Noël : le sens d’une fête (1)

Ressusciter Noël

Noël en tant qu’événement historique est loin d’être la partie de la vie de Jésus la mieux attestée. Deux Evangiles sur les quatre retenus dans la Bible n’en font même pas mention, et Matthieu et Luc ont des versions différentes sinon divergentes. Pourtant, c’est cet épisode qui a connu le plus grand succès, au point de devenir une fête célébrée largement au-delà des cercles croyants. D’autres épisodes tout aussi importants (Jésus prêchant sur une colline de Galilée, Jésus nourrissant des foules, Jésus révélant que nous sommes capables de ne pas sombrer dans la mer de nos peurs…) n’ont pas connu un destin aussi heureux.

 

L’inflation qu’a connue Noël a provoqué une débauche de moyens pour marquer cet événement (célébrations, repas, cadeaux, décorations, contes, chants) et, dans le même temps, une exaspération croissante chez ceux qui constatent un écart grandissant entre le message de Noël et sa commémoration, entre l’esprit et la lettre. A cela s’ajoute la tristesse voire la profonde mélancolie de tous ceux qui n’ont pas la tête à se réjouir soit parce qu’ils sont seuls alors qu’une majorité parle de Noël comme d’une fête éminemment familiale, soit parce qu’ils sont blessés par la vie à bien des titres alors qu’une majorité voit en Noël matière à se réjouir. Le contraste est d’autant plus saisissant lorsqu’on se sent pauvre de relations humaines, pauvre de moyens matériels, pauvre d’espérance, pauvre de joie et de toutes ces belles choses dont Noël fait ses choux gras.

Mais c’est justement à tous ces déçus et ces laissés pour compte que Noël a quelque chose à dire. En effet, rappelons-nous que ce n’est pas pour les bien portants que Jésus est venu, mais pour les malades de la vie, ceux qui ont le cœur brisé, ceux qui ont une vie boiteuse, ceux qui ne voient pas plus loin que le malheur qui les accable. Noël, le véritable Noël, parle avant tout et essentiellement à ces personnes-là. C’est la raison pour laquelle il semble juste et bon de s’imposer Noël, surtout quand le cœur n’y est pas. Il y a, dans ces pages de la Bible, un Evangile particulièrement pertinent lorsque nous sommes écœurés, lorsque notre isolement est à son comble, lorsque tout avenir semble disparu. Il semble juste et bon de trouver en nous au moins une petite place pour accueillir le véritable Noël, laisser un peu de place à ce que le divin a encore à nous faire vivre, un peu de place pour ce que nous n’attendons plus, mais qui peut néanmoins advenir, là, maintenant, justement parce que Noël nous apprend que nous ne maîtrisons pas ce qu’il y a d’essentiel dans la vie. Même les excès de la fête populaire peuvent nous mettre sur la voie de ce que Noël nous promet : une grâce surabondante. La débauche de Noël atteste que nous sommes capables d’une économie où le don l’emporte sur le donnant-donnant, où la beauté l’emporte sur la banalité. Derrière les clichés marchands de cette fête, un désir de vie et de joie se manifeste. Les stéréotypes ressortis une année de plus renvoient à une prière implicite, celle de notre désir d’un autre ordre du monde.

Noël, réalité contemporaine parfois horrible, à première vue, a donc quelque chose de très ancien et de profondément actuel à nous offrir, qui peut se résumer dans cette formule que Wilfred Monod avait écrite sur les murs du centre social La Clairière : « croire quand-même, espérer quand même, aimer quand-même. »

C’est Noël

Au moment où la nuit est si longue, où le froid nous transperce, où la fatigue de la vie nous pèse, on sent bien la soif qui est la nôtre d’un peu plus de fraternité et de compréhension. Depuis toujours les hommes, à cette époque de l’année, célèbrent la lumière qui perce encore et malgré tout l’obscurité du monde, en signe de l’humanité que nous ressentons tous, réelle au fond de nos cœurs.

Du temps des Romains on célébrait les Saturnales. À la date qui correspond aujourd’hui au 17 décembre, pendant une semaine, on se répandait dans les rues avec des lumières et on échangeait des cadeaux. On traitait mieux les esclaves et on faisait même semblant de les servir. On fêtait aussi le Dieu Mithra. C’était un Dieu sauveur qui donnait vie et prospérité, victoire sur le mal. Il avait tué le Taureau dont le « sang éternel » faisait vivre les êtres. Il conduisait le char du soleil et l’on attendait qu’à la fin des temps il paraisse et embrase le monde : le 25 décembre était le jour du « Soleil invaincu ».

Les chrétiens ont aimé ces fêtes, comme nous aujourd’hui. Ils ont pensé tout naturellement que c’était la fête de Jésus-Christ. Qui mieux que lui suscite la tendresse dans nos cœurs ? Qui, plus que lui, met dans nos yeux le regard de la fraternité humaine ? Qui, mieux que lui, renouvelle l’élan vital que Dieu fait monter en nous ? Qui est capable de mieux nous redonner courage pour affronter la vie ? C’est lui, ont dit les premiers chrétiens, qui fait le mieux penser à cette lumière dont nous avons tant besoin en cette période de fatigue. Il est plus humain que Mithra et moins sauvage aussi, son esprit va plus profond finalement que celui des Saturnales.

Les fêtes de fin d’année sont à tous, chrétiens, juifs, musulmans, agnostiques, athées, justes, injustes, croyants, mécréants, car Dieu est le Père de tous les hommes et il se rit de nos distinctions. C’est Noël dans le cœur de tous ceux qu’on invite pour un bonheur normal. C’est Noël quand le pauvre oublie tous les outrages et ne sent plus la faim. C’est Noël quand enfin se lève l’espérance d’un amour plus réel. C’est Noël quand soudain se taisent les mensonges faisant place au bonheur et qu’au fond de nos vies, la souffrance qui ronge trouve un peu de douceur.

Jésus, fils de Dieu


 


Parmi les récits des commencements du Christ dans l’humanité, il y a plusieurs approches différentes. L’Évangile selon Jean aborde la venue du Christ de façon théologique, Christ est la Parole éternelle de Dieu faite chair. L’Évangile selon Marc commence par le baptême de Jésus, avec l’Esprit qui descend et la voix de Dieu qui nomme Jésus son Fils bien-aimé. Les Évangiles selon Matthieu et Luc commencent leur récit avec la conception miraculeuse de Jésus et sa naissance. Ces deux livres sont donc assez proches sur ce point, mais il y a pourtant une différence essentielle entre les deux. Dans le texte de Matthieu, c’est Joseph qui est le personnage principal, c’est lui qui est en contact avec Dieu dans les moments décisifs, alors que dans le texte de Luc, c’est Marie qui a le premier rôle. C’est grâce à elle, grâce à son humilité devant Dieu et sa confiance en lui, que Jésus sera conçu. Qu’est-ce que ces commencements nous disent du salut qui vient en Christ ?

Une vie à recevoir

L’Évangile selon Luc est le plus connu, donnant la trame de la plupart des histoires de Noël. Luc nous propose de nous identifier à Marie, la mère de Jésus, et comme elle, de laisser féconder notre existence par Dieu. Luc nous propose de participer à la conception du Christ en nous, qui est alors à la fois l’enfant de Dieu et notre enfant, à la fois fils de Dieu et fils de l’homme. Et oui, c’est un miracle, c’est à dire quelque chose qui dépasse les simples lois de ce monde, il y a là une dimension supplémentaire qui advient dans notre être et dans notre histoire, celle d’un souffle venu de Dieu.

Cette idée est encore complétée par celle du bébé Jésus déposé dans la mangeoire d’une étable, à Bethléem (nom qui signifie la maison du pain). Ce salut qui nous est ainsi donné en Christ est comme un pain de vie qui nous est donné pour nourrir l’animal que nous sommes et nous donner la vie. Le Christ ne nous sauve donc pas en achetant le pardon de Dieu, il ne s’agit pas non plus pour nous de « revêtir Christ » ou de devenir extérieurement semblable à lui, mais plutôt de le manger, c’est à dire de l’assimiler, de le faire nôtre, de digérer ses paroles et sa façon d’être, sa foi et son espérance pour nourrir notre propre foi, notre propre espérance et notre façon d’aimer.

Une vie à reconnaître et à aimer

L’Évangile selon Matthieu est donc assez proche du récit de Luc par la dimension surnaturelle du salut qui nous est donné en Christ. Mais Matthieu nous propose, lui, de nous identifier plutôt à Joseph et d’adopter Jésus. Contrairement à Marie, Joseph n’est pour rien dans la conception de Jésus, c’est indépendant de sa volonté. Au début de l’Évangile selon Matthieu, Jésus est déjà conçu, la question n’est alors pas de faire naître la vie spirituelle en nous mais plutôt de reconnaître qu’elle existe déjà, de l’adopter, puis de protéger cet enfant de la fureur de ce monde, comme Joseph protège Marie et Jésus d’Hérode.

En offrant à la fois les deux témoignages de Luc et de Matthieu, la première Église chrétienne a fait preuve d’une sagesse pleine de respect, d’intelligence et de foi. Car nous sommes tous concernés par ces deux prédications. Il y a déjà en chacun de nous du Christ qui est déjà là et du Christ qui est encore à concevoir. Peut-être, juste, est-il préférable de commencer avec Matthieu en reconnaissant ce début de Christ en nous, et ensuite, fort de cette foi déjà naissante, nous aurons la force, à l’image de Marie, de dire oui à Dieu, et être de plus en plus porteur de vie, avec lui et grâce à lui.

D’ailleurs, l’Évangile selon Luc se poursuit paradoxalement par un autre engendrement de Jésus comme fils de Dieu, et enfin par une troisième façon dont Jésus est fils de Dieu !

Un amour qui nous aime tel que nous sommes


 


Jésus fut baptisé; et, pendant qu’il priait, le ciel s’ouvrit, et le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix fit entendre du ciel ces paroles : « Tu es mon Fils bien-aimé; en toi j’ai mis toute mon affection », ou « Tu es mon fils, c’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui » (Luc 3:21-22).

Selon les manuscrits, la parole que dit Dieu diffère ainsi, mais les deux versions sont intéressantes.

La première nous dit que Jésus, et nous à sa suite, est fils de Dieu par l’amour que Dieu a pour nous, sa tendresse qui fait que Dieu nous adopte, nous regarde et nous aime comme son enfant aimé plus que tout. C’est par la foi que l’on prend conscience de cette réalité. Cette notion est proche de ce dont témoigne l’Evangile selon Marc.

La seconde version de la parole entendue au baptême de Jésus nous dit que Dieu nous engendre, nous crée comme du même genre que lui, de la même espèce. Ce que les traductions françaises appellent maladroitement l’Esprit est dans la Bible le souffle de Dieu, sa façon de se rendre présent à ce monde pour l’embellir et le vivifier. Ce souffle nous donne la vie comme de l’oxygène à quelqu’un qui étouffe, quand nous l’inspirons, tout notre être, apportant de l’oxygène à nos orteils, à notre cœur et à notre cerveau. Ce souffle sort de la bouche de Dieu, il est comme une parole qui nous dit notre dignité, qui nous dit une confiance. Cette parole est entendue par la foi, cette parole peut nous rendre meilleur, nous engendrer comme capable d’un peu plus de foi, d’espérance et d’amour, à l’image de Dieu.

Cette seconde façon dont Jésus est fils de Dieu, par la grâce et la foi, est proche de ce dont témoigne l’Évangile selon Jean.

Et enfin, Luc nous indique une troisième façon dont Jésus est fils de Dieu, dans une longue généalogie dont voici le début et la fin : « Jésus avait environ trente ans lorsqu’il commença son ministère, étant, comme on le croyait, fils de Joseph, fils d’Héli…fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu. » (Luc 3:23-38).

Lui, Jésus, comme nous, sommes enfants de notre histoire, nous sommes enfants de la terre, mais dans cette dimension-même nous sommes également enfants de Dieu. Cette généalogie de Jésus est faite de personnages de chair et de sang, avec leurs qualités, leurs faiblesses et leurs fautes. Ce n’est pas seulement dans notre dimension spirituelle ou en vue de cette seule dimension spirituelle que nous sommes bénis par Dieu, aimés par Dieu. Notre être tout entier, dans toutes ses dimensions, notre vie tout entière, dans ses plus hautes facultés comme dans ses dimensions les plus triviales est faite pour être bénie par Dieu. Car, comme le dit Jean dans son Évangile, en Christ, nous voyons que la Parole éternelle s’est faite chair, qu’elle a habité parmi nous, en nous, pleine de grâce et de vérité, pleine de tendresse et de fidélité. Elle donne un pouvoir extraordinaire à toute personne, celui de devenir, par la foi, l’enfant que Dieu a déjà reconnu en nous par son amour.

Noël, le Solstice d’hiver – ou la récupération

La fête de Noël (Jul) correspond aux anciennes festivités indo-européennes du solstice d’hiver. Le mythologue Marc de Smedt le rappelle, après bien d’autres : « Noël n’est qu’une adaptation à la nouvelle religion (chrétienne) des fêtes que les Anciens et les Barbares célébraient lors du solstice d’hiver – et il en est de même pour toutes les fêtes chrétiennes, bien que l’Eglise l’ait très longtemps nié » (Le Nouvel Observateur, 23 décembre 1974). C’est ainsi que la fête de l’annonce à Marie, le 25 mars, soit neuf mois avant Noël (durée de la période de gestation) était célébrée à Rome bien avant le christianisme : c’était la fête de l’annonce à Cybèle.

 

Après beaucoup d’hésitations, l’Eglise s’est décidée à fixer la date de la naissance supposée du Christ au 25 décembre afin de la faire coïncider avec un rite plus ancien : la première mention latine de cette date comme fête de la Nativité remonte à l’an 354, la célébration proprement dite n’étant apparue qu’à la fin du IVe siècle. En 525, Dyonisius le Petit, consacrant une tradition alors vieille d’un peu moins d’un siècle, fixe la date de la naissance supposée de Jésus au 25 décembre de l’an 1, qu’il assimile à l’an 754 de la fondation de Rome. En fait, si les festivités du solstice d’hiver ont toujours eu lieu à la même époque de l’année, nous ignorons non seulement le jour de la naissance de Jésus, mais même l’année. Sur ce point comme sur bien d’autres, la contradiction entre les canonistes est totale.

On notera à ce sujet que les contradictions concernant la naissance de Jésus s’étendent plus loin encore, jusqu’au lieu même de sa naissance (Nazareth, ou Bethléem ?) et à son ascendance davidique présumée. David Flusser écrit à ce sujet : « Les deux généalogies de Matthieu et de Luc ne sont identiques que d’Abraham à David. Les difficultés propres aux deux successions et leurs importantes divergences laissent donc l’impression que les deux généalogies de Jésus ont été établies dans le seul but d’établir la descendance davidique de Jésus ». (Jésus, Le Seuil, 1970). La volonté de manipuler et de récupérer l’histoire au service de la Révélation ne pouvait manquer de s’appliquer également à des festivités aussi populaires et aussi enracinées que celles qui entourent les deux périodes solsticiales.

Comme en bien d’autres occasions, l’Eglise, après avoir cherché à détruire, a fini par composer. Au départ, son hostilité ne fait pas de doute. N’est-il pas écrit dans le Deutéronome : « Quiconque aura honoré le soleil ou la lune, ou un être dans les cieux, devra être lapidé jusqu’à ce que mort s’ensuive » (XVII, 2-5) ?

Aujourd’hui, René Laurentin reconnaît que cette « naissance de Jésus, dont les Evangiles ne nous disent pas la date, l’Eglise l’a située au solstice d’hiver » (Le Figaro, 26-27 novembre 1977). Il ajoute : « Le symbole cosmique du solstice d’hiver popularise et vulgarise à la fois la fête de Noël parmi nous. » (ibid.)

Marc de Smedt explique : « Ce n’est pas par hasard que, la date exacte de la naissance de Jésus restant inconnue, un concile décidé néanmoins de fête l’anniversaire de cette nativité le jour du 25 décembre, jour du solstice d’hiver, qui ouvre la phase ascendante et lumineuse du cycle annuel. Partout, on allumait alors des feux en signe de joie. Saint-Augustin et l’Eglise démentirent, bien sûr, ces origines païennes, mais il n’en reste pas moins que le 25 décembre était l’anniversaire des dieux soleil […] Jésus naît la nuit, il vainc l’obscurité, cette vieille angoisse de l’homme, et symbolise la victoire périodique de la lumière fraternelle qui va aider au renouveau de la vie et à l’éclosion cyclique de la nature porteuse de fruits. La réanimation de la lumière équivaut à un renouvellement du monde. La partie du solstice d’hiver ouvre un cycle : dans la tradition hindoue, c’est le début du DEVA-YANA, la voie des dieux, par opposition à la PITRI-YANA du solstice d’été, qui figurait le commencement de la voie des ancêtres » (Le Nouvel Observateur, art.cit.).

D’un autre côté, la fragilité de l’argumentation historiciste appuyant cette récupération, ainsi que la prégnance de vieux symboles païens dans les célébrations de Noël, ont induit dans certains milieux chrétiens une tendance marquée à la « démythologisation » de Noël.

Lisez la deuxième partie de cet article


yogaesoteric

13 décembre 2017

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