3. Dualisme et non-dualisme dans la synthèse entre le Tantra et le Yoga
un article de Gregorian Bivolaru
Dans le prologue de cette présentation nous affirmons le fait que la synthèse entre le TANTRA et le YOGA nous permet de résoudre l’opposition entre la transcendance et l’immanence, entre le dualisme et le non-dualisme. Dans le fameux texte oriental ”Kularnava Tantra”, il existe un passage qui va directement à l’essence du problème: ”L’Unique BRAHMAN (DIEU) est deux, transcendance et immanence, absolu et LOGOS (verbe). Certains me comprennent d’une manière dualiste, d’autres me perçoivent de façon non-dualiste; mais ma réalité profonde se situe au-delà de dualisme et de non-dualisme”. Ici nous nous rendons compte que dans la vision du système de TANTRA ”la réalité suprême serait une sorte de transcendance immanente, un ordre impliqué, et notre but suprême est de participer en totalité en elle”. Nous allons développer cette idée.
Les questions sur la nature de l’univers, des origines et de notre destin, nécessitent des réponses formulées avec toute la rigueur dont la raison est capable. Et souvent nous ne possédons que cet unique instrument pour expliquer le monde! Pour cette raison, nous lui attribuons un pouvoir exagéré.
Dans un certain sens, la conception dualiste s’adapte mieux à la logique du monde visible. C’est une vision pauvre et limitée, mais pourtant relativement satisfaisante en ce qui concerne la Manifestation strictement observable. La difficulté devient presque insurmontable si nous essayons établir une relation avec la Conscience non-manifestée. Les phénomènes peuvent être expliqués, mais leur origine informelle donne naissance à d’autres problèmes.
Comment faire alors pour lier la causalité à ce-qui-est-sans-cause ? Ainsi le système oriental SAMKHYA, trop préoccupé à se présenter comme un système complet, qui reconnaît l’émergence d’un principe immatériel au-delà de l’énergie et de ses formes actualisées – admet pourtant l’expérience d’un Soi, d’une Conscience, mais n’arrive jamais établir un vrai raccommodement, une interdépendance de celle-ci avec le matériel, avec la nature. Il a trouvé une solution boiteuse, qui conduit à la rencontre de l’antinomie entre les deux principes.
C’est d’ailleurs le problème majeur de tous les démarches dualistes. Tant qu’elles se contentent d’expliquer le monde phénomènal, elles peuvent être acceptables. Mais au-delà de ces aspects, leur conclusions deviennent radicales, arrivant à formuler des théories extrêmes comme le manichéisme. Le problème devient ainsi fatal : le monde se transforme en un obstacle dans la voie de la libération spirituelle, devenant un monde en prépondérance méchant, qui est gouverné par les forces maléfiques! Les notions de bien et de mal se radicalisent elles-aussi, de même que la morale, et ainsi de suite… En réfléchissant profondément on peut facilement se rendre compte où cela pourrait conduire!
Si les dualistes fonctionnent suffisamment correctement dans notre dualité quotidienne, ils ont de vrais problèmes avec la transcendance. En ce qui concerne les non-dualistes, ils ont bien sûr des problèmes avec le monde des phénomènes. Le ADVAITA VEDANTA ou le bouddhisme classique nous offrent une vision non-matérialiste en ce qu’ils privilège l’esprit. La démarche de ceux-ci nous semble moins naïve, plus élevée et plus globale. A la première vue, elle semble « plus spirituelle » ou plus sérieuse, mais pourtant, dans une certaine mesure, est extrêmement éthérée; car à leur tour ils se perdent dans des explications inutiles concernant les relations possibles entre « Un » et « multiplicité ». Dans ce sens, leurs concepts ne sont pas plus convaincants. Leur solution consiste le plus souvent en un escamotage des phénomènes et de la matière, qui sont déclarés alors comme irréels. La seule réalité est BRAHMAN (DIEU), l’Absolu Suprême qui est doué d’un permanent pouvoir d’illusion – MAYA, ce qui rend possible le déroulement du monde sous nos yeux comme une sorte de rêve aliénant: une évanescence sans aucune consistance, mais que nos sens et notre mental fascinés, prennent pour la réalité. Si nous avions le goût de la polémique, nous répliquerons ainsi: dans un univers où toutes les formes manifestées sont irréelles, même formuler et soutenir l’irréalité du monde est antinomique et aberrant.
Si nous soutenons que toute manifestation est irréelle, alors ce concept même, émané de notre mental irréel, ne peut pas être réel! Car le mental, l’intellect et les processus de la pensée font certainement partie intégrante de cette manifestation irréelle. Nous arrivons ainsi à une sorte d’extravagance que nous masquons en prétendant dans certains cas que nous formulons un raisonnement ”du point de vue de Sirius”, ou mieux, du point de vue de l’Absolu. Mais alors nous perdons de vue que l’Absolu n’a pas un point de vue. Il n’a aucune pensée, aucun raisonnement, aucune notion et aucune cause. Dans Sa Réalité il existe autant tel qu’il est que ce qu’il n’est pas.
D’une façon ou d’autre, les deux systèmes conduisent donc à une confusion identique, c’est-à-dire au rejet du monde, mais sans offrir une solution intégrale.
Mais ne nous considérons pas vaincus dès le départ, il vaut mieux de partir du point de vue qu’en fait chacune des deux affirmations précédentes représentent la moitié de vérité de l’autre.
Certaines écoles tantriques, comme l’école KAULA du Cachemire, proposent une vision de la réalité où le divorce entre l’Absolu et le monde n’est plus irrémédiable. Mais de telles écoles sont rares. Elles se basent alors sur une argumentation extrêmement cohérente et surtout sur l’expérience directe des yogis qui, en réalisant la totalité, voient “Un” dans le “multiple” et le “multiple” dans “l’Un” et vivent cette réalité comme un ”état naturel”.
Certainement, le plus souvent l’homme ne se déclare jamais trop satisfait de se trouver en face des paradoxes. Il les trouve souvent trop inconfortables et préfère les simplifications abusives, car celles-ci sont toujours plus conformes au langage et à la logique humaine.
En effet, l’affirmation selon laquelle il est vraiment possible d’intégrer ”ce qui apparaît” (nous verrons plus tard la signification de expression) à l’aide d’une conscience inconditionnée et sous-jacente qui se trouve simultanément en dehors des phénomènes, étant pourtant impliquée dans la manifestation – cela étant valable à partir de l’énergie potentielle et jusqu’aux formes visibles et aux objets les plus compacts – ne répond pas trop aux normes de la logique classique. Plus qu’ailleurs nous sommes ici confrontés aux limites du langage. Pour réaliser la vérité de cette affirmation, il faut donc changer de système de logique. Dans une dimension géométrique à deux dimensions, l’explication est sans envergure, mais elle reste correcte. Dans une géométrie à trois dimensions, l’explication s’élargit, mais devient difficile et incertaine. Étant donné que l’univers (le MACROCOSME) s’inscrit dans une géométrie mystérieuse avec des dimensions multiples – peut être même infinies – tel que certains scientifiques le supposent, toute tentative de l’expliquer se prouve incorrecte, sinon impossible.
La vision globale qui apparaît dans le cas de la SAGESSE nécessite une phase d’interruption des processus psycho-mentaux qui, par leur nature, permettent seulement la connaissance d’un univers réduit à deux ou trois dimensions. Pour cette raison on dit que le mental doit être déconnecté. Cela implique de revoir et remplacer toutes nos valeurs, de même que son fonctionnement habituel. Le premier changement consiste à arrêter de nous identifier à nos processus mentaux; parce que de cette erreur découlent toutes nos fausses certitudes, toutes les demi- vérités qui sont le résultat de notre besoin si difficile à réprimer de compartimenter, d’opérer des dichotomies, de raisonner et de toutenfermer dans des concepts.
Nous ne pourrons jamais intégrer de façon simpliste la matérialité du monde, l’énergie, la forme et l’espace dans le vide lumineux de la Conscience, le conditionné dans l’inconditionné, le personnel dans l’impersonnel, le temps passé ou le futur dans l’impersonnel présent. Nous ne pourrons jamais voir ou vivre la Totalité qui est simultanément de la Conscience immobile et cet océan d’énergie en mouvement – par une simple adhésion intellectuelle à certains concepts, même parfaits. Cette simple acceptation superficielle ne pourra jamais changer notre condition d’asservissement. Même les plus élevés essors de courte durée du mental continueront de ne pas changer notre état de prisonniers de notre conditionnement physique et mental, ou des psychoses qui nous caractérisent. Et alors toutes ces constructions mentales, tous ces échafaudages vertigineux, toutes ces traditions culturelles ou religieuses, ne représentent que des obstacles accumulés. Souvent nous les fabriquons par désir, par peur du vide et la peur de la mort. Mais il semble que pour l’homme social et pour la société, ce qu’on comprend par la vision de la Totalité, n’est finalement ni quelque chose de rassurant, ni de désirable.
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