Comment Londres et Wall Street ont mis Hitler au pouvoir (3)

 

par William F. Wertz

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Sosthenes Behn, directeur de International Telephone and Telegraph (ITT), et Gerhardt Westrick, directeur de ITT en Allemagne et associé de John Foster Dulles, nomment au conseil d’administration de la société Walter Schellenberg, chef du service de contre-espionnage de la Gestapo (SD), et le baron Kurt von Schröder, afin de garantir la continuité des activités de la société en Allemagne au cours de la guerre à venir. Au même moment, le président de la Standard Oil de Rockefeller dans le New Jersey, Walter Teagle, est nommé directeur de American IG (Farben) Chemical Corp, dont le conseil d’administration comprend entre autres Edsel Ford, président de Ford Motor Co., Charles Mitchell, président de la National City Bank of New York de Rockefeller, Paul Warburg, président de la Réserve fédérale, et Herman Metz, directeur de la Bank of Manhattan.

Tandis que ces relations se consolident, IG Farben est en passe de se faire entièrement intégrer dans la machine de guerre nazie – qu’il dirige même en grande partie. En effet, comme le rapporte Josiah DuBois dans son livre Les chimistes du Diable, 24 cadres d’IG Farben allaient passer en jugement au tribunal de Nuremberg pour avoir « préparé et lancé une guerre d’agression » et « conspiré à lancer une guerre d’agression ». Cependant, dans l’atmosphère politique de la Guerre froide qui règne au moment de la conclusion des procès, le 28 mai 1948, les seules condamnations prononcées sanctionnent le « travail esclavagiste » et le « pillage », et les chefs d’accusation portant sur la préparation et la conduite d’une guerre d’agression aboutissent à un acquittement. Dans ce climat, les efforts pour démanteler les cartels après la guerre furent sabotés. Pour en donner une idée, pendant le procès, DuBois lui-même fut traité par le député américain Dondero de « gauchiste du département du Trésor qui avait été un étudiant proche de la ligne du Parti communiste ».

Il est clair qu’en septembre 1939, Hitler n’aurait pas pu lancer son offensive sans la guerre économique menée par IG Farben dans le cadre de la mobilisation de guerre. Manquant de matières premières, comme l’avait fait remarquer Schacht dans son discours de 1930 devant la Foreign Policy Association de New York, l’Allemagne nazie devrait fabriquer les matériaux synthétiques nécessaires à sa machine de guerre. Deux exemples illustrent ce point.

D’abord, bien que l’Allemagne nazie eût continué à recevoir du pétrole de la Standard Oil pendant la guerre, grâce aux livraisons en provenance d’Amérique ibérique transitant par l’Espagne de Franco, le processus d’hydrogénisation « Leuna », mis au point par IG Farben pour produire de l’essence à partir du charbon, était crucial pour faire rouler les blindés. En 1934, l’Allemagne importait près de 85 % de ses produits pétroliers. Sans l’essence synthétique, les nazis n’auraient pas pu mener une guerre mécanisée moderne. Le processus d’hydrogénisation même avait été mis au point et financé par les laboratoires de la Standard Oil aux Etats-Unis, en commun avec IG Farben, dans le contexte de l’accord de 1929.

Deuxièmement, sans le caoutchouc synthétique produit avec le procédé Buna mis au point par IG Farben, les véhicules nazis n’auraient pas eu de pneus. Avant la Deuxième Guerre mondiale, la Standard Oil avait convenu avec IG Farben, aux termes de l’accord de la Joint American Study Corp. (Jasco), que le caoutchouc synthétique resterait dans la sphère d’influence d’IG Farben et que la Standard Oil ne bénéficierait de son monopole aux Etats-Unis qu’à condition que la firme allemande en autorise le développement sur place. Or en 1936, le gouvernement nazi interdit de transmettre à quiconque aux Etats-Unis le savoir-faire pour la production du caoutchouc synthétique buna. En conséquence de cette mesure de guerre économique, le caoutchouc synthétique ne fut pas développé outre-Atlantique avant-guerre.

En 1938, Standard fournit à IG Farben son nouveau procédé de caoutchouc butyl, tout en gardant secret aux Etats-Unis mêmes le procédé buna. Ce n’est qu’en juin 1940 que Firestone et US Rubber pourront participer aux essais de la méthode butyl et auront droit à des licences de production du caoutchouc buna.

En 1937, Schmitz, Krauch et von Kniriem, d’IG Farben, se rendent à Londres où ils réussissent à négocier l’achat de carburant d’avion provenant de Standard Oil, au profit de la Luftwaffe de Göring, pour un montant de 20 millions de dollars.

En outre, Standard fournit à IG Farben des plans pour la production de plomb tétraéthyle, composante indispensable au carburant d’avion, et sur l’insistance de Standard Oil, le ministère de la Guerre à Washington accorde un permis pour sa production en Allemagne, dans une usine dont les co-propriétaires étaient IG, General Motors et des filiales de Standard.

En 1938, la Luftwaffe a un besoin urgent de 500 tonnes de plomb tétraéthyle, que lui « prête » l’Ethyl Export Corp. de New York. La garantie pour la transaction est fournie par le biais de Brown Brothers, Harriman, dans une lettre datée du 21 septembre 1938.

Au moment de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941, Farben avait réussi, grâce à ses relations américaines, à s’assurer 80% de l’ensemble de la production de magnésium du continent américain. L’accord conclu entre IG Farben, Aluminium Co. of America et Dow Chemical Co., limitait sa production à l’intérieur des Etats-Unis et prévoyait que toutes les exportations en quantité importante à partir des Etats-Unis aillent à l’Allemagne.

Le rôle d’IG Farben dans la guerre d’agression

Après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, IG Farben mit en place sa propre entité d’espionnage international, opérant à partir d’un bureau dans le quartier Nord-Ouest 7 (N.O.7) de Berlin. Ce bureau avait d’abord été ouvert en 1927 par le président de la société, Hermann Schmitz, qui en confia la direction, deux ans plus tard, à son neveu Max Ilgner, également directeur de Farben. Ce dernier partit peu après aux Etats-Unis pour créer l’American IG Chemical Corp. En 1934, il fit venir son frère Rudolf Ilgner aux Etats-Unis, pour y travailler sous la direction du frère de Hermann Schmitz, Dietrich Schmitz, chez General Aniline and Film Corp, la société ayant pris la relève de American IG. En effet, Schmitz avait dû changer la dénomination sociale de la société pour échapper à une enquête du gouvernement américain.

Un exemple du modus operandi de N.O. 7 : avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, ayant appris que le gouvernement américain voulait photographier ses installations militaires dans la zone du canal de Panama et en Alaska, General Aniline and Film proposa de fournir à titre gratuit les pellicules et les appareils photos. Les photos originales furent ensuite développées et envoyées à Berlin, et une copie remise au gouvernement américain.

Dans le quartier N.O.7, se trouvait également une agence créée en 1935 par Hermann Göring : la Vermittlungstelle Wehrmacht (liaison de l’armée chargée des relations entre IG Farben et le ministère de la Guerre), dirigée par Carl Krauch, le président du conseil de surveillance d’IG Farben. Lorsque Krauch prit son poste auprès de Göring, il fut remplacé à la Vermittlungstelle Wehrmacht par Fritz ter Meer, le directeur de la commission technique du conseil de gestion d’IG Farben et membre du conseil d’administration de General Aniline and Film dans l’Etat de New York. En 1937, chaque usine d’IG avait un représentant confidentiel à la Vermittlungstelle Wehrmacht.

Interrogé après la guerre à propos de ce bureau, von Schnitzler d’IG Farben répondra : « Pendant douze ans, la politique extérieure des nazis et celle d’IG Farben étaient inséparables. J’en conclus aussi qu’IG était en grande partie responsable de la politique extérieure d’Hitler. »

Pour ce qui est de l’Espagne, DuBois rapporte que les enquêteurs ont trouvé des documents montrant que Farben avait financé Franco de manière conséquente. Interrogé à ce propos, Schnitzler répondra : « Il n’est pas si improbable que nous ayons soutenu certains mouvements intérieurs dans des pays étrangers. »

En 1934, Hitler avait nommé à la direction de l’Institut latino-américain de Berlin le général Wilhelm von Faupel, connu comme le « général d’IG » car il comptait parmi ses protecteurs George von Schnitzler, Fritz Thyssen, le baron Kurt von Schröder et Franz von Papen. Pendant la guerre civile en Espagne, alors qu’Hitler et Mussolini apportaient un soutien militaire direct à Franco, von Faupel fut nommé ambassadeur allemand auprès du gouvernement insurrectionnel du généralissime. Après la consolidation du pouvoir de ce dernier, il utilisa la Phalange espagnole pour s’introduire en Amérique ibérique pour le compte d’IG Farben et des nazis.

DuBois note que dans plusieurs cas, les tueurs à gages économiques d’IG Farben brandissaient la menace des chacals nazis pour mettre la main sur l’industrie chimique d’un autre pays. Comme en Autriche, par exemple, où deux ans avant l’Anschluss, Farben s’était emparé de toutes les usines chimiques et d’explosifs. De même en Tchécoslovaquie, avant le pacte de Munich, les nazis avaient dépouillé une partie de l’industrie chimique nationale. Même avant cela, von Schnitzler avait préparé une monographie sur la structure de Prager Verein – une industrie chimique tchèque située dans le pays des Sudètes et sise à Prague – et un plan prévoyant de mettre ses usines sous contrôle de Farben en cas d’invasion nazie. En dépouillant Prager Verein, Farben commença par dérober les actions détenues par les Belges, puis arrêta toute livraison d’armes vers la Belgique.

Le 28 juillet 1939, un mois avant l’invasion de la Pologne, la Vermittlungsstelle Wehrmacht présenta au gouvernement allemand une étude préparée de longue date, intitulée « Les usines chimiques les plus importantes de Pologne ». Farben s’en servit pour prendre le contrôle de ses usines suite à l’invasion.



Usine IG Farben à Auschwitz

Farben avait aussi préparé un document intitulé « Le nouvel ordre pour la France ». Selon un de ses directeurs, le conseil d’administration de Farben « considérait la France non seulement comme un modèle pour les plans des pays qui suivraient peu après, mais comme un exemple classique de planification à grande échelle ».

En fait, le géant chimique comptait s’assurer, par le biais des brevets, le contrôle de l’économie de l’ensemble du continent. Il prévoyait que tous les pays seraient obligés d’enregistrer leurs brevets auprès de l’Agence centrale des brevets dirigée par Farben.

Après qu’Hitler ait rejeté le « Nouvel ordre pour la France », en novembre 1940, Farben rencontra en privé les dirigeants des industries de colorants en France, pour exiger une part majoritaire de 51% dans le capital de toutes les sociétés. Aucun accord ne fut conclu à l’époque, mais l’année suivante, les sociétés françaises se plièrent aux menaces de Farben, en acceptant de créer un nouveau groupe, Francolor, dont les administrateurs comprenaient von Schnitzler et ter Meer. A travers Francolor, Farben accapara les licences exclusives de 259 brevets étrangers et de 53 applications de brevets. Pour une bouchée de pain, le géant contrôlerait dorénavant un nouveau groupe évalué à 800 millions de francs. De là, il se tourna vers le monopole pharmaceutique français.

Dans chacun de ces cas, Farben, tout en organisant la mobilisation de guerre nazie, brandissait la menace d’invasion nazie et même, le cas échéant, soutint une véritable invasion, afin de piller l’économie nationale des pays visés et de créer une économie « globalisée » placée sous son contrôle.

Auschwitz : la solution d’IG Farben au problème des matières premières

Dès le départ, le camp de concentration d’Auschwitz fut l’affaire d’IG Farben. Comme on l’avons vu, l’Allemagne n’aurait pas pu faire la guerre si elle n’avait pas disposé de caoutchouc et d’essence synthétiques. En moins de quatre ans, l’application du procédé buna avait permis à l’Allemagne de réduire la part des importations de caoutchouc dans la consommation nationale de 95% à seulement 7%. C’est en 1936, moins de quatre ans avant l’invasion de la Pologne en septembre 1939, que les deux premières usines buna avaient été construites. Auschwitz deviendra la troisième en importance.

Elle avait pour vocation d’être l’« usine buna pour l’Est » et son nom était simplement la traduction allemande de la petite ville rurale d’Oswiecem, en Haute Silésie, que Farben avait choisie avant l’invasion de la Pologne pour y installer cette usine. En effet, la production de caoutchouc synthétique nécessitait beaucoup de charbon et d’eau et Oswiecem se trouvait à la limite sud des mines de charbon de Silésie et à la confluence de trois fleuves.

Le choix d’Auschwitz se basait sur quatre présuppositions :
– la nécessité d’une usine buna à l’Est en vue d’une guerre d’agression contre l’Union soviétique ;
– la probabilité d’une guerre sur le front ouest, qui rendrait vulnérables les autres usines à l’Ouest ;
– l’invasion de la Pologne pour pouvoir y construire l’usine ;
– la mise en place d’un camp de travail, vu qu’il n’y avait même pas 15.000 agriculteurs dans la région pour servir de main-d’œuvre.

En 1937, IG Farben considérait déjà les avantages économiques découlant de la mise à proximité de la production du caoutchouc buna et des carburants de Leuna (hydrogénation). Ainsi, après le choix d’Auschwitz pour le site buna, Farben décida d’y installer aussi l’usine de Leuna.

Plus tard, lors de la construction des installations, Göring autorisera Farben à utiliser des prisonniers des camps de concentration d’Auschwitz. Farben contrôlait aussi les mines qui devaient produire les 2 millions de tonnes de charbon par an nécessaires.

Lisez la quatrieme partie de cet article

 

yogaesoteric
31 juillet 2019

 

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