Sabotage occidental de la construction de l’opinion et la riposte russe dans le monde réel. La guerre médiatique favorable à la Russie d’une manière que l’Occident ne comprend encore pas

Le conflit hybride dans lequel s’opposent les grandes puissances se poursuit, pour l’instant la Russie paraît l’emporter sur le plan économique et militaire, dans la guerre de la communication, il semble qu’il en soit tout autrement. Le récit occidental omniprésent induit l’opinion publique à soutenir des sanctions sans précédent envers la Russie et la politique d’armement de l’Ukraine. Il produit également une scission avec le géant Euro-asiatique.

Mais quel est l’effet réel de cette guerre médiatique sur le monde russe ?

Sur la construction de l’opinion

Idéalement, la construction de l’opinion doit se faire à partir de l’écoute et l’analyse critique de toutes les parties impliquées sur un thème donné. Pour réduire les biais, le versant émotionnel doit être clairement identifié et mesuré. L’information doit provenir de sources diverses et variées, il faudra donner du temps à la réflexion avant que nos conclusions ne deviennent une opinion. Cette opinion obtenue dans un moment donné ne peut être définitive, car la réalité est dynamique. Ce qui est vrai aujourd’hui pourrait ne plus l’être demain.

Par exemple, qui pourrait imaginer lors d’un procès, un juge écouter uniquement la version d’une des deux parties et après seulement quelques minutes délibérer ? Quelle serait la qualité de l’opinion de ce juge ? Sans parler du procédé qui serait plus que douteux. Or, cette analogie est bel et bien ce que la guerre de la communication amène les individus à faire : prendre position rapidement sur la base d’un discours unique, superficiel, incomplet mais émotionnellement chargé, une sorte de sabotage à la construction de l’opinion.

Pour parvenir à cette prise de position rapide, sont utilisés la censure, la diabolisation de l’adversaire, le mensonge, l’exagération, les explications émotionnelles et réductionnistes. Tout ceci orienté vers la construction d’une réalité binaire simplifiée où les bons sont d’un coté et les mauvais de l’autre. Une fois cette idée de dualité induite dans l’esprit de l’individu, celui-ci aura une tendance naturelle à prendre ses distances avec le côté du mal. Peu importe si des incohérences ou des vides logiques accompagnent le récit. Tout ce qui compte sera d’être du côté du bien. Ici, malgré la sensation de libre-arbitre, les actions et pensées ne servent pas l’intérêt objectif de l’individu, mais les intérêts de ceux qui ont délicatement orienté sa pensée. La personne n’est pas consciente d’avoir été privée des éléments et guidée dans sa réflexion. Nous sommes donc dans une illusion d’opinion, soit l’antichambre de l’aliénation.

Le résultat de cette manipulation médiatique est qu’une grande partie de la population a une opinion non pas construite, mais induite. Avoir une opinion et être informé sont deux choses différentes. Dans une guerre de la communication, on voudra une population mal informée, mais très « opinionée ». Malheureusement une opinion, même mal construite, se présentera toujours à nous comme une vérité.

Nul doute de la force de la propagande dans une guerre de la communication. Celle-ci peut influencer la construction de l’opinion au point de nous faire détester notre ami et aimer notre ennemi.

Situation actuelle : la guerre médiatique dans le conflit ukrainien

Le conflit hybride dans lequel s’opposent les grandes puissances se poursuit, pour l’instant la Russie semble l’emporter sur le plan économique et militaire. En effet, malgré un nombre de sanctions sans précédent, l’économie russe n’est toujours pas à genoux, le rouble continue à grimper vis-à-vis de l’euro et du dollar sans que l’Occident ne puisse l’en empêcher. Aucune pénurie ne se profile à l’horizon dans ce pays qui possède tout et en abondance. D’un point de vue militaire, on observe que la Russie se permet même d’élargir ses buts de guerre. Initialement, ceux-ci se limitaient à la sécurisation des régions russophones de Lougansk et Donetsk ainsi que la reconnaissance officielle par Kiev de l’annexion de la Crimée. Aujourd’hui, on constate une avancée sur tout le sud de l’Ukraine vers la Transnistrie, région autonome russophone à la frontière moldave.

Si militairement et économiquement la Russie paraît bien faire face à l’Occident, dans la guerre de la communication, il semblerait en être tout autrement. Dès les premiers jours du conflit l’Occident s’est empressé de couper les quelques chaînes de communication russes, Sputnik et RT en tête. Ces médias ont été accusés d’être des mécanismes de propagande et de désinformation. Sans aucun jugement et respect de la liberté de presse, ils ont été purement et simplement bannis. Quant aux communiqués officiels russes, ils sont rarement présentés en intégralité et sont systématiquement décontextualisés par des analyses partisanes basées principalement sur du sensationnalisme émotionnel.

Un bon exemple de cette guerre de la communication vient de se produire en Espagne.

Le journal ABC, un des plus importants de ce pays, a demandé un entretien avec la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, pour clarifier la vision russe sur les enjeux géostratégiques du conflit en Ukraine. Lors de l’entretien qui a eu lieu le 29 avril dernier, la diplomate a abordé des sujets importants. Elle rapporte entre autres que des réalités territoriales se sont déjà formées en Ukraine, Kiev et certains autres pays doivent l’accepter. Elle décrit un coup d’état néo-nazi en 2014 et explique que la confrontation géopolitique avec la Russie est l’essence même du maintien de l’OTAN. Malgré l’importance journalistique de cette entrevue, le journal ABC a refusé de publier l’article, sans aucune explication.

La censure subie par les chaînes de télévision russes et les diplomates du Kremlin est un exemple parmi d’autres du mode d’opération de la censure dans cette guerre de la communication. Les médias occidentaux monopolisent le discours et soutiennent leur version des faits, avec de simples arguments de diabolisation qui font appel non pas à la raison, mais à l’émotion.

Une grande partie des occidentaux a rapidement accepté les explications réductionnistes de ces médias de communication et en ont fait leur opinion. Malgré la complexité de la situation, une majorité des gens croit que cette guerre est simplement due à « la folie de Poutine et sa soif de destruction ». Ces justifications pseudo-psychiatriques circulent facilement et servent de principal argument pour expliquer l’intégralité du conflit. La manipulation de l’opinion publique a produit un refus de tout ce qui se rapporte à la Russie ainsi que la dégradation de son image qui est désormais assimilée au mal absolu. Ceci a permis une large acceptation par la population occidentale de la politique de sanctions anti-russes et de la politique d’armement de l’Ukraine. Cette situation est en train de créer une scission entre l’Europe et la Russie.

Dans la stratégie de création d’opinion, l’Occident contrôle encore très bien l’appareil médiatique et communicationnel. À première vue cette campagne semble porter un grand préjudice à Moscou.

Les stratèges du Kremlin n’auraient-ils donc pas anticipé ce scénario ?

Alexandre Douguine, philosophe, écrivain et ancien conseiller sur les questions stratégiques et géopolitiques de la Douma, avait prévenu qu’une coupure avec l’occident était inévitable compte tenu de l’écart moral grandissant entre les deux blocs. Le philosophe décrit l’Occident, en particulier l’Europe, en profonde perte de repères et totalement coupé des valeurs anciennes qui lui avaient donné toute sa grandeur. Pour Douguine, le libéralisme sociétal occidental n’est pas considéré comme un progrès, mais plutôt comme une faiblesse par une grande partie de la population russe, majoritairement orthodoxe et conservatrice. Il considère que la dégradation morale et identitaire que le libéralisme impose en Occident est un mécanisme de contrôle des populations. Du fait de l’expansionnisme occidental, si la Russie veut garder ses valeurs, son identité et sa souveraineté, le conflit entre les deux blocs était pour lui incontournable.

D’autres hautes personnalités russes pensent de même. La porte-parole du Kremlin, Maria Zakharova, avait expliqué ouvertement que la confrontation géopolitique avec la Russie est l’essence même du maintien de l’OTAN et qu’un conflit est inévitable. Certains politiques tels que Dimitri Medvedev, Sergueï Lavrov et bien sûr Vladimir Poutine, avaient clairement exposé, et ce à plusieurs reprises, les limites à respecter pour maintenir la paix dans la région. Pourtant l’Occident a toujours persisté à ignorer ces limites. À l’heure actuelle, après toutes ces promesses non tenues, Poutine a fini par qualifier ouvertement l’Occident « d’Empire du Mensonge ». Aujourd’hui la Russie semble être particulièrement bien préparée dans tous les domaines pour affronter ce conflit.

Si pour le gouvernement russe une confrontation était inéluctable, il a forcément dû anticiper et étudier le scénario communicationnel actuel, il a dû identifier des stratégies pour en tirer profit et, peut-être même eu le temps d’accepter une séparation avec l’Europe et l’Occident et en faire le deuil.

Et si l’actuelle guerre de l’information menée par l’Occident serait en train de subtilement bénéficier à la Russie sur le long terme ?

Le départ de Netflix, Disney, Google et autres entreprises loin de porter atteinte, ne fait que réduire le soft-power et l’influence économique occidentale en Russie. En revanche, il pousse les acteurs locaux à créer des alternatives dont on observe une capacité de résilience dans pratiquement tous les domaines. Aux censures de RT, Sputnik et des diplomates se sont ajoutées celles des sportifs, des artistes, des scientifiques, des hommes d’affaires et autres personnalités. Ces censures et cette diabolisation médiatique qui durent depuis des années, et que le conflit en Ukraine a accentuées, sont en train de renforcer un sentiment d’injustice qui ne fait qu’unir le peuple russe face à l’adversité. Déjà avant l’intervention russe, la reconnaissance des républiques autonomes avait été votée à l’unanimité par tous les partis de la Douma. Aujourd’hui les sondages indiquent que plus de 83% de la population est en faveur de l’intervention militaire et le soutien au gouvernement est au plus haut.

Dans cette guerre de la communication et sans que l’Occident ne s’en rende compte, Moscou a su en tirer profit. Plus la diabolisation continue, plus le sentiment d’injustice unit le peuple russe. Plus le mépris de l’Occident envers la Russie est grand, plus un sentiment de rejet s’installe et soude les russes derrière leur leader. Plus les médias travaillent pour créer une coupure entre les deux blocs, plus il est facile de marquer l’antagonisme entre le libéralisme sociétal occidental et le conservatisme identitaire russe. Plus les médias diabolisent la Russie pour faire accepter des politiques contre Moscou, plus l’Europe se prive d’accès à des ressources nécessaires à son économie.

Ainsi, dans cette guerre hybride, le Kremlin a intérêt à rester concentré sur le plan économique et le plan militaire car la guerre de l’information semble lui être favorable d’une manière que l’Occident ne comprend pas encore.

Une victoire sur le front économique et militaire signifie une victoire dans le monde réel alors que l’Occident et l’Europe s’enlisent dans une guerre d’accusations et de diabolisation qui risque de se retourner contre eux-mêmes. En d’autres termes, pendant que l’Occident utilise massivement le logos pour tenter d’influencer le réel, les Russes ont décidé d’agir directement depuis le monde réel et concret.

L’inflation galopante et la domination russe sur le terrain sont des signes immédiats évidents de cette avancée dans le monde concret. Quant à la perte des marchés des ressources primaires et énergétiques, elle risque de coûter cher aux Européens au long terme. Une victoire russe serait une vérité difficile à maquiller par la communication occidentale, le choc avec la réalité risquerait d’être dur pour certains.

Seul le temps nous dira quel était le bilan du conflit avec le géant Euro-asiatique et à qui cette guerre de la communication a été la plus bénéfique. Sans oublier qu’à la fin, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire.

 

yogaesoteric
20 octobre 2022

 

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