’appartiendraient pas au sérail, des pressions sur les hommes politiques à l’autocensure sur les sujets tabous où l’autocensure est pratiquée sur les sujets tabous », décrit le Président de l’Observatoire français des médias, Armand Mattelart.

Le marché français de la télévision privée est entre les mains de trois groupes industriels multinationaux, soit Bouygues (possédant de larges part de TF1), Lagardère (possédant de nombreux canaux spécialisés) et Vivendi (propriétaire de Canal Plus) ainsi que du géant mondial allemand de la communication, Bertelsmann, propriétaire notamment de M6. Ces groupes occupent également une place de choix dans les autres médias : presse écrite, radio, cinéma, musique, etc.

« À l’affrontement, ces groupes préfèrent des stratégies d’alliance, les concurrents deviennent ainsi des partenaires, que l’on ménage et qui vous ménagent, même si chaque groupe cherche à accroître l’audience de ses chaînes ou à attirer plus de publicité. (…) Le grand nombre de titres de presse écrite, de chaînes de télévision, d’éditeurs de livres, masque l’ampleur de la concentration dans les médias et ses effets dévastateurs. La concentration au sein de chaque média (télévision, la presse…) n’est qu’un aspect, car les groupes les plus puissants sont multimédia. Ils ont des positions fortes à la fois dans la télévision, la presse, l’édition, … et sont intégrés à des groupes industriels », expose Janine Brémond dans La concentration dans les médias en France.

Avec cette concentration de la presse, les démocraties libérales s’éloignent du plus en plus de leur principe fondateur tant vanté sur la scène internationale, soit « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Cette notion centrale lors de la fondation de la plupart des démocraties occidentales garantissait notamment la liberté de presse et libre circulation de l’information, conditions fondamentales permettant au peuple d’être en mesure de déterminer lui-même ses besoins, de prendre lui-même ses décisions, parce que bien informé grâce à des sources variées.

En résumé, on peut dire que le peuple ne possède plus les médias, il les avait confiés, sans le vouloir, à de grosses corporations, lesquelles ont un agenda précis qui ne va pas nécessairement dans le même sens que le peuple. Pour ces chefs d’entreprises, leurs médias ne sont vus que comme des outils les aidant à atteindre leurs fins.

Les journalistes ne sont plus objectifs

Qu’en est-il maintenant du travail des journalistes, lesquels livrent au gens l’information au jour le jour ? Comme pour les médias, définissons d’abord ce qu’est un journaliste : c’est un professionnel qui se bâtit une crédibilité en rapportant des rumeurs, des histoires, des opinions et des faits dont il tente d’en vérifier toute la validité avant de les rapporter au plus grand nombre.

En théorie, cette mission semble assez noble. Mais puisque un journaliste travaille pour une entreprise de presse, dont l’information est soumise aux filtres mentionnés plus haut, et auxquels s’ajoutent ses propres filtres, l’information qui sortira de sa plume ou de son micro sera des plus subjectives.

Et on ne parle même pas des biais possibles, conscients ou inconscients, chez les journalistes qui, avant de couvrir un événement, ont déjà leurs propres opinions, elles-mêmes forgées auparavant par le monde médiatique auquel ils appartiennent. Cette opinion viendra orienter toute la cueillette d’informations, où seulement l’information allant dans le même sens que leur opinion préfabriquée sera retenue.

« Aujourd’hui, la plupart des journalistes conviennent qu’il est impossible d’atteindre une parfaite objectivité. Quand le journaliste choisit l’orientation de son article et les éléments d’un événement, il prend déjà parti. », souligne le Réseau éducation-média sur son site Internet.

D’ailleurs, au sujet de la soi-disant « objectivité » journalistique, il est intéressant de noter que dans les années 1990, la Society of professionnal journalists américaine a éliminé le concept d’objectivité de son code d’éthique. Le mot objectivité ne représente plus ce que les journalistes sont en mesure d’accomplir, ni ce que le public doit s’attendre de leur travail.

L’objectivité désormais acceptée comme étant une illusion, ils préfèrent dorénavant se donner bonne conscience en soulignant que le mieux qu’ils peuvent faire, c’est de présenter des points de vue divergents. On quitte alors le domaine des faits, pour l’univers de la confrontation d’opinions, dont il est difficile, comme on l’a vu en début de texte, de déterminer à quel degré elles sont conformes à la réalité.

Et c’est sans compter que les journalistes aiment bien teinter subtilement leurs reportages de leurs propres opinions, comme s’il s’agissait de faits. Une tendance née dans les années 1960 qui est désormais fort répandue, comme le mentionne le Réseau éducation-média.

« Plusieurs journalistes ont déclaré (par le passé) que, puisqu’il était impossible d’atteindre une parfaite objectivité, c’était une erreur de présenter les nouvelles comme si elles avaient été enregistrées et présentées par un reporter robot, sans que ses sentiments et ses opinions n’interviennent dans le processus. Non seulement fallait-il reconnaître la présence du reporter, mais il fallait également que ses sentiments et ses opinions soient intégrés à la nouvelle », est-il rapporté.

Le « mensonge » journalistique

En éliminant le principe même d’objectivité, on peut craindre les pires dérives. Il se peut fort bien qu’en bout de ligne tout ce qui est rapporté, écrit et raconté, ne soit que partiellement vrai, soit biaisé, soit même, dans certains cas, largement ou même totalement faux. Il est arrivé à plusieurs reprises par le passé que les informations rapportées par des journalistes soient carrément fausses, parce que la source a menti ou parce que le journaliste a menti.

À ce sujet, aux Etats-Unis seulement, le média alternatif www.americanthinker.com a recensé plus d’une soixantaine de cas où des journalistes ont été sanctionnés, au cours de plus de 25 dernières années, pour mensonges, falsification et accusations mensongères. Il est même arrivé qu’une journaliste du Washington Post, Janet Cook, gagne un prix Pulitzer (le plus grand prix de journalisme aux USA) pour un reportage issu à 100% de son imagination !

Tout cela est compréhensible dans le contexte actuel où ce n’est pas tant le fond qui compte, mais plutôt la primeur, le scoop, qui fera en sorte de donner une certaine gloire au média qui la sort et, surtout, au journaliste qui la produit.

Dans un univers où les journalistes peuvent aussi devenir des « stars », la grande visibilité qui leur est donnée grâce à ces primeurs devient pour eux une chasse quotidienne où tout sujet, toute affectation, peut devenir une opportunité de se démarquer des autres.

Il ne traitera plus l’information qu’il recueillera en vertu de l’importance du contexte, mais plutôt pour ses aspects sensationnalistes. Il pourra ainsi mieux vendre sa nouvelle à ses patrons dans le but, bien entendu, qu’elle soit mise le plus en évidence possible, où l’objectif ultime est la manchette ou le « prime time ».
Pour y arriver, certains journalistes seront prêts à tout, même à prendre des moyens assez malhonnêtes pour y arriver.

Le moyen le plus commun est de prendre un détail anodin qui, une fois grossi à la puissance dix, sera très dérangeant. C’est ainsi qu’une exception dans un domaine peut être présentée comme si c’était la norme. Souvent dans les médias, ce n’est plus l’exception qui confirme la règle, mais l’exception qui devient et explique la règle.

« L’anecdote se trouve au début de chaque sujet. Tout part du fait particulier, du fait divers du jour, et s’étend vers le problème plus vaste qu’il semble contenir en lui-même, ou que les journalistes font mine de croire qu’il contient. Comme si ce dernier détenait en lui toutes les causes et toutes les conséquences qui ont fondé la situation plus générale qu’il est censé démontrer », décrie Pierre Mellet dans son article Comment la structure rituelle du Journal télévisé formate nos esprits.

Vient ensuite le choix des personnes interviewées. Il est facile de biaiser un article en donnant une voix prépondérante à un individu ou groupe en ne présentant qu’un côté de la médaille, tout en laissant que peu ou pas de place pour l’autre côté. En ignorant certaines sources ou informations qui auraient pu équilibrer les points de vue, les journalistes occultent ainsi une partie de la réalité.

Et finalement, l’absence d’un droit de réplique. Il est fréquent de voir des accusations être émises lors de reportages et, surtout, lors d’enquêtes, sans pour autant permettre aux « accusés » de se défendre. Au nom de l’intérêt public, tout individu ou groupe vu par les journalistes (selon ses propres convictions) comme une « menace » pour la société sera vilipendé sur la place publique sans même pouvoir s’expliquer.

Le professeur Alain Bouchard en fait d’ailleurs la démonstration avec les minorités religieuses dans son essai Dis-moi ce que tu vois, je te dirai ce que tu es.

« En matière de nouvelles religions, écrit-il, les médias décrivent ces groupes à partir de leur monde, de leur contingence, de leur univers de sens. (…) La secte devient synonyme de danger, de menace pour la société. Comme les médias jouent un rôle important dans la construction de l’opinion public, cette image négative peut amener l’ensemble de la population à se méfier des minorités religieuses et à les juger à partir des préjugés transmis par les médias. Ce phénomène soulève un problème éthique, car si le journaliste donne une information qui ne respecte pas les faits et que cette information porte un préjudice à des individus, quelle responsabilité est en cause ? »

Malheureusement, les journalistes seront portés plus souvent qu’autrement à se laver les mains de cette responsabilité, car ils ont le sentiment de n’avoir fait que leur boulot, de n’avoir servi que l’intérêt public. Mais quand on gratte un peu, on se rend compte que l’intérêt premier qui a été servi est le leur, ainsi que celui de leur employeur.


Lisez la troisième partie de cet article

 

yogaesoteric
14 novembre 2018

 

Leave A Reply

Your email address will not be published.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

This website uses cookies to improve your experience. We'll assume you're ok with this, but you can opt-out if you wish. Accept Read More