Céramiques Cucuteni : il y a 7000 ans en Moldavie
La civilisation Cucuteni rayonnait il y a sept mille ans dans le nord-est de la Roumanie. Elle a laissé un patrimoine culturel d’une grande richesse mais, bien qu’elle suscite de plus en plus l’intérêt du grand public, les recherches archéologiques et la restauration de ses précieuses céramiques tournent au ralenti, faute de moyens.
Au musée de la ville de Bucarest il y a une remarquable collection de céramiques datant des 5e et 4e millénaires avant notre ère. Baptisée « La culture Cucuteni : valeurs retrouvées de la préhistoire européenne », l’exposition regroupait une grande variété de vases polychromes ornés de motifs en spirale mais aussi des statuettes anthropomorphes ou zoomorphes finement ciselées.
Une centaine d’objets sortis de terre dans la région de Iași étaient ainsi présentés, comme autant de témoignages du savoir-faire et du raffinement des Cucuteni. A son apogée, cette civilisation néolithique rayonnait sur près de 350.000 kilomètres carrés, du sud-est de la Transylvanie au sud de l’Ukraine, en passant par la Moldavie.
« C’est rare qu’une exposition attire autant de monde en Roumanie », se réjouit l’archéologue Senica Țurcanu, l’un des cadres du Complexe muséal « Moldova » qui a co-organisé l’événement. « Nous avons même dû la prolonger tant le grand public s’est montré séduit par l’originalité et la qualité de ces artefacts. »
A première vue, les céramiques Cucuteni semblent avoir remarquablement bien résisté à l’épreuve du temps. Pourtant, rares sont celles qui ont été retrouvées en un seul morceau depuis la découverte des premières d’entre elles, en 1884, dans le village de Cucuteni, à une cinquantaine de kilomètres de Iași. C’est donc grâce à un long et minutieux travail de restauration qu’elles peuvent trouver un nouveau souffle.
« C’était du grand art ! », lance admiratif Codrin Lăcătuşu, l’un des quatre restaurateurs du Centre de recherche, de restauration et de conservation du patrimoine culturel, situé dans le Palais de la Culture de Iași. Et d’expliquer : « les Cucuteni étaient d’excellents géologues et de grands chimistes. Ils savaient parfaitement travailler et cuire la terre argileuse, ils exploitaient les pigments minéraux qui les entouraient pour obtenir le rouge, le blanc et le noir de leurs vases. Ils utilisaient aussi des oxydes de fer pour la conservation. Enfin, la qualité des motifs géométriques suggèrent un niveau de connaissance très avancé pour l’époque. Même aujourd’hui on ne pourrait pas reproduire exactement leurs céramiques si spectaculaires. C’est pour cela qu’on s’arrange toujours pour que la restauration soit visible. On ne veut pas trahir les artisans d’origine ni tromper les spectateurs. »
Une dizaine de gros sacs tachés de terre sont empilés depuis un an au fond d’un couloir du Palais de la Culture. Ils sont remplis de fragments de céramique découverts lors de récentes fouilles archéologiques à Scânteia, à une trentaine de kilomètres de Iasi. Codrin Lăcătuşu et ses collègues s’apprêtent à les restaurer. Il s’agira d’abord de les traiter avec de l’acide citrique pour enlever toutes les impuretés qui s’y sont collées avec le temps. Puis, ils seront disposées sur de grandes tables. Commencera alors une gigantesque partie de puzzle.
« On restaure un objet quand on dispose d’au moins 50% de ses fragments et quand on a une bonne idée de son profil », explique Arima Hușleag, la spécialiste ès arts plastiques et arts sacrés de l’équipe. « Mais malgré tout, nous en avons des tonnes à traiter ! », rassure-t-elle. Si les conditions sont réunies, c’est elle qui s’occupera de combler les parties manquantes de l’objet avec du plâtre mélangé à un oxyde de fer. A l’aide de tempera, elle complétera aussi les motifs en spirale quand elle pourra en deviner les prolongements. « Il faut beaucoup de patience car leur art était très fin. Il y avait des écoles différentes selon les régions et les époques et chaque artiste avait sa patte ! La restauration peut donc durer des mois. Une fois, j’ai retrouvé l’embout d’un couvercle deux ans après avoir restauré le vase sur lequel il allait. C’est un souvenir merveilleux ! »
Pour Codrin Lăcătuşu, Arina Hușleag et leurs deux collègues ingénieurs chimistes, la tâche est colossale. Car en plus de redonner vie aux céramiques Cucuteni qui sont exposées au Palais de la Culture et dans les salles qui leur sont consacrées au musée de l’Université, ils restaurent les objets appartenant à quatre autres musées de Iași, de nature, de fabrication et de périodes tout à fait différentes. Pourtant, quand leur service a ouvert en 1977, l’équipe comptait une trentaine de membres…
« Nous ne nous laissons pas abattre », tempère Codrin Lăcătuşu. « Ce qui compte, c’est le plaisir de voir les vases et les statuettes que nous restaurons rejoindre des musées ou des expositions internationales de New York au Vatican. »
Seul 1% des quelque 2500 sites Cucuteni recensés en Roumanie a fait l’objet de fouilles archéologiques complètes. Des milliers d’objets sont pourtant déjà sortis de terre, notamment dans les départements de Neamț, Iași et Botoșani. Les archéologues rêvent déjà du trésor qui reste enfoui sous le sol et qui leur permettra d’approfondir leurs connaissances. Car non seulement ces céramiques apportent de précieuses informations sur les savoirs scientifiques et les goûts esthétiques des Cucuteni mais elles témoignent aussi de leur mode de vie.
Pour en apprendre davantage, il faut pousser la porte du musée de Piatra Neamț. Fondé en 1934, c’est le seul en Roumanie qui soit entièrement dédié à cette civilisation.
Des centaines d’objets en terre cuite y sont exposés sur trois étages. A commencer par une impressionnante collection de coupes, d’amphores, de vases-supports ou de verres. « Aujourd’hui, nous les voyons comme des œuvres d’art mais ces céramiques avaient d’autres fonctions au départ », explique l’archéologue Daniel Garvân. « Elles servaient bien sûr à la conservation et à la consommation des liquides et des aliments ce qui explique la grande diversité des formes et des tailles. Mais tout porte à croise qu’elles assuraient aussi le prestige de leurs propriétaires. Sous les ruines d’une même maison, on a ainsi pu trouver jusqu’à une cinquantaine de vases. »
Installés dans une région où le relief, le climat et la terre étaient propices à l’agriculture et à l’élevage, les Cucuteni savaient parfaitement exploiter leur environnement. Aussi lui vouaient-ils un véritable culte comme en témoignent certains vases et objets en formes d’oiseaux ou de quadrupèdes mais aussi de nombreuses statuettes anthropomorphes. Daniel Garvân s’arrête ainsi devant une collection singulière : « soborul zeițelor ». Il s’agit de 21 petites statuettes de femmes et leur tabouret en argile retrouvées entre deux vases à Moinești, dans le județ de Bacău. « C’est un hommage à la fécondité des femmes et par là-même à la fertilité de la déesse nature », explique-t-il. « Comme vous le voyez, toute l’attention est portée sur la zone de reproduction et sur leurs fesses qui sont représentées de façon emphatique. Il n’y a pas d’expression sur leur visage et elles n’ont même pas de bras. »
Certains objets présentés dans le musée sont plus énigmatiques. Il y a ce vase binocle sans fond dont on ignore l’usage 6000 ans après sa fabrication. Ou encore ce vase baptisé « hora de la Frumușica » formé par les corps de six femmes liées par les épaules comme le sont les Roumains lorsqu’ils exécutent l’une de leurs danses traditionnelles les plus célèbres. Les Cucuteni dansaient-ils déjà la hora ?
« A vrai dire, on ne connait avec certitude que 20% de ce que signifiait la civilisation Cucuteni », répond Vasile Cotiugă, dans son petit bureau de l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iași. « De nombreuses questions restent donc sans réponse. Comment ont-ils disparu ? Comment enterraient-ils leurs morts ? Et d’ailleurs les enterraient-ils ? En 130 ans de recherches, on n’a retrouvé aucune nécropole. C’est mon rêve de retrouver l’une d’elles et c’était déjà celui de mon mentor qui est récemment décédé. »
A l’heure actuelle, une quinzaine d’archéologues travaille sur les Cucuteni en Roumanie mais aucun chantier de fouilles n’est en cours et les fonds destinés à la recherche, à l’enseignement et à la restauration sont très limités. Une situation que déplore, avec dureté, Vasile Cotiugă : « Il y a bien quelques archéologues qui embauchent des paysans pour fouiller ici ou là. Mais aucun chantier digne de ce nom avec des chimistes, des physiciens, des géologues ou des restaurateurs. Aucune institution ne coordonne les recherches au niveau national et le système universitaire ne favorise pas du tout les passerelles entre l’archéologie et les autres disciplines. A Iasi, notre budget s’établit en milliers d’euros quand il nous en faudrait des millions. »
Plusieurs programmes internationaux ont permis de compenser ces lacunes. A l’image de ce projet développé en 2008 dans le cadre du programme franco-roumain Brâncuși il avait pour but d’étudier les propriétés de la céramique cucuténienne afin de favoriser sa restauration et son introduction dans le circuit des valeurs universelles. D’autres projets encore plus ciblés ont existé, comme ce programme financé par le ministère français des Affaires étrangères jusqu’à 2015 qui s’intéressait à l’exploitation des sources salées en Moldavie à la préhistoire, notamment lors de la période Cucuteni.
« Cette civilisation pourrait permettre d’attirer beaucoup plus de touristes et faire la fierté de la Roumanie, il faut juste se donner les moyens de mieux la connaître et la promouvoir », conclut Vasile Cotiugă.
yogaesoteric
15 novembre 2017
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