Comment la vision claire des choses et la pensée sont brouillées par la propagande
Il semble, de nos jours, que de nombreux médias ne considèrent plus que leur mission consiste à informer leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, par le biais d’un reportage objectif, sur des événements qui concernent la cohabitation des hommes dans leur propre pays et dans le monde entier. Non seulement il n’y a plus guère de distinction claire entre commentaire et reportage, mais les textes sont préparés à l’aide de différentes méthodes visant à orienter l’opinion, à brouiller le regard sur l’essentiel et à obscurcir la pensée claire. Ce n’est donc pas un hasard si de plus en plus de personnes sont sceptiques vis-à-vis des soi-disant « médias de qualité ». La critique du livre de Johannes Menath « Moderne Propaganda » (Horizont et débats n°6 du 28 mars 2023) a déjà abordé ce sujet. Dans la contribution ci-dessus, nous présentons, de manière plus détaillée, quelques-unes des majeures méthodes employés pour orienter nos opinions dans une certaine direction, procès hautement inquiétant dans la démocratie.
Monopolisation – en instaurant une fausse vérité
Il est normal que les lecteurs attentifs se posent des questions sur l’uniformité des couvertures médiatiques et des évaluations souvent identiques d’un fait. Les grands groupes médiatiques peuvent abuser de leur position de monopole et ne diffuser que les informations souhaitées, filtrées par les agences de presse ou même censurées. Par cette astuce de propagande, ils tentent de créer une vérité factice qui ne doit pas être remise en question selon la devise : « Si tout le monde dit la même chose, cela doit être vrai ! » Ils se refusent ainsi à leur véritable mission, qui est de présenter objectivement différents points de vue et perspectives sur un événement et de fournir au lecteur les bases pour qu’il se forge lui-même sa propre opinion, et ceci grâce à des informations complètes et évaluations divergentes. Par contre, dans nos réalités médiatiques, les observations, expériences ou réflexions indésirables sont passées sous silence ou rejetées comme étant le fruit du hasard ou d’une opinion subjective. Un tel reportage unilatéral est manipulateur et autoritaire, car non seulement il prétend détenir la seule vérité, mais il dévalorise en même temps ceux qui pensent différemment en tant que « minorités négligeables ». Les perspectives différentes sont ainsi condamnées et considérées comme dérangeantes, ce qui étouffe le discours équivoque entre des vues divergentes en public ; la formation libre de l’opinion est ainsi tronquée et, en fin de compte, les bases d’un État de droit démocratique sont minées. Cette tentative autoritaire d’orienter l’opinion doit être contrée par la recherche d’informations authentiques et de sources alternatives.[1]
Ces « faux débats » qui enveniment le climat du discours public
Les « faux débats » tentent de masquer la monopolisation de la formation de l’opinion, afin de détourner l’attention des questions critiques et de maintenir l’illusion d’un discours libre. Dans le domaine de l’éducation, un tel faux débat a eu lieu il y a quelques années, lorsqu’il a été question, en Suisse, d’introduire une deuxième langue étrangère dès l’école primaire. La discussion portait sur le fait de savoir si ce devait être une autre langue nationale ou l’anglais. On n’a pas donné la parole aux personnes qui rejetaient totalement l’enseignement précoce des langues étrangères et qui soulignaient la priorité de l’enseignement de la langue maternelle pour remédier aux connaissances souvent insuffisantes en allemand d’une partie considérable de nos enfants et adolescents en Suisse allemande. De même, des études indépendantes comme celle du professeur Simone Pfenninger ont été ignorées, car elles ont clairement démontré que l’enseignement précoce des langues étrangères n’avait aucun avantage, puisque l’avance acquise dans un premier temps est rapidement rattrapée dans l’enseignement supérieur qui débute plus tard. L’issue du débat était donc claire dès le départ et ne pouvait pas avoir d’issue indésirable – un faux débat, voilà tout.[2]
L’« infantilisation » des citoyens – autre moyen de réprimer la pensée critique
Cette méthode vise à réprimer la pensée critique en s’adressant aux destinataires adultes comme à des enfants mineurs qu’il s’agit de protéger et de préserver de situations et de décisions qui les dépassent. On leur fait subtilement comprendre qu’ils ne sont pas en mesure de prendre ou de juger des décisions politiques et que la « puissance paternelle » du gouvernement doit assumer cette tâche à leur place. Indirectement, ils sont catalogués comme des sujets dépendants, soumis à l’autorité, incultes et incapables de vues critiques. L’argument de la « surcharge » des citoyens est volontiers avancé par les médias suisses lorsque les décisions populaires ne vont pas dans le sens des groupes de pression qui se comportent comme des élites. En lieu et place d’une réflexion et d’une décision autonomes, on propose de l’« info-divertissement » et une vision du monde facile à comprendre, générée par la propagande. Cela favorise encore plus le processus d’infantilisation et peut générer chez les personnes concernées une attitude fataliste et un désenchantement vis-à-vis de la politique, qui éveille et maintient en eux l’appel à une main forte.[3]
« Pacing and leading » – créer de fausses pistes
Différentes méthodes issues de la recherche psychologique sont utilisées abusivement pour orienter l’opinion. Le « pacing and leading » (tracer la voie et guider), issu de la programmation neurolinguistique (PNL), en fait partie. Avec cette technique, on essaie d’amener les gens à se détourner de leurs propres idées, valeurs et opinions et à suivre les autres sans s’en rendre compte. Pour gagner la confiance des lecteurs, des auditeurs ou des spectateurs, le reportage reprend d’abord les points de vue existants et semble être en accord avec eux, pour ensuite prendre successivement un virage vers le mode de pensée réellement visé. Comme il est difficile pour de nombreuses personnes d’admettre qu’elles se sont laissées manipuler, cette méthode d’orientation de l’opinion est souvent couronnée de succès. Les messages souhaités sont également intégrés dans des produits de l’industrie du divertissement et de la culture, derrière lesquels on ne soupçonne guère d’influence politique ou idéologique. Les jeux informatiques, présentant très souvent des variantes innombrables d’un seul schéma primitif, celui d’ami/ennemi récompensant en plus la violence, en sont des exemples instructifs. La musique et le cinéma peuvent également contenir des messages qui discréditent les valeurs actuelles et favorisent leur transformation. Et si l’on fait croire aux gens, sur une longue période, qu’il est normal de porter des vêtements américains, de manger des aliments américains, d’écouter de la musique américaine, de regarder des films américains et de célébrer des fêtes américaines, cela ne sera plus guère remis en question. L’identité commune et le sentiment d’appartenance des groupes ethniques et des nations existantes, qui reposent sur une histoire et une tradition communes, sont ainsi détruits.[4]
Cadrage et étiquetage pour orienter la pensée
Ces techniques étroitement liées consistent à donner un cadre d’interprétation (cadrage) à l’intérieur duquel la personne à qui l’on s’adresse doit rester dans un état de conscience inférieur. Elles font présenter un certain fait ou une certaine personne sous le jour souhaité. Par exemple les guerres qui sont souvent justifiées en tant qu’ils apporteraient « la liberté et la démocratie » aux habitants du pays concerné, que l’on lutte en faveur des « droits de l’homme ». Un autre cadre d’interprétation pour le même processus, essentiellement plus honnête, se résumerait dans la devise : « Nous faisons la guerre parce que nous revendiquons les matières premières dans le sol de l’adversaire » ou « Nous faisons la guerre pour cimenter notre position géostratégique dominante et parce que nous voulons établir des bases militaires ». Les cadrages « acceptables » sont étouffés d’étiquettes, souvent à l’aide d’euphémismes. Mais les bombardements deviennent ainsi des « frappes aériennes », la population civile tuée pendant la guerre et les infrastructures détruites des « dommages collatéraux ». Dans ce jeu, la propagande avec laquelle la population est menée en bateau est étiquetée par le terme neutre de « relations publiques » (PR). Les termes de jugement (étiquetage) permettent également d’intégrer un événement dans un récit-cadre particulier. Certains gouvernements sont systématiquement décrits par le terme « régime », éventuellement complété par « autoritaire » (par exemple lorsqu’il s’agit de la Syrie, du Venezuela ou de la Russie), dans le but de provoquer une ambiance émotionnelle négative, à la différence de ceux réservés aux « royaumes » qui doivent susciter une association romantique avec les contes de fées, par exemple dans le cas de la Grande-Bretagne, de la Jordanie et, jusqu’à récemment, de l’Arabie saoudite. La même méthode peut bien sûr être utilisée pour décrire des personnes et des groupes, en parlant par exemple d’« historiens controversés » ou de « groupes sectaires » dont l’opinion serait imprégnée de « théories du complot » ridicules, voire dangereuses, et qui ne doivent donc pas être pris au sérieux.[5]
Décontextualisation – omettre des informations importantes
Les agences de propagande et les portails d’information tentent de créer une image souhaitée en passant sous silence des informations de fond ou des contextes importants. Cette « décontextualisation » est la technique complémentaire du « cadrage ». Elle consiste à passer sous silence les antécédents d’un état ou d’un fait, son contexte politique et historique plus large ou encore en passant sous silence les opérations des services secrets qui ont conduit à un conflit. Un exemple actuel en est la guerre en Ukraine, qui ne peut être classée sans ses antécédents. Le coup d’État en Ukraine financé par les États-Unis à hauteur de cinq milliards de dollars en 2014 – appelée « révolution de Maïdan » par les médias mainstream – en fait partie, tout comme la discrimination de la population russe qui en a découlé. La classification de l’Ukraine comme État clé pour l’extension de la puissance américaine, telle qu’elle a été établie dès 1997 par le stratège militaire américain Zbigniew Brzezinski, est encore plus ancienne. Les informations courantes passent ce contexte sous silence au profit du récit d’une guerre d’agression non provoquée par l’armée russe. Le contemporain intéressé doit donc se procurer lui-même les informations complémentaires, en cherchant des sources en dehors des portails d’information habituels comme AP, Reuters et AFP, qui nourrissent les soi-disant « médias de qualité », et en consultant des livres qui complètent les comptes rendus lacunaires de nos entreprises médiatiques par des informations fiables et différenciées.[6]
La tâche principale du citoyen reste : ne pas s’interdire de penser
C’est une entreprise passionnante que de se rendre compte des méthodes actuelles de la manipulation de l’opinion. Il en existe malheureusement une multitude. C’est pourquoi il est non seulement passionnant, mais aussi urgent, de ne pas se laisser interdire la réflexion. Dans la démocratie, chacun a droit à sa propre opinion et à penser de manière autonome.
Notes :
1. Menath, Johannes. « Moderne Propaganda. 80 Methoden der Meinungslenkung ». Höhr-Grenzhausen : Zeitgeist-Verlag, 2023, S. 18
2. loc. cit. p. 21f.
3. loc. cit. p. 53
4. loc. cit. p. 31 et p. 107
5. loc. cit. p.. 17 et p. 33
6. loc. cit. p. 75
yogaesoteric
16 juin 2023