Du vieillissement positif au vieillissement créatif (1)

 

Maryvonne Gognalons-Nicolet,
dans Gérontologie et société

« Nos soleils couchants sont nos apothéoses. »
Victor Hugo

La créativité a souvent été associée au vieillissement positif et à la sagesse dès les premières théories gérontologiques puis l’extension de la gérontologie à de nombreux champs des sciences sociales et des sciences humaines ont quelque peu éclipsé ces travaux. La polysémie du terme a aussi été dissuasive bien que dans le cadre de ce travail nous nous sommes intéressés aux sens habituels de ce terme en laissant de côté la spécificité des études sur le génie ou la création en général.

La créativité signifie autant le plaisir de vivre au sens de Winnicott (1975) que des activités, des types de personnalité et des productions d’objets. Comme le distingue de Boucaud (2005) deux grands domaines de création doivent être différenciés : « Le domaine extériorisé : c’est la création comme expression, comme production, comme invention (…), le domaine intérieur : créer c’est aussi construire, continuer à se construire, développer sa personnalité » (page 54). Cette multiplicité des significations n’a pas contribué à la diffusion de ce terme dans les milieux gérontologiques alors qu’il envahissait les milieux psychologiques, la psychologie du travail et des entreprises en particulier. Pourtant l’ouvrage de Reinhardt et Brun en 2005 a ouvert une nouvelle voie peu reprise dans les milieux gérontologiques en France sinon sous forme d’observation générale à partir d’une expérience clinique par un médecin (Guillet 2007). Cet auteur souligne par exemple l’importance de l’acte de création pour maintenir un équilibre de vie, un goût pour supporter plus facilement les souffrances physiques et mentales. Avons-nous oublié que Sophocle écrit Oedipe à 80 ans et Verdi Othello à 75 ans ?

En décrivant progressivement les différentes étapes de la relation entre vieillissement positif et créativité dans les années 60-70, puis en expliquant les orientations théoriques des études psychologiques et la singularité de la production créative lors de l’avancée en âge, seront ainsi analysées les raisons de la création à Genève (octobre 2007) de l’Association pour le Vieillissement Créatif.

Du vieillissement positif au vieillissement créatif

En France le vieillissement positif ou encore vieillissement réussi est très marqué par les normes médicales d’alimentation et d’hygiène de vie, au mieux des normes de satisfaction ou d’épanouissement, alors que le champ de la créativité est très longtemps resté cantonné au domaine de la psychanalyse avec un intérêt particulier porté à l’enfance puis progressivement au domaine de la psychologie cognitive. Contrairement aux travaux de langue anglaise publiés durant cette même période, Seguin-Fontès (1977) peut affirmer « la créativité ne s’apprend pas » (page 51). Anzieu (1981), en reprenant la perspective de la crise du milieu de la vie d’Elliott Jaques (1974), décrit en termes psychanalytiques les possibilités de cette crise créative en détaillant les nombreuses œuvres produites lors de la vieillesse (Anzieu, 1981).

Dans les travaux de langue anglaise le vieillissement positif a souvent été associé à la créativité surtout lors de la première génération des théories en gérontologie et lors de la troisième génération étroitement liée aux âges de la vie. Les travaux canadiens de Ladoucette (2001-2005) témoignent de cette position culturelle partagée entre une position médicale et une position anglo-saxonne ouverte à des orientations psychosociales.

Les perspectives théoriques en gérontologie ont évolué depuis les années 50 selon trois périodes, les interrogations sur le vieillissement positif ou réussi (successful ageing) ayant dominé la première période, le déroulement des différents âges de la vie devenant très vite une évidence.

Première génération des théories : les théories adaptatives d’ordre plutôt psychosocial, liées aux capacités interactionnelles de l’individu (théories du désengagement, de l’activité ou d’une sous culture spécifique) ont mis l’accent sur les singularités des individus âgés et sur leurs relations avec l’ensemble de la société.

Deuxième génération des théories : les théories structurelles sur la modernisation et l’État ont insisté sur la mise à l’écart de ce groupe d’âge par les politiques de la retraite considérée comme nécessaire au renouvellement des générations au travail, insistant sur les normes et les valeurs de la société productiviste. Cet ensemble de théories macrosociologiques n’a pas pris en compte la qualité du vieillissement.

Troisième génération des théories : ces travaux réconcilient les approches plus psychosociales avec celles structurelles et fondent ce qu’il est convenu d’appeler « L’économie morale » ; elles associent à la fois les théories sur le développement personnel et les âges de la vie, souvent associées aux travaux fondateurs d’Eric Erikson (1986) et aux influences de l’État et des politiques sociales.

La théorie de l’activité, élaborée après qu’ait été diffusée la théorie du désengagement (Cumming et Henry, 1961), propose un modèle de vieillissement réussi reposant sur le maintien le plus longtemps possible d’activités permettant de conserver un statut social et physique se rapprochant de celui de l’adulte. Dix années après, Havighurst (1983), reprenant l’approche eriksonienne, montre qu’il est nécessaire dans les mécanismes d’ajustement aux différents âges de la vie, de développer des sentiments d’achèvement et de satisfaction en lien avec des activités gratifiantes. Ce terme d’achèvement proche en français du terme d’accomplissement est déjà présent dans les travaux de Lehman (1953). En affirmant la personne comme valeur centrale et en développant le terme de tâches de développement en lien avec des normes d’âge, cet auteur souligne l’importance des sentiments de réalisation, de satisfaction et d’accomplissement. Simondon (1975), dans l’ouvrage de Birren et Schaie associe aussi la créativité et la sagesse.

Les approches psychologiques concernant l’intelligence et la résolution de problèmes ont croisé le chemin des travaux plutôt psychosociaux des travaux gérontologiques en insistant sur les capacités adaptatives nécessaires pour faire face aux nombreux problèmes de la vie quotidienne avec un accent particulier apporté au terme de flexibilité.

Orientations théoriques des études psychologiques

Ces travaux utilisent des définitions assez larges de la créativité provenant autant des définitions de Winnicott (1975), que de celles quantifiables de la psychologie cognitive et de la psychologie du vieillissement. « Il s’agit avant tout d’un mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue ; ce qui s’oppose à un tel mode de perception, c’est une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ses éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s’ajuster et s’adapter. La soumission entraîne chez l’individu un sentiment de futilité, associée à l’idée que rien n’a d’importance. Ce peut être même un réel supplice pour certains êtres d’avoir fait l’expérience d’une vie créative juste assez pour s’apercevoir que la plupart du temps, ils vivent d’une manière non créative comme si ils étaient pris dans la créativité de quelqu’un d’autre ou dans celle d’une machine » (Winnicott, 1975, pp. 91-92).

Dans cette définition se retrouve le plaisir de vivre, l’autonomie, la maîtrise des choix de vie conditionnant un rapport créatif à la perception de la réalité extérieure. Proche des résultats précédents cette définition winnicotienne de la créativité reste globale alors que très rapidement les approches de la psychologie cognitive et du vieillissement vont mesurer les contenus spécifiques concernant ces affirmations. McCrae (1987) et Costa (1992), développent un modèle créatif d’ouverture à l’expérience composé de cinq facteurs indispensables selon eux à une personnalité créative. Cette dimension d’ouverture comprend une imagination active, une sensibilité esthétique, une attention portée aux sentiments intimes, une préférence marquée pour la diversité et une curiosité intellectuelle. Ceux fermés aux leçons de l’expérience tendent à se comporter de façon traditionnelle et conformiste, ils préfèrent les expériences routinières à celles nouvelles.

Dès lors, les études cognitives sur la créativité vont se multiplier alliant une approche par les âges de la vie à des questionnaires très précis sur les qualités nécessaires au développement d’une personnalité créative. Ces études d’ordre quantitatif vont aussi multiplier les recherches qualitatives souvent centrées sur les itinéraires de créateurs célèbres.


Lisez la deuxième partie de cet article

 

yogaesoteric
11 janvier 2019

 

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