La route électrique trouve sa voie
Optimisation des stations de recharge, propulsion par induction, production de courant par le bitume… Des techniques innovantes pourraient bientôt permettre aux véhicules électriques de parcourir de longues distances.
Équipés de pantographes, des camions captent le courant par frottement avec la caténaire installée au-dessus d’une voie d’autoroute. Ici, un test sur une portion de route de deux kilomètres près de Stockholm, en Suède.
Et si c’était la route qui pilotait les voitures ? À mi-chemin entre le trafic automobile actuel, dépendant de l’habileté et de la sagesse des conducteurs, et la circulation de véhicules autonomes guidés par des capteurs, émerge une troisième voie : la route électrique. L’induction, la conduction, voire un système de caténaires comme celui utilisé pour les trains pourraient bien, en effet, donner naissance demain à un système intelligent de régulation d’un trafic routier entièrement en mode électrique. C’est du moins ce que croit fermement Jean-Yves Kerbrat, président de MAN, la filiale bus et camions du constructeur allemand Volkswagen : « Si l’on regarde des images de la 5e Avenue à New York (États-Unis) en 1900, on y voit des calèches et une ou deux voitures à pétrole. Dix ans plus tard, tous les véhicules sont passés au moteur thermique. D’ici à dix ans, se profile une mutation d’une ampleur similaire », a-t-il affirmé lors du congrès Electric Road, consacré à la mobilité électrique, qui s’est tenu en juin 2018 à Nantes.
Selon les acteurs du secteur présents à ce congrès, la transition du pétrole vers l’électrique est en cours partout dans le monde. « Après tout, si l’on prend en compte le train, le tram et le métro, 56 % des voyages effectués en France se font déjà grâce à l’électricité ! », s’amuse ainsi Marc Delayer, vice-président de l’Union des transports publics (UTP). Le secteur étant porté par le changement climatique en cours qui impose de ne plus brûler d’énergie fossile d’ici au milieu du XXIe siècle… soit dans à peine plus de trente ans ! Résultat : si seulement 30.000 véhicules électriques ont été vendus dans l’Hexagone en 2017, le gouvernement s’est donné comme objectif de multiplier ce chiffre pour atteindre 1,5 million d’unités en circulation en 2022. Dans l’un de ses scénarios, Réseau de transport d’électricité (RTE), en charge des 100.000 kilomètres de lignes à haute tension à travers le pays, table même sur… 15,6 millions de véhicules « zéro émission » en 2035 ! Sans pour autant que la consommation d’électricité augmente du fait des gains en efficacité énergétique (économies d’énergie, lampes basse consommation, électroménager moins gourmand, etc.). Et les véhicules utilitaires n’échappent pas à la vague : Jean-Yves Kerbrat a ainsi annoncé la sortie du premier poids lourd électrique de 26 tonnes pour 2021.
Parvenir à se débarrasser de la recharge filaire
Principal défi : sortir le véhicule électrique de sa fonction urbaine pour qu’il puisse parcourir de longues distances. Déjà, un maillage serré de bornes de recharge se met en place sur les autoroutes européennes. Ainsi, les constructeurs allemands BMW, Volkswagen et Daimler – réunis au sein de l’association Ionity – ambitionnent de construire un réseau dense de stations assurant une recharge des batteries en une demi-heure. Le fabricant danois de bornes Next-gen braconne sur le même terrain, en offrant une autonomie de 400 kilomètres pour 20 minutes passées à la cafétéria de la station en attendant que les batteries se remplissent grâce à des bornes d’une puissance de 350 kilowatts (contre 50 à 150 kW).
Des « temps de plein » qui se rapprochent des quelques minutes d’un passage à la pompe pour un moteur thermique, sans pouvoir encore rivaliser avec ce dernier. « Il existe d’ailleurs un débat au sein des constructeurs automobiles sur la possibilité de se débarrasser de la recharge filaire [la prise reliant la voiture électrique à la borne], en utilisant l’induction sans contact par exemple », poursuit Jacques Wittenbergue, organisateur du congrès. BMW s’intéresse de près à cette solution, qui permettrait de recharger les voitures sur une place de parking équipée sans qu’elles aient besoin de rallier une borne.
Il serait peut-être encore plus simple d’alimenter les véhicules… par la route ! « Cela a du sens pour le transport routier, car il est tout à fait possible d’électrifier une voie réservée aux camions sur les autoroutes, ce qui permettrait d’optimiser leur déplacement en les faisant rouler en convoi », explique Nicolas Hautière, directeur du projet Route 5G à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar). La route réinventerait ainsi… le transport par rail des marchandises. La comparaison est d’autant plus appropriée que l’une des solutions avancées notamment par l’allemand Siemens consiste à doter les axes routiers de caténaires et les camions de pantographes. Deux autres solutions paraissent plus innovantes. Le canadien Bombardier pousse ainsi l’induction, testée depuis deux ans par le programme européen Fabric – piloté notamment par le pôle de compétitivité français Moveo – en grandeur réelle sur les 2 kilomètres du circuit de Versailles-Satory (Yvelines). Des voitures y atteignent la vitesse de 120 km/h en étant alimentées uniquement par des galets à induction insérés tous les 50 mètres dans le bitume. Les résultats de l’expérience sont en cours d’exploitation. Une solution qui a un coût : 2 millions d’euros le kilomètre (estimation) pour les autoroutes existantes.
Vers une automatisation du trafic
La seconde solution, proposée cette fois par le suédois Elways et Alstom, est déjà mise en oeuvre, notamment pour le tramway de Bordeaux : la propulsion par un rail électrique. Cette infrastructure à propulsion dynamique serait, là encore, développée d’abord pour les poids lourds, lesquels pourraient ainsi rouler en convoi sur la même voie réservée. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) veut se faire un avis : elle a donc lancé, dans le cadre des « programmes d’avenir », un appel à projets pour tester l’une des trois solutions sur l’autoroute A13 entre Le Havre et la région parisienne. « Mais personne n’est aujourd’hui d’accord sur le choix de la technologie à tester en priorité », regrette Nicolas Hautière.
La route proprement dite n’est pas la seule concernée. L’électricité servira aussi à alimenter les panneaux d’information, les systèmes de gestion du trafic, de communication en bord de voie, d’alerte des services de secours, etc. GSM, GPRS, 4G, Wi-Fi et LiFi (transmission des données par la lumière), autant de technologies de communication qui font aujourd’hui entrevoir un dialogue permanent entre les véhicules eux-mêmes et les infrastructures. L’autoroute A4, les rocades de Bordeaux et de Grenoble sont ainsi déjà équipées pour entamer le dialogue avec des modèles haut de gamme dotés de systèmes de réception pouvant fournir une information trafic bien plus pertinente. Ces infrastructures géreront d’ailleurs les véhicules autonomes lorsque ceux-ci arriveront sur les autoroutes.
Mieux ! leur gestionnaire pourra intervenir à terme sur le trafic lui-même, en imposant notamment les distances entre voitures depuis un centre de régulation. D’après les calculs de l’Ifsttar, l’automatisation du trafic pourrait contribuer au doublement de la capacité des voies sans altérer la sécurité. Cela permettra-t-il de faire disparaître accidents et embouteillages ? Il est toujours permis de rêver.
yogaesoteric
14 février 2019