L’empire du mensonge : une success story (2)

Lisez la première partie de cet article

3.7 Repères historiques

Avant de devenir un empire financier et une machine médiatique, l’Amérique s’est d’abord pensée comme une construction politique fragile, qui exigeait des fondations intellectuelles solides.

À l’heure de l’indépendance, son élite n’était pas encore une élite de rente, mais une élite de bâtisseurs. George Washington, figure austère et disciplinée, n’était pas un théoricien académique, mais il avait forgé un véritable parcours intellectuel, nourri par ses lectures, son expérience militaire et un sens aigu de l’organisation. Autour de lui, des hommes comme Alexander Hamilton, James Madison ou Thomas Jefferson défendaient des visions divergentes mais toujours exigeantes : débats constitutionnels, conception de la dette publique, affrontement entre un modèle fédéral fort et l’autonomie des États. Cette première génération se pensait investie d’une responsabilité historique : transformer un ensemble de colonies disparates en une république fédérale stable, capable de tenir tête aux monarchies européennes.

Il faut rappeler que cette élite ne brandissait pas le mot « démocratie » comme un étendard. Le projet était explicitement celui d’une République constitutionnelle, avec un équilibre des pouvoirs destiné à protéger la propriété et à prévenir la tyrannie des foules. À l’époque, se dire « démocrate » relevait de l’insulte : le terme évoquait le désordre populaire, l’instabilité et les excès révolutionnaires. Les Pères fondateurs redoutaient autant les passions incontrôlées des masses que l’arbitraire d’un monarque. Ce n’est qu’au XIXe siècle, avec l’élargissement du suffrage et la montée des partis politiques, que le mot « démocratie » fut réhabilité et progressivement érigé en valeur positive, jusqu’à devenir l’emblème rhétorique du système américain.

Cet esprit de défi, parfois caustique, transparaît jusque dans les échanges diplomatiques de l’époque.

Lors d’un dîner à Londres, au temps des négociations sur l’indépendance, un envoyé américain identifié comme Benjamin Franklin, demanda à se rendre aux toilettes. À son retour, ses hôtes anglais lui demandèrent :

– Tout était à votre convenance ?

– Oui, parfaitement, répondit-il. On insista :

– N’avez-vous rien remarqué d’étrange ?

– Non, tout était à sa place. Alors on lui dit :

– Mais enfin, vous n’avez pas vu le portrait de George Washington accroché aux toilettes ? Et Franklin de répliquer, pince-sans-rire :

– Si, je l’ai vu. Et je dois dire que rien ne vaut un portrait de Washington dans les toilettes….… pour bien faire chier un Anglais !

3.8 De l’Empire britannique à l’Empire américain

La transmission du mensonge

Cette réplique savoureuse attribuée à Benjamin Franklin illustre la rivalité entre l’Angleterre impériale et sa colonie émancipée. Mais derrière l’humour, l’histoire est plus grave : l’Amérique n’a pas seulement hérité de la langue anglaise et des institutions parlementaires, elle a aussi repris l’un des traits structurants de sa métropole – l’art du mensonge impérial.

L’Empire britannique excellait à transformer la prédation coloniale en « mission civilisatrice » : la traite négrière devenait « commerce triangulaire », la domination des mers se présentait comme « protection des routes », et les guerres de l’opium en Chine étaient justifiées comme défense de la « liberté du commerce ». Le récit masquait l’exploitation, et la propagande accompagnait chaque conquête.

Mais l’Angleterre sort exsangue des deux guerres mondiales, cédant peu à peu sa place de première puissance. Les États-Unis reprennent alors le flambeau, non seulement sur les plans économique et militaire, mais aussi narratif.

Héritiers de la City de Londres, de ses réseaux financiers et de son art du « soft power » avant l’heure, ils perfectionnent la mystification impériale.

De la mission civilisatrice britannique à la mission démocratique américaine, la continuité est frappante. L’un légitimait l’empire en invoquant Dieu et le progrès ; l’autre en invoque la liberté et les droits de l’homme. Mais dans les deux cas, l’écart entre le discours et la réalité demeure abyssal : pillage, guerres d’agression, domination financière.

Ainsi, l’« Empire du mensonge » n’a pas disparu avec la décolonisation britannique : il a simplement changé d’adresse. Son rejeton américain, appuyé sur Hollywood, Wall Street et le Pentagone, en a produit une version hypertrophiée – jusqu’à la décadence actuelle.

3.9 Du symbole Kennedy à la farce présidentielle

Le dernier véritable grand président américain fut sans doute John F. Kennedy. Son assassinat, en pleine lumière, dans une voiture décapotable, porta un coup symbolique irréversible : la balle fatale dans sa tête éclatait aussi, d’une certaine manière, la cervelle politique des États-Unis.

Le cerveau dispersé de Kennedy devint l’image d’une intelligence nationale éclatée, d’une vision perdue qu’aucun successeur ne sut jamais retrouver.

Avec lui s’effondra un projet indépendant, trahi et décapité. Comme l’a montré Laurent Guyénot, l’ombre de James Jésus Angleton – chef du contre-espionnage de la CIA – incarna la montée d’un véritable « État dans l’État », orientant l’appareil sécuritaire vers des intérêts étrangers, notamment israéliens. Dès lors, une question hante l’histoire américaine : qui commande encore ?

L’Amérique tient-elle son propre destin, ou bien l’a-t-elle cédé à une puissance plus obscure ? Ce fut le point de bascule, l’instant où la Maison-Blanche perdit son autonomie.

Lyndon B. Johnson, successeur de Kennedy, représenta cette continuité funeste. Sous sa présidence, l’Amérique s’enlisa dans la guerre du Vietnam, conflit total et sans issue. Johnson voulait démontrer la force et la détermination de l’empire ; il ne fit que révéler son impuissance face à un peuple décidé. Les chiffres s’accumulaient – bombardements massifs, pertes colossales – mais la victoire ne venait jamais. Le mensonge prit ici toute sa dimension : chaque discours officiel annonçait des « progrès », chaque rapport promettait la lumière au bout du tunnel, alors même que l’abîme se creusait. Cette guerre fut non seulement un désastre militaire, mais aussi un désastre moral : elle détruisit la confiance des citoyens envers leur gouvernement, ouvrant la voie à la contestation de masse et au climat de suspicion des années 1970.

Ronald Reagan incarna une transition paradoxale : piètre acteur à Hollywood, il fut peut-être le seul à tenir un rôle crédible une fois à la Maison-Blanche. Par son sourire et ses répliques, il donna l’illusion d’une Amérique triomphante, notamment en bluffant l’Union soviétique avec la « Guerre des étoiles ». Mais derrière ce décor s’installait déjà l’ère du marketing politique et de la mise en scène permanente : la politique devenait un spectacle.

Puis vint la dégringolade. Bill Clinton ramena la Maison-Blanche à une légèreté médiatique où le scandale tint lieu de programme.

George W. Bush, caricature du président improvisé, fut propulsé par son nom et manipulé par ses conseillers. Sous sa présidence, les États-Unis s’engagèrent dans les guerres les plus coûteuses et désastreuses de leur histoire récente : Irak et Afghanistan.

Barack Obama incarna pour beaucoup un souffle d’espoir, presque messianique. Mais très vite, il se révéla maître dans l’art du discours creux : son éloquence brillante masquait une continuité absolue de l’Empire du mensonge. Derrière ses mots, il fut en réalité l’un des présidents les plus belliqueux de l’histoire récente, multipliant les interventions militaires et les campagnes de drones, tout en maintenant Guantánamo et les guerres dites « humanitaires ». Ironie suprême : ce président guerrier reçut le Prix Nobel de la paix. Mais ce monde malade peut toujours faire mieux : Netanyahou, lui-même poursuivi pour crimes contre l’humanité, proposa que cette distinction soit remise à Donald Trump.

À partir de là, ce fut la descente aux enfers. Donald Trump, président 1.0, se montra d’abord prudent et calculateur, avant de céder la place à un Trump 2.0 en roue libre, porté par un entourage qui amplifia sa folie plus qu’il ne la contenait.

Joe Biden, quant à lui, incarne la dégénérescence même : un président hésitant, marqué par les lapsus et les gestes confus, symbole d’un empire qui ne parvient même plus à tenir son masque.

La trajectoire est limpide : d’un Kennedy visionnaire à un Biden vidé de sens et un Trump livré à ses délires, l’histoire présidentielle américaine raconte la décomposition d’une puissance qui fut intellectuelle avant de devenir purement théâtrale.

3.10 De la propagande au spectacle politique

Ce basculement se résume parfois dans une boutade qui circule jusque dans certaines chancelleries : « Après Biden et ses drapeaux arc-en-ciel sur chaque pupitre, Washington a découvert le chapiteau Barnum : Trump y installe ses projecteurs, les tweets servent de confettis, et l’agenda ressemble à un programme de cirque plus qu’à un plan de gouvernement ». Derrière l’humour, l’image révèle une rupture de style : du symbolisme inclusif à la gouvernance-spectacle, l’Amérique n’apparaît plus comme garante d’un ordre stable, mais comme actrice d’un show en quête d’attention permanente. Cette exagération amuse, mais elle traduit surtout la perception d’un pouvoir plus soucieux d’occuper l’espace médiatique que d’édifier un ordre durable.

3.11 Composition du cabinet : un indicateur de décadence

Un autre symptôme de cette dérive se lit dans la composition de l’entourage présidentiel. L’administration 2016-2017 conservait encore quelques figures issues du Parti républicain classique et des profils technocratiques destinés à rassurer l’appareil d’État. La configuration 2.0, elle, privilégie des conseillers et des relais médiatiques dont la fonction n’est plus de gouverner, mais de soutenir la posture combative du chef.

Théoriquement, on évalue l’intelligence d’un président à sa capacité à s’entourer de personnalités solides. Or, l’équipe actuelle relève de la caricature :

Ted Cruz, Pete Hegseth, J.D. Vance, Tulsi Gabbard

Ted Cruz appelle à attaquer l’Iran sans rien connaître du pays ni même de sa démographie.

Pete Hegseth proclame qu’il n’est « plus ministre de la Défense, mais ministre de la Guerre ».

J.D. Vance, qui aurait pu incarner une voix mesurée, se contente d’obéir aux slogans de son patron.

Seule Tulsi Gabbard conserve une stature digne d’un véritable conseiller ; mais Trump a déjà déclaré publiquement qu’il se moquait de ses avis, préférant suivre les mensonges de Netanyahou.

En deux siècles, ce n’est pas une simple baisse de niveau : c’est une dégringolade historique.

3.12 Frappes sur l’Iran : le saut criminel

Autrefois, la perfidie impériale se traduisait par des intrigues, des campagnes médiatiques ou quelques coups de force voilés. Aujourd’hui, l’équipe Trump 2.0 ne se contente plus de manœuvrer dans l’ombre : elle s’érige en hégémon brutal et sans scrupule, imposant sa loi au grand jour.

Les frappes américaines de juin 2025 sur les sites nucléaires iraniens en donnent la mesure : trois centres d’enrichissement – Natanz, Fordow et Ispahan – furent directement visés.

L’ONU parla d’un « tournant périlleux » pour la stabilité mondiale, l’AIEA constata des dégâts « significatifs » sur les infrastructures, et plusieurs experts rappelèrent que l’attaque violait à la fois la Charte des Nations unies et le Traité de non-prolifération.[1]

Derrière ces condamnations, ce sont surtout des millions de vies qui furent placées en danger par le risque de contamination chimique et radioactive. À ce degré, il ne s’agit plus seulement de mensonge ou de propagande : c’est un acte criminel et irresponsable.

Ces frappes illustrent le degré de témérité atteint : le pouvoir ne se contente plus de manœuvrer, il met en péril l’équilibre mondial pour nourrir son récit. Car au fond, l’essentiel n’est plus la stratégie militaire, mais l’image : celle d’un président-candidat permanent.

3.13 Un président-candidat permanent

Le « nouveau président » n’apparaît plus comme l’architecte d’une administration, mais comme un candidat perpétuel : non seulement tourné vers l’électorat national, mais projetant son récit vers un « monde à conquérir » dans l’imaginaire Trump, où chaque provocation devient victoire symbolique.

Dans cette séquence, le nativisme ne vise plus seulement l’immigrant : il englobe l’ensemble du monde extérieur, perçu comme porteur de valeurs étrangères, voire « barbares », qu’il conviendrait de tenir à distance ou de remodeler.

Conclusion intermédiaire

Au terme de ce parcours, l’image présidentielle n’apparaît plus comme une fonction stabilisatrice mais comme un dispositif narratif en quête constante de légitimité. Le pouvoir s’est déplacé de la construction politique à la mise en scène médiatique.

Ce qui fut jadis un art du mensonge raffiné est devenu un spectacle dégradé, où la légèreté des tweets côtoie la gravité des frappes militaires.

Ce jeu d’illusions ne s’arrête pas aux frontières américaines. Il se projette à l’extérieur, où l’Empire du mensonge se pose en arbitre universel tout en alimentant les conflits qu’il prétend résoudre.

Des dossiers les plus brûlants – Ukraine, Gaza, Iran, Qatar – surgit le même paradoxe : Washington se proclame garant, mais agit en faussaire.

3.14 De l’Ukraine à Gaza, de l’Iran au Qatar : l’Amérique, garant faussaire

Trump claironnait durant sa campagne : « Avec moi, la guerre n’aurait jamais commencé ». Slogan efficace, gage de son génie diplomatique supposé. Mais la réalité est sans appel : avec lui, la guerre continue. L’Ukraine, censée voir son conflit « résolu en 48 heures », est devenue le théâtre d’un enlisement interminable. L’illusion d’une Amérique toute-puissante capable de dicter la paix s’est fracassée sur la résistance du réel : ni la force militaire, ni la pression économique, ni les proclamations médiatiques n’ont infléchi le cours de l’histoire.

3.15 Gaza : la Riviéra rêvée, le charnier réel

On promettait à Gaza un avenir de « Dubaï méditerranéen », vitrine du développement sous parrainage occidental. Mais le rêve touristique a viré au cauchemar. Derrière les discours de reconstruction et de cessez-le-feu humanitaire, Washington couvre et arme les bombardements israéliens. La Riviéra annoncée s’est muée en champ de ruines. L’Amérique se pose en médiatrice de paix alors même qu’elle finance et protège le belligérant principal.

3.16 Iran : les garanties empoisonnées

À Téhéran, les États-Unis se sont posés en garants des négociations nucléaires. Mais cette garantie n’était qu’un cheval de Troie : faire baisser la garde de l’adversaire, ouvrir un espace de confiance artificielle, pour mieux préparer le coup de poignard israélien. Puis, feignant l’ignorance, Washington s’abrite derrière un masque de neutralité. Ce n’est plus de la diplomatie, c’est une méthode mafieuse : tendre la main pour mieux désarmer, promettre la sécurité pour mieux trahir.

3.17 Qatar : l’arbitre piégé

Doha devient à son tour le terrain d’un jeu dangereux. Washington s’y présente en arbitre incontournable, garant des équilibres régionaux et partenaire stratégique. Mais derrière le vernis, ses interventions sèment plus de suspicion que de confiance. Les alliés eux-mêmes savent désormais que chaque promesse américaine peut se transformer en piège, chaque accord en marché de dupes. (La chaîne de télévision israélienne Channel 12 a pour sa part révélé que des avions des renseignements américains et britanniques survolaient l’espace aérien qatari avant l’offensive israélienne.)

Certains observateurs, dont votre serviteur, avaient averti il y a peu que le silence – et parfois la complicité – des monarchies du Golfe finirait par se retourner contre elles. L’épisode qatari en offre une illustration brutale : allié stratégique de Washington, hôte de la plus grande base américaine de la région, Doha n’a pourtant été prévenu des frappes israéliennes qu’une dizaine de minutes après leur déclenchement. La loyauté, dans cette configuration, ne protège plus ; elle expose.

3.18 Trump, l’Inde et l’axe russo-chinois : l’aveuglement géopolitique

Cocasserie tragique : candidat, Trump dénonçait Biden pour avoir « offert la Russie à la Chine », forgeant un axe redoutable. Mais en président 2.0, il fit pire encore. Par une décision douanière absurde, il poussa l’Inde – jusque-là fidèle à sa tradition d’équilibre entre Washington et le Sud global – à basculer pleinement dans le camp russo-chinois. La scène fut scellée lors du dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai en Chine : l’Inde, non seulement alignée, mais paradant aux côtés de Moscou et Pékin dans un défilé militaire célébrant les 80 ans de la victoire sur le nazisme. Tout un symbole. Ainsi, au lieu d’endiguer l’Asie, Washington l’a unifiée contre elle.

3.19 Le pire à venir

De l’Ukraine enlisé à Gaza détruite, de l’Iran trahi au Qatar manipulé, et jusqu’à l’Inde désormais arrimée à l’axe russo-chinois, se dessine une trajectoire claire : l’Amérique n’est plus un garant, mais un faussaire. Sa diplomatie ne relève plus du droit ni même du rapport de force classique, mais de la logique mafieuse : extorquer, promettre, trahir. Le monde en prend acte, et chaque nouvel épisode creuse un peu plus le gouffre entre le rôle que les États-Unis prétendent jouer et celui qu’ils incarnent réellement.

Le pire est donc à venir, car l’Empire du mensonge a atteint le stade où il ne ment plus seulement aux autres, mais à lui-même.

Ce mensonge, enraciné dans la politique extérieure, a trouvé son prolongement naturel dans la sphère intérieure. Car à mesure que l’Amérique projetait ses fictions sur le monde, elle installait en son sein les infrastructures d’un récit permanent – particulièrement à l’ère numérique.

3.20 L’ère numérique

Après le 11 septembre, l’Amérique entre dans un état d’exception permanent ; le récit de la peur se mêle à celui de la justice. Le mensonge n’est plus l’accident : il devient infrastructure de sécurité.

Aujourd’hui, plus c’est gros, plus ça passe, depuis le tournant des années 2000, l’Amérique semble s’émanciper non seulement des règles internationales qu’elle a contribué à forger, mais aussi de ses propres garde-fous juridiques. Le droit cède la place à des « règles » mouvantes, réécrites au gré des urgences proclamées : Patriot Act, zones grises de Guantánamo, interventions sans déclaration de guerre, surveillance massive justifiée par la « sécurité ». Cette plasticité normative traduit moins une incapacité qu’un choix stratégique : substituer à la contrainte du droit l’avantage de règles flexibles, révisables à chaque nouveau contexte. Dans ce glissement, la légitimité ne repose plus sur la permanence de principes mais sur l’affirmation de puissance, et le récit officiel transforme l’exception en nouvelle normalité.

La vitesse de circulation et la fragmentation de l’opinion abolissent presque toute exigence de vraisemblance. Les assertions invérifiables prospèrent, portées par des algorithmes qui privilégient l’émotion sur la preuve. La dissonance cognitive devient un mode de survie psychique : on croit ce qui conforte son camp, on évacue le reste.

C’est dans ce contexte que l’idéologie sociétale américaine, marquée par la cancel culture, vient ajouter une strate supplémentaire de confusion. Au départ simple pratique de dénonciation, elle s’est muée en mécanisme d’effacement et de réécriture du réel. Ce qui était contradiction assumée devient déni organisé. On ne débat plus, on supprime ; on ne corrige pas, on efface.

En prétendant « protéger » des sensibilités, la cancel culture a généralisé une nouvelle forme de dissonance cognitive : le refus de voir ce qui dérange, y compris dans les évidences biologiques ou historiques. Les dérives du transgenre idéologisé, emblématiques de ce climat, traduisent le basculement d’une société qui fabrique ses propres vérités de substitution.

3.21 Le mensonge à la carte

À l’ère numérique, le mensonge n’est plus imposé verticalement, il est consommé à la demande. Chacun peut se construire une bulle cognitive où la vérité n’est plus partagée mais éclatée en fragments concurrents. Les réseaux de communication virtuelle ne diffusent pas seulement de l’information, ils organisent un marché des illusions où chaque « vérité » devient un produit personnalisé. L’Amérique n’impose plus un récit unique : elle multiplie les récits, jusqu’à dissoudre la possibilité même d’un réel commun.

Ainsi, la mécanique du mensonge impérial et la dynamique sociétale convergent : l’Amérique ment au monde comme elle se ment à elle-même. Ses guerres sont justifiées par des slogans creux, ses débats internes par des identités fluides où la cohérence disparaît.

Le numérique, amplificateur de récits, a transformé cette dissonance en norme : chacun vit dans sa bulle, chacun choisit sa « vérité ».

Ainsi, du Patriot Act aux algorithmes des réseaux de communication virtuelle, une même logique se déploie : l’exception devient règle, la vérité devient variable, et le mensonge cesse d’être un accident pour devenir un mode de gouvernement.

Conclusion intermédiaire

Du traité rompu à la loi d’exception, l’histoire américaine déroule un fil rouge : la parole publique n’est jamais totalement innocente. Mensonge comme stratégie d’équilibre entre idéal proclamé et impératif de puissance ; storytelling sophistiqué ; vérité devenue flux à l’ère numérique. Mais pour comprendre la profondeur de ce mécanisme, il faut revenir aux matrices culturelles qui ont façonné l’imaginaire américain – de la Bible fondatrice aux dystopies modernes.

Chapitre IV – Matrices narratives et philosophie

4.0 – Du ministère de la Vérité à la manufacture du consentement

Alors que les dictatures brandissent un journal officiel, la démocratie américaine s’appuie sur un système plus subtil : pluralité apparente, mais convergence autour de l’État et du capital.

4.1 – La Bible comme socle narratif

Pour les Pères pèlerins en 1630, le Nouveau Monde est une Terre Promise. John Winthrop prêche :

« We shall be as a city upon a hill ». « Nous serons comme une cité sur la colline ».

Les nations autochtones sont assimilées à des Cananéens à chasser ou à des Amalécites à anéantir ; l’expansion devient obéissance à Dieu. Triple effet : légitimation morale, effacement symbolique, mémoire sélective. Ce prisme scripturaire perdure de Lincoln à Reagan.

4.2 Orwell et la modernité : 1984 comme miroir américain

Si la Bible a donné aux premiers colons la conviction d’une mission, Orwell, trois siècles plus tard, nous lègue un manuel de décryptage. 1984 n’est pas seulement un roman sur un futur totalitaire ; c’est une matrice de lecture pour toute société qui prétend garantir la liberté alors même qu’elle reformule, aseptise, travestit le réel.

George Orwell écrivait :

« Political language is designed to make lies sound truthful and murder respectable, and to give an appearance of solidity to pure wind ».

« Le langage politique est destiné à rendre le mensonge respectable, le meurtre acceptable, et à donner l’apparence de solidité au vent ».

Euphémismes contemporains : « techniques d’interrogatoire renforcé », « dommages collatéraux », « Patriot Act ».

La novlangue dissout la vérité brute. Question finale : 1984 a-t-il fourni une prophétie autoréalisatrice ? L’avertissement d’Orwell devient-il mode d’emploi pour la fabrique du consentement ?

Conclusion

De l’effacement des Amérindiens aux fioles brandies à l’ONU, du langage biblique des Pères pèlerins aux algorithmes de la Silicon Valley, un fil rouge traverse l’histoire américaine : le mensonge comme ciment politique. L’Amérique n’a pas inventé le mensonge d’État, mais elle l’a perfectionné en le transformant en récit national, puis en marchandise exportable.

Soljenitsyne avertissait qu’« on ne peut vivre dans le mensonge sans s’y dissoudre ». Orwell montrait que le langage peut rendre le mensonge respectable et le meurtre acceptable. À l’ère numérique, ces deux avertissements convergent : la vérité n’est plus étouffée par la censure ou la terreur, mais dissoute dans le flux, jusqu’à devenir optionnelle.

Chacun choisit désormais la vérité qui conforte sa bulle, et l’Empire prospère dans cette confusion.

La vraie question n’est donc plus : les États-Unis mentent-ils ? Mais : peut-on encore dire la vérité dans un monde où tout devient récit concurrentiel ? Là se joue l’avenir : soit consentir au règne liquide de l’Empire du mensonge, soit chercher les conditions d’une parole fragile mais fidèle au réel.

Note :

[1] António Guterres, déclaration ONU, juin 2025 ; Rafael Grossi (AIEA), briefing de presse, 23 juin 2025 ; Abbas Araghchi, ministre iranien des affaires étrangères, NDTV, 24 juin 2025.

 

yogaesoteric
24 septembre 2025

 

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