6. Le problème de l’individualité dans la spiritualité orientale

un article de Gregorian Bivolaru

Cette idée nous conduit au problème de l’individualité. A la première vue pour de nombreuses parsonnes il peut sembler paradoxal que l’individu doive renoncer pour toujours à toute forme d’ego, à toute histoire personnelle, pendant que l’individualité est, au moins en apparence, le mode privilégié (pour ne pas dire exclusif) de manifestation de BRAHMAN (DIEU) qui désire se connaître soi-même.

Pour la plupart d’entre nous il est évident que les gens tiennent beaucoup à leur histoire. Ils créent des archives ; des bibliothèques, des banques de données. Tout est enregistré. Lorsque les sources écrites manquent, ils font des recherches archéologiques, ensuite ils plongent dans des calculs sur le futur et dans certaines situations ils délirent sur l’évolution. Ici apparaît comme évident le symptôme d’une peur viscérale face à la disparition définitive, face à la perte de la personnalité, la peur d’oublier toutes ces traces: suprême et toute vaine justification pour assurer à l’homme que son futur a une grande importance dans le temps et l’espace. Contrairement à la conviction générale, le plus souvent nous ne vivons pas dans le présent, mais dans le passé ou le futur. Ce que nous prenons pour le présent ce n’est qu’un passé ou un futur plus ou moins proche ; le moment présent est presque toujours passé ou à venir. Le vrai présent est pour le tantrique le temps aboli, la DURÉE UNIQUE. Mais l’homme a une grande horreur de cela, de même qu’il a horreur de la couleur noire ou du silence ; il peut perdre sa tête si sa faible mémoire le quitte. Et de plus, en constatant comment cette mémoire personnelle et cette tendance à se cacher dans l’oublisont précaires, l’homme crée une mémoire collective, sous la forme de la tradition et de l’histoire, à laquelle il pourra faire appel à tout moment, à tout signe de faiblesse, pour s’assurer de la continuité de son monde et surtout pour se sentir moins seul.

Sans cette culture, ses fondements seront détruits et l’éego disparaîtra, car comme on le sait, celui-ci n’a pas de consistance hors des références qu’il maintient pour survivre. La perfection dans la dualité sombre, mais nécessaire pour que le monde soit ce qu’il est, conduit naturellement à la confusion d’entre l’Ego et le Soi Suprême (ATMAN).

La culture et l’hérédité se présentent, à des degrés différents, comme une somme des conditionnements individuels qui résultent eux-mêmes de la mémorisation des impressions reçues (SAMSKARA) par chaque individu au cours du temps. Si l’histoire collective et la culture ont une valeur éducative, elles ne peuvent pas du tout prétendre à déclencher, ou au moins favoriser notre libération, parce qu’elles sont le produit de nos conditionnements et alors comment pourraient-elles nous libérer de ceux-ci? En sachant cela nous nous rendons compte que nous sommes obligés de revenir au « je suis » qui, bien sûr, traverse chaque individu.

Mais en lieu de nous maintenir stables sur ce point, nous nous proposons toujours de le qualifier, lui offrant divers attributs. Ainsi nous nous identifions à notre corps, à notre intellect, à notre profession, et finalement au personnage qui a une histoire personnelle et qui alors se prend très au sérieux, qui a une « personnalité » et un libre arbitre, d’ailleurs très négligeable. Dans ce sens, avoir une personnalité est toujours le problème de ceux qui désirent cela et jamais le problème du Soi Suprême (ATMAN).

Car notre Soi Suprême (ATMAN) n’a aucune histoire. Il est sans cause. Il est le centre à travers lequel on arrive par la révélation du vide béatifique, l’axe central de la roue d’où jaillissent toutes les rayons et autour duquel tout s’organise et fonctionne. Sans lui rien ne se soutient, rien de s’ordonne et rien n’existe. Il est la cohérence même. Et sans la roue, autrement dit, sans le monde, il ne peut plus être appréhendé, il devient BRAHMAN (DIEU), le Soi, neutre et indéterminé.
Par conséquent, sans ce corps personnel, sans ce mode de manifestation privilégiée et individuelle, le vrai Moi, qui est le Soi Suprême (ATMAN) resterait pour toujours hors du pouvoir de compréhension, existant de manière impersonnelle (dans ce sens nous pouvons nous rendre compte que tout paradoxe donne de la vie parce qu’il nous approche de la vérité, mais il est bien de ne pas en abuser arbitrairement, seulement pour faire impression ou pour paraître intelligents).

Pour exprimer les mêmes vérités en termes sanscrits, nous pouvons dire qu’ATMAN, le Soi Suprême, la Conscience la plus pure et la plus élevée du “je suis” n’est autre chose que le Soi Éternel, autrement dit BRAHMAN (DIEU), mais perçu de manière individuelle. Par lui-même, au niveau de la raison ou de la conversation, BRAHMAN (DIEU) reste un simple concept: “celui-là”, le Soi Suprême (ATMAN), une sorte de “quelconque”. Par contre, notre Moi peut être perçu de manière concrète, purement et simplement parce que “je suis”!
 
Dans ce sens il est même très indiqué de ne pas utiliser d’autres termes pour désigner cet aspect et spécialement non pas le mot “âme”, qui est une source constante de confusions systématiques et fatales. Certains termes devaient être purement et simplement effacés du vocabulaire, parce que, dans de nombreuses situations, ils donnent naissance aux préjugés, aux opinions préfabriquées, au désordre, à des intentions et à ce que l’on considère être “a priori”. Le simple fait que parfois nous pensons à ces termes suffit pour nous rendre vulnérables aux plus mauvais conditionnements.
 
D’ailleurs, il ne faut jamais oublier que l’utilisation des mots les plus communs, moins chargés du pathos ancestral, respectivement toutes les tentatives d’explication – ne nous font pas avancer, par eux-mêmes, ni même un seul pas sur la voie de la vérité et ne nous offre la clef pour nous établir au centre (le Soi Suprême), tel que nous observons de l’intérieur le mouvement de la roue, sans interrompre son activité. Leur utilité ressemble parfois à celle d’une épine qui nous sert à enlever une autre épine qui nous a transperçé la peau. Après avoir fini l’opération, les deux épibes deviennent inutilse et elles seront jetées. Il est intéressant de remarquer que formuler clairement un concept n’est pas entièrement inutile, dans une certaine mesure, spécialement parce que cela donne naissance à des questions sur la validité du concept même et nous aide ainsi à reconnaître la nécessité impérative de dépasser le concept pour avoir accès à l’expérience de la réalité.
 
Notre histoire personnelle, constituée de toutes les impressions reçues et accumulées, appartient à cette couche assez superficielle. Notre ego est le bout de la chaîne. Nous devrons nous en servir seulement lorsque c’est utile. Mais il occupe toute la place et s’arroge tous les pouvoirs. Notre histoire se réfère à notre ego, non pas au Soi Suprême (ATMAN). Pour le Soi Suprême, ce n’est qu’une anecdote assez dérisoire.

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yogaesoteric
 

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