Blackouts et poudrières en 2018 : Ceux qui gouvernent les USA, la mondialisation et la géopolitique
Les prophètes et les prévisionnistes ont déjà commencé à exposer leur vision mondiale de ce qui nous attend en cette année, qui va de l’essor économique à des guerres mondiales catastrophiques.
On va aborder la question autrement, en mettant l’accent sur le morcellement accru des marchés, l’autonomie grandissante de l’action politique par rapport au développement économique, la menace croissante d’interventions militaires et l’augmentation des accommodements politiques. On va assister à une refonte radicale de l’intégration politique et économique, à l’Est comme à l’Ouest, avec et sans l’apport des États nations. Les « droits des États » vont réapparaître comme antidote à la mondialisation. Les grands pays vont rivaliser en s’engageant de façon limitée dans des guerres régionales, tout en poursuivant des objectifs mondiaux.
Des événements catastrophiques sont peu probables, mais de nombreux changements radicaux apportés de façon progressive sont à prévoir, qui auront des répercussions cumulatives.
Pour comprendre ces tendances importantes, il est important d’analyser qui sont les principaux acteurs dans ce panorama et d’en discuter, à commencer par les États-Unis.
Tendances aux USA
Aux USA, le présent et l’avenir immédiat sont à la fois liés et non liés à la présidence de Trump et à ses opposants à l’intérieur du pays.
Les luttes entre le Congrès et le président n’ont pas entraîné de changements majeurs dans la position des USA sur l’échiquier mondial. Les USA continuent d’imposer des sanctions à la Russie, à l’Iran et au Venezuela. Leurs échanges commerciaux avec la Chine augmentent. Les exercices militaires et les menaces contre la Corée du Nord font surgir le spectre d’une guerre nucléaire. Autrement dit, des mesures graduelles et inconséquentes accompagnent une rhétorique enflammée. Les politiques économiques des sociétés tirent profit de la générosité de l’état, mais elles sont dissociées de la politique ordinaire. Le point capital, c’est que les « marchés » sont fragmentés ou déconnectés. Les actions montent, mais la productivité stagne. La dette des entreprises grimpe en flèche, mais les profits explosent dans le secteur de la haute technologie. Les exportations et les importations vont en sens inverse. Le nombre d’emplois augmente, mais les salaires diminuent.
Il existe un, deux, plusieurs marchés, chacun fonctionnant sur des principes similaires, mais qui contribuent tous à accroître la concentration de la richesse et l’imbrication des directions des grandes sociétés.
Outre l’existence de plusieurs marchés, on retrouve aussi de nombreux centres de direction politique. La « présidence » multipolaire des USA en est l’illustration. Malgré tout ce qu’on dit à propos de « Trump », la politique et la stratégie sont définies, défendues et remises en cause dans de nombreux centres de décision. En règle générale, les élites des services du renseignement, des forces armées, des médias, des milieux financiers, du pouvoir législatif, du commerce et de la politique internationale rivalisent entre elles ou forment des alliances temporaires, ce qui en fait d’étranges compagnons de lit. En outre, de nouvelles configurations de pouvoir à l’échelle internationale sont apparues et ont permis à certains de s’approprier des positions de force.
Les détenteurs du pouvoir
Qui gouverne les États-Unis? Cette question devrait être reformulée pour tenir compte de la pluralité des élites autoritaires égocentriques totalement déphasées par rapport à la majorité de la population manipulée.
Le « président » de pure forme Trump change les décisions prises en matière de politique étrangère en fonction des intérêts de nombreux centres de pouvoir à l’intérieur des USA et à l’étranger. Trump se prononce contre les accords commerciaux multilatéraux et s’y oppose, tout en favorisant les pactes unilatéraux axés sur les USA. Malgré sa rhétorique, rien n’a changé. Les échanges commerciaux avec l’Asie, l’Europe et l’Amérique latine ont augmenté. La Chine, le Japon, l’Inde, l’Allemagne, la Corée, le Canada et le Mexique demeurent les principaux centres d’exportation et d’importation des USA. Les banquiers, les multinationales et les milliardaires de la Silicon Valley continuent de passer outre au programme défendu par Trump.
Trump se disait en faveur d’une réconciliation avec la Russie et a été menacé de destitution pour cela. Le Congrès, les services du renseignement, le pouvoir législatif et l’OTAN contredisent, renversent et réorientent les politiques des USA qui les rapprochent ou les éloignent selon le cas de l’éventualité d’une confrontation militaire.
Trump propose de renégocier le commerce avec l’Asie, notamment avec la Corée du Sud, le Japon et la Chine.
En réponse, le Pentagone, les médias, les néocons et l’élite militariste japonaise veulent imposer un conflit nucléaire avec la Corée du Nord et des menaces contre la Chine (le premier ministre Abe du Japon est le petit-fils du « boucher de Mandchourie » Kishi Nobusuke). L’élite commerciale, financière et technologique de la Silicon Valley s’en prend aux idéologues de « l’Amérique d’abord », au Pentagone et à l’industrie manufacturière des USA à propos de la Chine. Pendant ce temps, des milliers de navires porte-conteneurs transportent des matières premières et des marchandises entre la Chine et les USA, leurs capitaines saluant au passage la poignée de vaisseaux de guerre étasuniens patrouillant autour de quelques tas de roches en mer de Chine méridionale.
Trump profère ses menaces contre l’Union européenne et l’Organisation mondiale du commerce, puis monte à bord de son jet en direction de Davos pour socialiser avec les « champions du libre-échange » allemands, français, britanniques et étasuniens.
Les grandes décisions sont des absences de décision. La poursuite des politiques et les élites, qui ne font au mieux que donner plus de poids aux anciennes politiques favorisant les marchés financiers, déprécient les salaires et multiplient les guerres locales et les confrontations militaires. Les décisions déterminantes de 2018 n’ont pas été prises par Trump, mais par ses alliés et ses adversaires dans son pays et à l’étranger.
La marginalisation de « l’Amérique d’abord » de Trump
Parmi les décisions qui ont été prises sans tenir compte de Washington, mentionnons la conciliation entre la Corée du Nord et du Sud ; l’accord russo-chinois en réponse aux sanctions étasuniennes ; le coup de force manifeste d’Israël contre les Palestiniens ; l’interpellation de l’Iran par l’Arabie saoudite; et l’alliance « non déclarée » entre le Pakistan et les talibans.
La marginalisation de Washington est évidente dans les milieux économiques. Les marchés boursiers des USA explosent, mais la productivité descend ; les bénéfices montent en flèche, mais l’espérance de vie des travailleurs est à la baisse ; l’immense concentration de la richesse va de pair avec la hausse de la mortalité maternelle et infantile ; parmi l’ensemble des pays industrialisés, les jeunes Étasuniens sont ceux qui courent le plus de risques de mourir avant l’âge adulte. La mortalité a remplacé la mobilité.
Washington est au beau milieu d’une lutte intense au sujet d’enjeux sans importance.
Outre la marginalisation des USA, de nouveaux centres de pouvoir régionaux sont apparus et ont réussi à éliminer ou à neutraliser des mandataires des USA. La Turquie en est un exemple éloquent. Ankara s’est opposé et a nui aux plans du Pentagone de créer une force armée parmi ses mandataires kurdes qui contrôlent le nord de la Syrie. L’Irak a pris de court les milices kurdes soutenues par les USA et Israël sous la direction des chefs de guerre du clan Barzani à Kirkouk. Les talibans sortent de la campagne et des montagnes afghanes pour monter des insurrections dans les centres urbains et la capitale Kaboul. Le gouvernement vénézuélien a réussi à contrer les soulèvements soutenus par les USA à Caracas et dans d’autres villes. Le régime fantoche des USA à Kiev n’a pas réussi à conquérir les enclaves séparatistes russophones dans la région du Donbass, qui sont dirigées par un gouvernement de facto soutenu par la Russie.
Il faut reconnaître toutefois que la marginalisation, les reculs et les défaites n’annoncent pas la « fin de l’Empire ». Nous devons aussi admettre que les secteurs concurrentiels de l’économie (actions, obligations, technologie et profits) sont dans une phase dynamique, même s’ils se dirigent vers une correction majeure. La raison probable est que l’économie fonctionne indépendamment de système politique, de la tourmente à Washington et de la marginalisation des USA à l’étranger.
Les médias de masse enveniment des conflits nationaux partisans en criant au scandale. Leur projection de la chute et d’un effondrement imminents de la Russie de Poutine et de la Chine de Xi n’a pas la moindre influence sur la dynamique réelle des forces du marché à l’échelle mondiale. La Chine connaît une croissance de 7% et tous les principaux acteurs économiques des USA et de l’UE, d’Airbus à Amazon, se battent pour se joindre aux marchés multipolaires de Pékin. Les marchés ignorent, lorsqu’ils n’en tirent pas profit, les paralysies gouvernementales. Les marchés font fi des dernières sorties du Pentagone, de la « nouvelle stratégie militaire » contre la Chine et la Russie. Les sociétés sud-coréennes adhèrent aux marchés étasuniens tout en cherchant à avoir accès à la main-d’œuvre spécialisée de la Corée du Nord.
Les décisions de Washington de nier la réalité que l’avenir appelle à une augmentation de la productivité au moyen d’une main-d’œuvre nationale qualifiée, saine et bien rémunérée, condamnent les USA dans une spirale descendante qui font ressortir leur marginalité politique, leur futilité militaire et leur grandiloquence creuse. Les médias, les spécialistes et l’élite politique ignorent la fragmentation du pouvoir étasunien et la séparation des forces militaires et des forces du marché, qui suivent leur propre voie. Les inégalités sociales et les taux de mortalité à la hausse dans la classe ouvrière pourraient encourager l’immigration, mais aussi miner l’influence des USA dans leurs assises mêmes. Une classe dirigeante gouverne en liant un État unifié à un marché dynamique, les producteurs aux consommateurs, les importateurs aux exportateurs et la croissance de la richesse à une augmentation des salaires.
Les singeries pro-Trump et anti-Trump sont au mieux sans rapport et au pire une question secondaire destructrice. Les fondations des USA et leurs marchés sont de taille, mais s’effritent. Ce qui importe, ce n’est pas le statu quo, mais sa direction et ses structures.
Les guerres prolongées en marge du pouvoir étatique ou les menaces de conflits mondiaux avec des puissances mondiales comme la Russie et la Chine proférées par le secrétaire à la défense Mattis, afin de « protéger le niveau de vie aux USA », vont inévitablement et inexorablement fissurer davantage l’économie et la politique militariste des USA. Les institutions politiques étasuniennes, que ce soit à la présidence ou au Congrès, échouent lamentablement à s’adapter à la dynamique économique réelle du marché mondial actuel.
Elles confondent encore la hausse des cours boursiers et des bénéfices à des facteurs de croissance et de stabilité à long terme. L’idée d’une « mort à crédit » vient en tête.
yogaesoteric
23 avril 2018