La Vallée des Geysers (1)

 

Le volcanisme a façonné le Kamtchatka tel un joaillier et son intense activité n’a de cesse de le rendre encore plus précieux. Une réserve peut s’enorgueillir de receler un des plus beaux joyaux de la péninsule : la réserve de biosphère nationale de Kronotski. En effet, elle abrite sur son territoire une vallée à la beauté époustouflante et fantasmagorique : la Vallée des Geysers.

L’UNESCO considère la Vallée des Geysers « comme ayant une valeur universelle exceptionnelle » et depuis l’inscription de cette réserve, ainsi que d’autres espaces protégés, elle figure sur la liste du patrimoine mondiale sous l’appellation « Volcans du Kamtchatka ».

Localisation de la Vallée des Geysers

La Vallée des Geysers, distante d’un peu plus de 170 kilomètres à vol d’oiseau de Pétropavlosk-Kamtchatksi, la capitale administrative du kraï du Kamtchatka, appartient à la réserve de biosphère nationale de Kronotski située dans la chaîne volcanique est.

Découverte et exploration de la vallée

On doit la découverte de la Vallée des Geysers à deux personnes :
– Tatiana Ivanovna Oustinova (1913-2009) : diplômée de l’université d’état de Khartov en géologie générale, elle épousa Iouri Viktorovitch Avévine, zoologue de formation, qu’elle rencontra pendant ses études. Tous deux travaillèrent dans une réserve située dans l’Oural avant de gagner le Kamtchatka en mai 1940 pour prendre leurs fonctions à la réserve de Kronotski. En 1941, accompagnée d’Anissifor Kroupénine, elle découvrit la Vallée des Geysers.
– Anissifor Pavlovitch Kroupénine (1912-1990) : né au Kamtchatka, il est d’origine itelmène. Menuisier et charpentier de formation, il devint projectionniste ambulant, se déplaçant en barque l’été et, excellent musher, en chien de traîneaux l’hiver. En 1937, Anissifor Kroupénine rentre au service de la réserve de Kronotski et participe à son essor. A 28 ans, il rencontre Tatiana Oustinova, elle le surnomme le « Dersou Ouzala » du Kamtchatka et vante ses qualités. Il découvrit, au côté de la géologue, la Vallée des Geysers.

 
Tatiana Oustinova et Anissifor Kroupénine en 1941

Le 14 avril 1941, se remémore Anissifor Kroupénine, tous deux exploraient les rivières Tikhaïa (tranquille) et Choumnaïa (bruyante) à chien de traîneaux, quand :
« Nous nous sommes assis sur une pierre, avons pris une collation (biscuits, beurre, thé). Il nous restait peu de temps pour revenir au camp avant la nuit. J’ai dit à Tatiana Ivanovna : “ je finis ma cigarette afin de ne pas nous arrêter en route et nous y allons ”. Et tout à coup, sur le côté opposé, de la vapeur apparut et un jet d’eau accompagné d’un bruit sourd rugit. Il s’élança en diagonale à travers la rivière, droit sur nous. Nous nous sommes accrochés à la berge rocailleuse. On pouvait sentir la vapeur brûlante. Qu’est-ce que cela pouvait-il bien être ? Nous avons trouvé un passage à travers la rivière. L’eau était chaude. Nous avons mesuré la température : + 28 degrés ! “ Davaï (allons) ! Cherchons d’où provient ce jet ”. Nous avons trouvé une faille entre les pierres. L’eau bouillonnait en profondeur et, peu à peu, elle a comblé la cavité. Ensuite, de nouveau jaillit un jet d’eau et de la vapeur… “ C’est un geyser ”, a dit Tatiana ».

Effectivement, ils venaient d’être en présence d’un phénomène volcanique particulier que l’on appelle « geyser ». Il est caractérisé par une source chaude souterraine qui au contact de roches, elles-mêmes chauffées par du magma en fusion, projette à la surface, par intermittence, à haute pression et à haute température, de l’eau et de la vapeur.

En tant que première manifestation de ce type, dans ce qui allait devenir bientôt la « Vallée des Geysers », il recevra plus tard le nom de « Pierviéniets » (premier-né).

 
Le « Pierviénets »

Tatiana Oustinova et Anissifor Kroupénine attendirent l’été et c’est avec des chevaux chargés de leur équipement qu’ils revinrent sur les lieux le 25 juillet 1941 en empruntant un autre itinéraire. Ils ne tardèrent pas à constater d’autres témoignages de la présence de geysers. Ils séjournèrent dans la vallée quatre jours durant.

Chaque geyser trouvé reçut un nom en fonction d’un « trait » caractéristique : le plus grand geyser : le « Vélikane » (le géant), celui jaillissant d’une fente : le « Chtchel » (la fente), un autre dont l’eau émerge de trois trous pendant son éruption : le « Troïnoï » (le triple). Tatiana Oustinova et Anissifor Kroupénine les étudièrent tous, décrivirent leur mode de fonctionnement, leur activité… La tâche ne fut pas des plus simples et même dangereuse, comme en témoignera plus tard la géologue :
« Jouxtant le site des geysers “Bolchoï” (grand) et ”Maly” (petit), sur le côté droit de la vallée, à quarante mètres au-dessus de la rivière, se trouve une grande terrasse. Sa surface lisse est couverte de hautes herbes. A beaucoup d’endroits de la terrasse on trouve des parcelles chaudes, mais elles ont tendance maintenant à se refroidir et se couvrir d’herbe.
C’est sur une telle zone, couverte d’herbe, que nous avons planté notre tente. Le sol au touché était totalement froid, mais sous les effets, sacoches de chevaux, sacs de couchage, la chaleur a commencé à s’accumuler. Le contenu des sacoches se réchauffa, l’équipement devint humide, les canons des fusils se couvrirent de rouille, il était difficile de dormir.
Non loin de la tente, notre cheval, passant sur un terrain ferme et tout à fait froid en surface, couvert, comme un tapis, de mousse vert vif, s’enfonça les pattes arrières d’environ un demi-mètre. De ces trous, réalisés par nous dans la vallée en l’espace de quelques jours, s’échappèrent constamment des flux de vapeurs. »

1941 vit l’entrée de la Russie dans la seconde guerre mondiale. En réponse au télégramme qu’elle adresse à Moscou, à l’administration des réserves, annonçant sa découverte, Tatiana Oustinova se voit sommée d’arrêter ses recherches. On remplaça son mari par un autre : le temps n’est plus à la recherche, mais à l’économie. Tatiana Oustinova et Iouri Avévine quittent le Kamtchatka. Après la guerre, la géologue et Anissifor Kroupénine furent de nouveau réunis dans la réserve. Cette fois-ci, Iouri Avévine se joignit à eux. Ensemble, ils poursuivirent et achevèrent l’étude de la Vallée des Geysers.

Tatiana Oustinova consigna toutes ses découvertes et observations dans un ouvrage intitulé « Les geysers du Kamtchatka » publié à 20.000 exemplaires en 1951. En 2003, pour célébrer ses 90 ans, il fut numérisé.

Description de la vallée

Un canyon volcanique large de quatre kilomètres, long de huit et profond de quatre cents mètres sert d’écrin à ce site prodigieux, reconnu comme une des merveilles de Russie, qu’est la Vallée des Geysers.

Au coeur de celle-ci, coule la rivière Guézernaïa. A six kilomètres de son embouchure, le « Bolchoï » (le grand), le « Vélikane (le géant), la « Krépost » (la forteresse), le « Bastion » (le bastion), le « Fontane » (le jet), la « Banna » (la baignoire), le « Jemtchoujny » (le nacré), le « Plachtchanitsa » (le Saint-Suaire) pour ne citer que ceux-ci, animent cette vallée. « Animent » car ils ne se contentent pas d’être élément du décor, ils sont bel et bien acteurs et, en commun ou chacun à leur tour, rentrent en représentation et donnent un spectacle des plus « jaillissants ». Ce sont plus d’une vingtaine de petits et grand geysers, concentrés majoritairement sur la rive gauche de la rivière, qui font la rareté de cette vallée.

Seulement quatre autres lieux au monde offrent une telle concentration de geysers :
– le parc national du Yellowstone aux USA,
– la vallée d’El Tatio au Chili,
– la zone volcanique de Taupo en Nouvelle-Zélande,
– l’Islande qui a des geysers répartis sur tout son territoire, dont le « Geysir » à qui l’on doit le nom geyser.

Quelques geysers

Chaque geyser possède un nom qui le qualifie. Certains se rapportent à leur puissance, caractère, forme, couleur… D’autres se sont vus attribuer le nom d’un scientifique. Ils ont tous fait l’objet d’une étude approfondie : fréquence d’éruption, durée, hauteur de la fontaine d’eau bouillante, celle à laquelle s’élève la vapeur, volume de leur consommation en eau…

Le « Vélikane » (le géant)

Ce geyser porte bien son nom : il projette de l’eau bouillante à une hauteur de 20-25 mètres, sa vapeur s’élève à plusieurs centaines de mètres. Le « Vélikane » en tant que plus grand geyser de la vallée en est un peu la « star » et adopte un comportement digne de ce nom : s’il offre le spectacle époustouflant de quelques dizaines de mètres cubes d’eau envoyés en l’air en quelques secondes, il faut patienter entre six et huit heures pour espérer le voir renouveler un tel prodige. De plus, alors que l’on croit l’heure tant attendue enfin venue, il semble narguer ses spectateurs en projetant à une hauteur de deux mètres des masses d’eau et, ce, à près de dix reprises en l’espace d’une demi-heure avant de commencer son véritable « show ». Rares sont donc les privilégiés qui ont la chance d’assister à l’activité du « Vélikane » lors d’une excursion à la Vallée des Geysers.

 
La Vallée des Geysers avec le « Vélikane » en second plane

La vallée ne se résume pas qu’à des geysers

L’activité volcanique qui règne dans les entrailles de la Vallée des Geysers est révélée en surface non seulement par les geysers, mais aussi par différents témoins non moins spectaculaires. Ils participent à la beauté de ses paysages et lui confèrent une atmosphère particulière.

Des sources chaudes, bouillonnantes et vaporeuses sont disséminées sur tout le territoire de la vallée. Une dizaine d’entre-elles bordent les rives gauche et droite de la rivière Guézernaïa. Comme les geysers, chacune a fait l’objet d’études, porte un nom, comme la plus grande, l’« Istochnik Bolchoï » (la grande source). Il en est qui bouillonnent à un point tel qu’une large surface autour d’elles est aspergée. Une doit éveiller la vigilance, il s’agit de la « Kovarny » (la perfide) : perfide, car si habituellement, avec des pics enregistrés à un mètre de hauteur, elle ne présente aucun danger, la « Kovarny », sans crier gare, s’est déjà « exprimée » un peu plus violemment que de coutume par le passé et a fait « partager » un peu de sa chaleur aux passants…

Une terrasse, surplombant la rive gauche de la rivière Guézernaïa, concentre d’autres phénomènes bouillonnants que sont les mares ou marmites de boues (sources chaudes ou fumerolles chargées de sédiments volcaniques). Leurs noms parlent d’eux-même : la « Kotel Golouboï » (la marmite bleue), la « Kotel Jéliony » (la marmite verte), « Kotel Opasny » (la marmite dangereuse), les « Kotli Bliznietsy » (les marmites jumelles). La plus grande d’entre-elle, la « Kotel Krasny » (la marmite rouge), affiche des dimensions de 17 mètres de long pour 12 de large et une profondeur de 2 mètres.

 
Une mare de boue


Lisez la deuxième partie de cet article

 

yogaesoteric
26 janvier 2019

 

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