Commentaires utiles sur la pratique de la méditation (II)

par le professeur de yoga Dan Bozaru

Lire ici la première partie de cet article

Au début, l’analyse que nous faisons pendant la méditation implique l’utilisation de mots à peu près comme lorsque nous apparaissent des pensées fugaces quant à une certaine situation ou personne, ou un certain événement, ou comme lorsque nous soutenons de véritables monologues intérieurs à propos d’un certain sujet ou d’une opinion ou d’une cause que nous considérons comme importante. A mesure que nous approfondissons l’état méditatif, la discursivité tend à être remplacée progressivement par d’amples idées qui ne nécessitent pas la présence de mots pour être comprises. Ces idées véhiculent plutôt des états d’esprit et de la connaissance à un haut niveau. C’est le stade où nous pouvons dire que nous nous approchons des couches supérieures du mental, lorsque nous sommes dans la zone de l’intellect raffiné et où apparaissent les germes de la manifestation de l’intuition spirituelle. C’est une phase dans laquelle la conscience corporelle, bien que toujours présente, ne dérange pas. Au contraire, elle peut même se traduire par un état très agréable de confort et d’harmonie organique.

En outre, les processus mentaux semblent se ralentir et aussi « s’éclairer », et nous avons le sentiment que nous commençons à nous élever et à regarder tout avec une sorte de vision globale. Ce sentiment ne peut être imposé mentalement et il n’est pas un acte délibéré de volonté égotique. Il est plutôt le résultat d’un affinement de la conscience qui conduit à la sensation de dilatation mentale extraordinaire. Après les minutes qui marquent la montée et l’expansion apparaît peu à peu un état de « calme » et nous semblons nous habituer à cette nouvelle condition. Ainsi nous restons en quelque sorte « suspendus », comme flottant quelque part dans les hauteurs tout en étant conscients que l’activité mentale a fortement diminué et que nous sommes entourés de silence.

Beaucoup de pratiquants considèrent de façon erronée que c’est le moment où ils sont entrés dans le soi-disant supramental, état qui transcende le mental. Mais ce n’est pas le cas, c’est juste une période de transition. Même si l’état est très englobant, dilaté, raffiné et légèrement euphorique, il garde cependant assez clairement la sensation de flux temporel, de discursivité de la pensée et d’espace immense dans lequel nous nous sommes dilatés. L’entrée dans le supramental ne se fait pas seulement au niveau déclaratif : il ne suffit pas de dire ou de penser, selon nos possibilités, que nous sommes entrés dans cette réalité très élevée de la conscience. L’entrée dans le supramental est marquée par un état profond de conscience, dans lequel la plupart des idées ou de nos tendances mentales ont disparues. La sensation générale est alors que « nous avons oublié de penser ». Il apparaît également une sensation d’une grande intensité, bien que nous ne puissions pas dire clairement ce qui s’est intensifié. La perception générale est que l’ensemble du champ de la conscience a reçu cette propriété d’intensité, qui apparaît aussi comme une clarté très élevée. En outre, nous avons la sensation de pouvoir connaître en tout point ou en toute direction que nous voulons, mais nous découvrons que lorsque nous manifestons ainsi notre volonté, nous descendons immédiatement dans le domaine du mental. Nous ressentons cela comme si notre être devient plus lourd et comme un état de légère indisposition. C’est parce que la pénétration dans le supramental était encore en son début et que nous étions toujours près de la zone de transition entre l’activité mentale et l’état où le fonctionnement normal du mental est transcendé.

Pour immerger plus profondément dans la conscience du domaine du supramental, il est nécessaire, surtout au début, de rester le plus immobile possible au niveau mental après la transition. Ne rien faire. Ne pas penser à quelque chose. Ne pas agir en quelque façon. Mais nous nous apercevons que nous ne pouvons faire cela que si nous devenons très vigilants, si nous restons dans un état d’attention permanente et extrêmement focalisée. Cela crée la sensation que nous nous focalisons sur une zone très étroite, qui tend à devenir un point. Fait intéressant, cette apparente « restriction » de notre être nous conduit simultanément à une expansion de notre être, mais celle-ci est différente de l’extraordinaire expansion du mental supérieur qui a précédé l’entrée dans le supramental. Elle est beaucoup plus raffinée et a une « consistance » nouvelle, c’est une sorte d’espace avec plusieurs dimensions. Quand nous sommes arrivés dans cette zone de la méditation, nous sommes assez proches de la révélation de notre nature divine essentielle – le Soi Suprême. La révélation n’est pas un processus, elle ne s’étale pas sur plusieurs étapes sur une période de temps. Quand elle survient, elle est instantanée. Mais qu’est-ce qui la détermine ? Comment pouvons-nous l’influencer ? La vérité est qu’elle n’est pas déterminée par quelqu’un ou quelque chose et, bien sûr, nous ne pouvons pas l’influencer.

Cela nous amène à un point important de notre compréhension. Nous parlons toujours de « la révélation du Soi » ou « d’avoir révélé le Soi ». Mais qui a révélé quoi et à qui ? Des expressions automatiques que nous utilisons, il résulte souvent qu’il reste toujours un « moi » à qui a été révélé quelque chose qui s’appelle le « Soi ». La révélation a toujours le rôle de nous montrer qui nous sommes vraiment et, du fait que nous parlons de la « révélation du Soi », il résulte qu’en fait nous sommes le Soi. Cela signifie que le « moi » duquel on dit que « le Soi lui a été révélé » ne peut être que faux. En effet, il est l’ego, cette personne dans le sens de l’individualité, qui s’attribue la « révélation ». Mais l’ego n’est pas réel, il est faux ; il est une construction mentale, conçue pour nous induire en erreur, comme un mirage peut nous faire croire que ce que nous voyons dans la chaleur du désert est une oasis avec de l’eau froide et des palmiers, tandis qu’en réalité ce n’est pas ainsi. On peut donc dire que l’ego n’existe pas.

Alors, à qui se révèle le Soi ? A personne en particulier, qu’à lui-même. Dans ce cas, le terme « révélation » est quelque peu inapproprié, car en fait il ne révèle rien de nouveau à personne. Dans son jeu cosmique, le Soi « fait semblant » d’apprendre quelque chose de nouveau et à cette fin il assume la condition « individuelle ». Ainsi apparaît l’idée que « l’individualité » se découvre elle-même dans le sens qu’elle trouve son « origine ». Même cette « découverte » de la nature essentielle a besoin d’un certain temps de maturation, d’un approfondissement qui apparaît au cours de méditations profondes. La révélation du Soi est le flash illuminateur qui apporte la ferme conviction intérieure que le vrai « moi » est tout ce qui nous entoure et que la source de ce tout est le « moi ». Malheureusement, il arrive souvent que ce flash illuminateur ne soit pas aussi profondément vécu par tous ceux qui le sentent. Sa vérité n’est pas attentivement investiguée par ceux qui l’ont déjà vécu une fois. Ainsi, la terrible puissance de l’illusion, qui se manifeste par la puissance de l’idée de l’individualité, parvient à estomper assez vite la lumière de la vérité qui a brillé pour une fraction de seconde dans l’être. Avec le temps, elle peut même l’assombrir de nouveau.

Pendant la méditation il ne faut pas créer de différences mentales entre « moi », c’est à dire celui qui médite et le Soi que nous voulons révéler en tant que notre nature essentielle. Le mental est structuré de telle sorte qu’il associe presque automatiquement l’idée de « moi » avec le corps physique, avec des aspirations ou avec d’autres types de manifestations psycho-mentales. Cela ne ferait que d’introduire dans l’équation de la révélation un facteur perturbateur, parce qu’alors nous est induite de façon subversive l’idée que « nous allons connaître le Soi ». Mais le mental ne peut connaître que relativement, car il faut un sujet qui connaisse et un objet à connaître. D’autre part, le Soi est la seule réalité et dans cette situation il n’y a personne qui le connaisse, et aussi il n’y a rien qui puisse être connu. Par conséquent, notre idée de chercher le Soi ou d’arriver finalement à le trouver quelque part est erronée et ne peut pas conduire à des résultats durables. Nous ne pouvons pas connaître le Soi de la même manière que nous connaissons un objet parce que nous sommes le Soi. Par conséquent, notre attitude au cours de la méditation devrait plutôt être de tenter de nous identifier avec notre nature intérieure qui est le Soi, et non pas de le comprendre comme une information nouvelle séparée de nous-mêmes. Mais comment pouvons-nous faire cela ? Le piège est ici, dans notre question : qui veut s’identifier avec le Soi ? Il n’y a rien en dehors du Soi, alors qui est l’entité qui souhaite s’identifier avec lui ? Donc, s’il n’y a pas une telle entité en dehors du Soi, cherchons à rester immobile, à la fois dans le corps et dans l’esprit, car de cette manière peut se produire l’unification. C’est un bon conseil, mais encore une fois la question : qui veut fusionner avec quoi ? Qui fait l’effort de rester immobile ?

Nous constatons donc que l’idée subtile d’individualité, qui est différente de Soi, imprègne presque chaque pensée et chaque intention que nous manifestons. Par conséquent, la méditation a avant tout la vertu de nous aider à devenir extrêmement attentifs et vigilants relativement aux pensées et aux attitudes que nous avons pendant que nous la pratiquons. Nous découvrons ainsi que, bien qu’il soit clair que nous ne sommes ni le corps physique, ni les pensées ou le mental, il reste pourtant le sentiment profond et immuable de notre existence. Nous pouvons subir les transformations les plus diverses et à tous les niveaux, mais nous ne pouvons pas dire que le sentiment d’exister a changé. C’est toujours moi à l’âge de deux ans et maintenant ; il ne s’agit de personne d’autre, c’est le même « moi ». Notons qu’ici il s’agit du « moi » pur qui n’est pas associée à quoi que ce soit. Il n’est pas associé avec le corps ou l’esprit, le nom ou la renommée. Il s’agit de « je suis » et c’est tout : pur, intouchable, immuable, inchangeable, éternel. C’est une constatation éternelle et sans souillure du fait que j’existe et cette constatation, la même dans toutes les séquences de temps, d’espace et au-delà, c’est la Conscience Pure elle-même.

La conscience est donc le sentiment que nous sommes, que nous existons. Généralement, les gens ne sont même pas conscients qu’ils existent de cette manière pure, subjective, mais ils ont tendance sous la force de l’illusion de s’associer presque toujours avec leur nom et leur forme extérieure. De là naissent tous les problèmes et les turbulences de la vie. Dans la méditation, cependant, nous avons l’occasion de nous pencher de plus près sur ces questions. Nous comprenons alors que nous sommes en fait la Conscience parce qu’à la base de notre existence est toujours présent ce « je suis » inaltérable. D’autre part, je suis le Soi, parce que le Soi c’est moi – l’unique réalité. Donc, la Conscience, c’est à dire « je suis » est le Soi, et c’est la Réalité.

Cependant, nous pouvons dire : bien, je suis la Conscience, mais finalement qu’est-ce que cette conscience ? Est-elle substantielle ? Je ne la vois pas, je ne la perçois pas, mais il me semble que je l’expérimente tout le temps. En effet, après toutes les conclusions présentées ci-dessus, il résulte que nous ne sommes rien par rapport au monde phénoménal. Nous existons en tant que Pure Conscience et en même temps nous n’existons pas pour la manifestation. Chaque fois que la phénoménalité se produit, la Vérité tend à s’occulter. Et lorsque la Vérité éclate et brille puissamment, le monde manifesté disparaît. La fusion et la compréhension parfaite de ces deux aspects sont une dernière étape, qui est liée à la perfection spirituelle absolue.

La tendance réflexe dans la méditation est de trouver quelque chose de concret auquel s’accrocher. De même que dans les méditations de type Laya Yoga nous nous servons d’un mantra, dans d’autres méditations nous utilisons une image de la divinité choisie comme but d’adoration, un nom du Divin, ou même une représentation symbolique géométrique, un yantra d’une sphère de force et de conscience macrocosmique. Ici cependant, nous allons directement à la racine du problème et nous enquêtons sur la source même.

Dans le contexte de la méditation, le plus difficile est d’être. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’être tout simplement ? Qu’est-ce que « je suis »? Mieux dit, comment comprenons-nous cette réalité ? Bien que le sentiment de l’existence soit évident pour nous tous, parce que nous ne pouvons pas dire que nous n’existons pas, paradoxalement ce sentiment ne peut pas être vécu. Par contre, il paraît que c’est lui qui nous vit. Quoi que nous essayions pour l’identifier avec quelque chose, nous n’y réussissons pas. Il semble être vide, être rien, et pourtant ainsi il est parfaitement complet et sans fissure. Il est impossible de nous y « identifier », parce que nous sommes déjà lui. Tout désir de le connaître ou de le comprendre n’a pas de sens, parce qu’il n’a pas de correspondant. « Je suis » est le sujet suprême et jamais le sujet ne peut devenir un objet d’observation. Alors, comment comprendre que je suis profondément, irrévocablement et éternellement pur et parfait ? Nous ne pouvons que rester dans une attente toute vigilante, sans ressentir aucune tension de notre part. Toute contraction mentale suppose automatiquement l’implication de l’idée d’un autre « moi », qui ne peut être que faux, c’est-à-dire un contrefait du mental, une attribution erronée de notre nature essentielle. Dans cette démarche de la vigilance, qui se traduit par une grande paix et une clarté intérieure extraordinaire, peut survenir spontanément le moment de la révélation du Soi, comme un véritable acte de grâce. Sa profondeur abyssale ne peut pas être rendue à l’aide des mots et la condition intérieure qui survient alors ne peut être que devinée. Le fruit a mûri et il a été immédiatement cueilli. Notre divinité est alors révélée. Il ne reste plus qu’à assimiler et élargir cette vérité dans le contexte de l’expérience de vie que nous vivons.

La relation entre le guide spirituel parfait et l’aspirant spirituel a constitué, depuis les temps anciens, le sujet de vifs et très intéressants débats. Parmi la multitude de questions impliquées dans cette relation, nous nous arrêterons à l’identité du Soi. La grâce du guide spirituel est fondamentale dans le cas de la libération de l’aspirant, mais le guide spirituel est le Soi lui-même, il est la Conscience Suprême pleinement éveillée et manifestée dans son corps matériel. D’autre part, l’aspirant spirituel authentique sent de l’amour infini et du dévouement total et sincère envers son guide spirituel, mais souvent il semble s’arrêter à ce niveau, en refusant de comprendre les choses plus profondément, dans leur essence. Dire par exemple qu’entre l’aspirant et son guide spirituel parfait il n’existe aucune différence fondamentale, pour beaucoup c’est un blasphème. Pourtant, il y a une identité essentielle entre les deux, parce que les deux, le  guide spirituel et l’aspirant, sont en ce qui concerne leur nature essentielle le Soi, la Conscience Suprême. La différence entre le guide spirituel libéré et l’aspirant, c’est que tandis que le premier a compris et réalisé effectivement ce qu’il est en réalité, l’aspirant continu à croire fermement qu’il est ce qui n’existe pas réellement.

L’ensemble du processus de la réalisation de soi, tout rituel d’ invocation du guide spirituel, tout acte d’adoration de celui-ci ne sont que des formes plus ou moins directes pour déterminer la conscience de l’aspirant à comprendre qu’en réalité, il n’y a pas la moindre différence entre lui et son guide spirituel. Celui qui adore et celui qu’on adore, celui qui comprend et celui qui explique, celui qui donne la grâce et celui qui la reçoit est le même dans l’éternité, le Soi. Le guide spirituel et l’aspirant en tant que formes de manifestation vivants certaines expériences et liaisons au cours de centaines ou de milliers d’existences, ne sont que des rôles que le Soi joue sur la scène de la vie et qu’il admire en même temps, extasié par son propre mystère insondable.

 

yogaesoteric
27 mars 2017

 

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