Les expériences au seuil de la mort (2)

Par Alain Moreau


Lisez la première partie de cet article

h) L’autoscopie :

 

Peut-on parler d’hallucination autoscopique ? Celle-ci est un trouble psychiatrique rare (principalement chez des malades dépressifs, épileptiques ou schizophrènes) au cours duquel le sujet perçoit une image visuelle de son visage ou de la partie supérieure du buste, projetée à quelques dizaines de centimètres en avant de son corps. Cette image, généralement sans couleurs et transparente, imite les mouvements et expressions faciales du sujet, et cet état, ressenti par le malade comme « irréel », laisse ce dernier souvent triste et fatigué. Cependant, comme l’observe Michael Sabom, il existe des différences évidentes entre l’autoscopie et la NDE. Contrairement à cette dernière, les hallucinations autoscopiques :

1) sont bâties sur la perception par le corps physique (l’« original ») de l’image projetée (le « double ») ;
2) impliquent une interaction directe entre l’« original » et le « double » ;
3) sont ressenties comme irréelles ;
4) évoquent communément des émotions négatives.

Pour toutes ces raisons, « l’hallucination autoscopique n’apparaît pas être une explication plausible de l’expérience aux frontières de la mort ».

i) L’attente a priori :

On ne saurait invoquer l’attente a priori. Les rescapés NDE interrogés par Michael Sabom ne croyaient pas, avant leur expérience, à ce qu’ils ont vécu, et ils avaient tendance à considérer que ceux qui en faisaient état étaient des fous ou des menteurs. Ainsi, l’un d’eux déclara qu’il ne croyait pas, avant sa NDE, que l’esprit pouvait quitter le corps à la mort de celui-ci.

En conclusion, la NDE « ne peut être directement attribuée à la réalisation d’attentes personnelles de ce qu’est la mort ou l’approche de la mort ».

j) La schizophrénie :

Pourrait-on invoquer la schizophrénie ? Celle-ci se traduit notamment par des troubles de la perception, de l’environnement et des limites du corps, avec une distorsion de l’image corporelle, une dissolution de l’identité, une perte de l’estimation de la réalité, toutes caractéristiques, note Jean-Pierre Jourdan, « qui la différencient des NDE où la perception de la réalité reste intacte, l’identité conservée, sans distorsion de l’image du corps, et toujours une conscience claire et lucide ».

2. Les explications pharmacologiques :

Kenneth Ring a analysé le rôle éventuel des anesthésiques, et autres stupéfiants, sur la NDE.

Une élévation de la pression de l’anhydride carbonique est susceptible de déclencher des visions. Or, les anesthésiques « n’ont aucun effet spécifique sur le taux d’anhydride carbonique quand ils sont utilisés convenablement ». Par surcroît, dans le cas où un arrêt du cœur se produit pendant une opération, « l’administration de l’anesthésique est interrompue et remplacée par celle d’oxygène ».

De plus, les anesthésiques sont en fait susceptibles d’empêcher le souvenir de l’« expérience du substrat », si celle-ci a lieu. Raymond Moody a cité le cas d’une femme « morte » à deux reprises, qui n’avait pas connu d’« expérience du substrat » lors de sa première crise d’agonie, ce qu’elle attribuait au fait d’avoir été anesthésiée. Par contre, elle eut une NDE au cours de sa seconde crise, alors qu’aucun stupéfiant ne lui avait été administré. Cette observation concorde, note Kenneth Ring, « avec les découvertes de Miller sur le fait que le patient anesthésié ne conserve après coup aucun souvenir ».

En outre, « dans les circonstances où – à propos d’un cas atypique – une partie de l’expérience est décrite, Moody soutient qu’elle dévie du schéma typique de plusieurs manières ». Enfin, certains connaisseurs de l’expérience n’avaient pas été anesthésiés, et quelques-uns n’avaient pas reçu de traitement médical.

Peut-on suspecter d’autres stupéfiants ? Dans de nombreux cas, les connaisseurs de l’« expérience du substrat » n’ont absorbé aucune espèce de stupéfiant. En outre, dans l’étude de Kenneth Ring, les cas de tentative de suicide représentaient la catégorie d’enquêtés où le taux de fréquence des « non-connaisseurs » de l’expérience était le plus élevé (67%). Or, à l’exception de deux d’entre eux, tous les enquêtés ayant fait une tentative de suicide avaient absorbé des stupéfiants ou de l’alcool afin d’essayer de se tuer. Ces stupéfiants, observe Kenneth Ring, « au lieu de faciliter la mémoire, paraissent davantage provoquer une amnésie rétrograde ». En réalité, les rares cas de tentative de suicide accompagnés d’une expérience du substrat assez profonde « furent ceux où les sujets n’avaient pris aucun stupéfiant ».

Karlis Osis et Erlendur Haraldsson ont de même constaté que « les états en relation avec une absorption de stupéfiants provoquaient une altération de l’expérience d’agonie ». Que les patients soient décédés ou qu’ils soient rétablis, 80% d’entre eux ont eu des visions ne pouvant être imputées à des médicaments. La plupart des patients n’avaient pris aucun médicament au moment de l’expérience d’agonie.

Faut-il parler d’illusion induite par la drogue ou d’hallucinations ? Michael Sabom a remarqué que les études cliniques « portant sur le contenu et la structure des hallucinations dues à la drogue ont montré que ces expériences sont extrêmement variables et idiosyncrasiques ». Ce qui n’est pas le cas des NDE. L’examen de certains cas a montré à Michael Sabom que « les hallucinations ou les délires rapportés par les gens extrêmement malades ou qui viennent juste de recevoir des narcotiques médicinaux diffèrent significativement de l’expérience aux frontières de la mort tant par le contenu que par la structure ». En outre, ajoute-t-il, « nous avons plusieurs cas nettement documentés où l’expérience s’est produite en l’absence de tout agent hallucinatoire à usage médical, ce qui rend l’hypothèse de l’hallucination due à la drogue complètement insoutenable dans ces cas ».

Raymond Moody, quant à lui, précise qu’on possède de nombreux comptes rendus de cas où des gens ont eu une NDE avec un électroencéphalogramme plat. Un EEG plat est le critère légal de la mort dans de nombreux pays, et il ne peut rien se passer dans le cerveau sans activité électrique, même pas des « hallucinations ».

3. Les explications neurologiques et physiologiques :


 


Nathan Schnaper (professeur de psychiatrie à l’Université du Maryland) a prétendu expliquer les « anecdotes à propos de la vie après la mort/la vie » par des états de conscience modifiés faisant intervenir trois étiologies principales : physiologique (hypoxie, anoxie, etc.), pharmacologique (narcotiques, etc.), psychologique (réaction « dissociative », panique, psychose, etc.). Or, nous avons déjà vu que les explications pharmacologiques et psychologiques sont tout à fait inaptes à rendre compte des NDE. Nous allons maintenant évoquer les explications physiologiques.

a) L’hypoxie et l’hypercapnie :

Commençons par évoquer l’hypoxie (insuffisance d’apport en oxygène) et l’hypercapnie (taux élevé de dioxyde de carbone).

L’arrêt de l’apport du sang au cerveau, à la suite d’un arrêt cardiaque, provoque l’inconscience en quelques secondes, une dégradation progressive du cerveau en trois à cinq minutes. Avant la perte de conscience, le patient peut se trouver face à toutes sortes de phénomènes subjectifs.

Aucune expérience du type NDE n’a été signalée dans l’étude réalisée, dans les années 1920, par deux médecins (Y. Henderson et H. W. Haggard), sur les effets mentaux et physiologiques de l’hypoxie sur des volontaires… Dans les années 1930, le docteur R. A. Mc Farland étudia les effets sur des alpinistes exposés aux conditions « hypoxiques » rencontrées à grande altitude (au Chili). On nota notamment de la paresse mentale, une importante irritabilité, des difficultés de concentration, de la lenteur de raisonnement et des troubles de la mémoire.

Ainsi, la diminution de l’apport en oxygène au cerveau entraîne la confusion et le délabrement progressif des facultés cognitives. Ce qui, comme l’observe Michael Sabom, « est en contraste marqué avec la clarté du fonctionnement mental et la lucidité décrites par les personnes qui ont fait une expérience aux frontières de la mort ». En outre, la séquence d’évènements qui caractérise cette expérience « n’a pas été déclenchée par l’abaissement graduel de l’apport en oxygène au cerveau à la limite de l’inconscience ». Raymond Moody a observé que les NDE ont été expérimentées au cours de crises d’agonie pendant lesquelles la diminution du flux sanguin dans le cerveau ne s’est jamais produite.

De même, Karlis Osis et Erlendur Haraldsson ont constaté que les phénomènes des visions de mourants se rencontrent souvent chez des patients lucides n’ayant pas d’hallucinations et dont l’expérience s’est produite bien avant l’entrée finale dans le coma précédent la mort. Ils précisent que « la majorité des patients qui eurent ces expériences de visions se trouvaient dans un état d’éveil normal de la conscience ». Kenneth Ring observe, quant à lui, que la faille de la théorie de l’anoxie cérébrale « tient à ce qu’on l’accepte trop facilement et qu’elle laisse de côté la plupart des effets spécifiques de l’expérience du substrat ». Par exemple, l’anoxie cérébrale ne peut expliquer qu’un connaisseur de NDE apprenne parfois pendant son expérience la mort d’un être cher dont il ignorait le décès.

Certains chercheurs expliquent la perception du « tunnel obscur » par la privation d’oxygène dans le cerveau. Dans le cas de l’anoxie, davantage de cellules gèrent le centre du champ visuel que sa périphérie. Lorsque des stimuli sont envoyés par les cellules au centre, cela provoque une lumière intense au centre qui diminue jusqu’à l’obscurité complète à la périphérie. Le biologiste moléculaire Mario Markus (Institut Max Planck, Allemagne) a simulé ce processus sur ordinateur : on observe l’impact de la raréfaction d’oxygène sur les cellules périphériques. Du fait de la distorsion visuelle, la lumière blanche, à l’extrémité du « tunnel », semble se rapprocher. Cependant, nous verrons que le « tunnel » et la lumière blanche perçus s’expliquent en réalité par l’accès à l’Univers super-lumineux (ou Plan astral). Il faut tenir compte aussi des explications précédentes invalidant l’explication de l’hypoxie ou anoxie.

Dans les années 1950, L. J. Meduna (un psychiatre de l’Université de l’Illinois) a étudié les effets de différents degrés d’hypercapnie dans la perspective d’un éventuel traitement d’états « neuropsychopathologiques », et il a constaté que certains phénomènes sensoriels subjectifs « comportaient la perception d’une lumière brillante, une sensation de détachement physique, le réveil de souvenirs du passé, l’ineffabilité, la communication télépathique avec une présence religieuse, et des sentiments d’importance cosmique et d’extase ». Ces éléments sont typiques d’une NDE. Le docteur Meduna a identifié une trame commune à ces expériences sous hypercapnie, trame qu’il a définie comme « quelque fonction sous-jacente de structures cérébrales » agissant indépendamment de la « personnalité et des problèmes et difficultés de l’individu ».

Cependant, il est possible que dans ces cas l’hypercapnie ait réellement provoqué chez le sujet une décorporation. A ceux qui pensent qu’il s’agit là d’une « échappatoire », je m’empresse de signaler ce cas – extrait des dossiers de Michael Sabom – concernant un homme dont on avait mesuré les taux sanguins en oxygène et en dioxyde de carbone au moment de sa NDE et de son arrêt cardiaque :

« Pendant son expérience autoscopique, alors qu’il était sans connaissance, il a clairement observé comment un médecin lui plaçait une aiguille dans l’aine pour prélever du sang dans l’artère fémorale en vue d’une analyse des gaz sanguins. Les résultats du laboratoire ont montré un taux d’oxygène bien supérieur à la normale (ce qui est fréquent quand on administre au patient de fortes concentrations en oxygène pendant la réanimation cardio-pulmonaire) et un taux de dioxyde de carbone artériel en fait inférieur à la normale (les valeurs effectives étaient : p O =138, p CO =28, pH =7,46). Le fait qu’il avait observé “ visuellement ” cette prise de sang indique que le prélèvement a été effectué au moment où son expérience avait lieu. Donc, dans ce seul cas documenté, il n’y a ni taux d’oxygène bas (hypoxie), ni taux de dioxyde de carbone élevé (hypercapnie) qui expliquerait l’expérience aux frontières de la mort ! »

On a donc l’assurance qu’une NDE peut se produire sans invoquer l’hypoxie ou l’hypercapnie. Dans certains cas, il est cependant possible que l’élaboration de dioxyde de carbone dans le cerveau puisse être le déclencheur qui lance la NDE. Il ne faut cependant pas oublier qu’il existe nombre d’éléments de l’expérience « hypercapnique » n’ayant rien à voir avec la NDE : « polyopsie » (voir double, triple, etc.), perception effrayante d’une « horreur sans forme et sans raison », etc. Certains sujets de Meduna ont aussi montré des signes de dysfonctionnement neurologique extrême…

On a voulu aussi expliquer l’épisode du tunnel, dans la NDE, par un excès de dioxyde de carbone dans le sang. Mais cette explication se heurte aux constats signalés ci-dessus à propos de l’hypercapnie.

b) Les neuropeptides et les endorphines :


 


Pour le neurochirurgien Bruno Duroux, « l’hypothèse neurophysiologique la plus probable » concerne une libération finale de neuropeptides, molécules permettant la circulation d’informations dans le cerveau. Il s’agirait d’une « sorte de réaction programmée du cerveau face à l’ultime épreuve ». Cette explication simpliste est tout à fait inapte à expliquer de nombreux éléments de la NDE (tunnel, lumière, décorporation, perception de parents défunts, etc.) et ce d’autant plus qu’il n’est pas nécessaire d’être confronté à l’« ultime épreuve » pour vivre une décorporation…

La psychologue Susan Blackmore invoque, quant à elle, l’anoxie et la sécrétion d’endorphines. Nous venons de voir que l’anoxie ou hypoxie n’avait rien à voir avec les NDE (l’anoxie pouvant tout au plus être un facteur déclenchant de la libération de la conscience hors du corps). Que dire alors de la sécrétion d’endorphines ? On a attribué à la B-endorphine, sécrétée par le cerveau, la cause de l’absence de douleur rapportée au cours de la NDE.

Lors d’une étude, rapportée dans la revue médicale britannique « The Lancet », en janvier 1980, on fit état du soulagement complet de la douleur chez 14 patients volontaires souffrant de douleurs intraitables dues à un cancer total, et ce, consécutivement à l’injection de B-endorphine directement dans le liquide cérébro-spinal. Cependant, ce soulagement total a duré de 22 à 73 heures, ce qui ne concorde pas avec les récits de NDE, expériences au cours desquelles l’absence de souffrances n’existe que pendant celles-ci. Dès la fin de la NDE, la douleur physique revient brutalement. Ainsi, dans un cas cité par Michaël Sabom, un homme vit tout à coup sa douleur disparaître alors qu’il se « décorporait ». Lorsqu’il revint dans son corps, il éprouva une souffrance épouvantable.

Michaël Sabom observe aussi que, chez la majorité des patients à qui on a injecté de la B-endorphine, « somnolence et sommeil ont été signalés comme effets psychodynamiques majeurs du produit ». Cette observation, ajoute-t-il, « ne cadre pas du tout avec “ l’hyperlucidité ”décrite pendant l’expérience aux frontières de la mort où il y a clarté de “ vision ” et de pensée ».

Par ailleurs, la perception de la ponction d’une veine et d’un léger toucher demeurait intacte chez les patients. Ceci diffère des NDE dans lesquelles a été signalée une totale absence de souffrance et d’inconfort. Ainsi, une femme fit la remarque suivante à propos du moment où elle se trouvait hors de son corps et observait son médecin qui cherchait où placer une aiguille dans son poignet :

« Je me rappelle que je ne pouvais pas sentir quand ils cherchaient où mettre l’aiguille. C’était étonnant parce que d’habitude c’est quelque chose qu’on peut sentir… C’est la première fois que je peux honnêtement dire qu’une intraveineuse ne m’a pas fait mal. »

Michael Sabom conclut qu’il apparaît invraisemblable que la B-endorphine puisse rendre compte des NDE.

D. Carr (1982) a supposé – Ronald Siegel a proposé une hypothèse similaire – qu’une libération massive d’endorphines désinhibe l’hippocampe en abaissant le seuil d’excitabilité du lobe temporal, provoquant de la sorte des décharges épileptoïdes au niveau des lobes limbique et temporal. Jean-Pierre Jourdan rappelle que les endorphines et enképhalines « sont ce que l’on appelle des opioïdes endogènes, ayant une action analgésique et euphorisante, et dont la libération est provoquée en particulier par les états de stress ». Mais des études faites chez des patients ayant reçu de fortes doses de narcotiques provoquant des effets similaires, ajoute Jean-Pierre Jourdan, « n’ont montré aucun cas de N.D.E., mais des hallucinations n’ayant aucun rapport avec celles-ci ». En outre, précise-t-il, « si l’absence de douleur pendant la N.D.E. était liée à une libération massive d’endorphines, l’analgésie devrait persister pendant 24 à 72 heures après le retour, comme cela a été retrouvé dans des études où de la bêta-endorphine a été administrée à des patients cancéreux ». Or, dans les NDE, « le retour à la conscience normale s’accompagne d’un retour simultané de la souffrance ». La participation de ces molécules à la genèse des NDE « est donc peu probable ».

La deuxieme partie de cet article
 

yogaesoteric

23 septembre 2019

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