Confucius, le mensonge, la foi et l’humanité
A l’heure du « deux poids de mesure » occidental, des « déclarations » de Angela Merkel sur les accords de Minsk, des « nous avons menti, triché et volé » de Mike Pompeo, de la clause de « plausible deniability » de la CIA, autant d’éléments de la société occidentale actuelle, il est rafraichissant de plonger dans les paroles de Confucius sur la foi et l’humanité et se rappeler comment le philosophe Chinois, au Vème siècle avant Jesus-Christ, entendait remettre de l’ordre dans un monde en chaos.
En 1989, Yasushi Inoué, écrivain japonais, évoque dans un roman la vie de Confucius (VIe – Ve siècles avant Jésus-Christ). Au centre de son récit, le personnage d’un vieil homme, Yanjiang (Vieux Gingembre), qui raconte les quinze dernières années du Maître et la vie à ses côtés, et qui s’interroge, de son humble place, sur les paroles et les enseignements de Confucius. Le climat de guerre, de chaos et d’insécurité générale sont le contexte du développement d’une philosophie de l’humanité qui continue encore aujourd’hui d’influer profondément les cultures asiatiques et leur rapport à la politique, qu’il s’agisse de la Chine, du Japon, du Vietnam ou de la Corée. Mais la philosophie de Confucius va au-delà, posant et reposant des questions toujours actuelles : Comment sort-on du chaos ? Comment revient-on à l’humanité ? Comment rétablir des relations saines et justes entre les Etats et entre les hommes ? Comment faire pour que, chaque jour, les hommes puissent continuer à se féliciter d’être au monde plutôt que de se lamenter, désespérer ou plonger dans la violence ?
Confucius, par Yasushi Inoué
L’homme ne doit pas mentir. Tout ce qui sort de ses lèvres doit être véridique et sincère. C’est là un contrat qui lie entre eux les hommes et leur permet de continuer à vivre sur cette terre. Un contrat tacite. Il faut que l’homme puisse faire confiance à la parole d’autrui pour que soit instauré un ordre social stable.
Il convient donc que les paroles sortant de la bouche de l’homme soient crédibles et inspirent confiance. C’est pour cela que le caractère « foi » est formé par le réunion des deux caractères « homme » et « mot ». La création de ce caractère remonte à quelque cinq ou six cents ans, à la dynastie des Yin, qui a vu l’épanouissement d’une très haute culture, et on le trouve gravé sur des fragments de planchettes en os de bœuf ou en carapace de tortue.
Cette causerie et d’autres touchaient à une faiblesse majeur propre au pays de Chen. Comme on le voit, par exemple, à l’importance accordée dans leur culture à la magie, les gens de Chen ne croient pas aisément ce qu’on leur dit, et le destin que connut cet Etat n’est sans doute pas étranger à ce trait de son caractère. Les luttes de clans où le sang se lave par le sang, les incessantes invasions étrangères sont autant de maux que Chen ne pouvait pas ne pas appeler sur lui-même.
L’État de Chen n’était d’ailleurs pas le seul dans ce cas, comme le montre l’histoire de Cai, ma patrie. Si Cai en est arrivé à la situation lamentable qui est la sienne aujourd’hui, la raison principale en fut le manque de confiance qui prévalait sur tout le territoire du pays et qui interdisait qu’on prêtât foi aux propos d’autrui.
A chaque causerie, et quelle que fût la matière dont il traitait, le Maître ne manquait jamais de dire un mot sur l’« humanité » :
Le caractère « humanité » est formé par l’adjonction du caractère « deux » à la clé de l’homme. Il suffit que deux êtres humains, père et fils, maître et serviteur ou tout simplement deux inconnus en voyage se trouvent face à face, pour que se noue entre eux un pacte réglant leur relation. C’est ce qu’on appelle « humanité » ou, en d’autres termes, le « souci de l’autre », la faculté qu’a un être humain de se mettre en pensée à la place d’un autre. Sans doute est-ce également à l’époque des Yin que fut créé ce caractère.
Pour mettre ne serait-ce qu’un semblant d’ordre dans cet univers en proie au chaos, le Maître pensait qu’il fallait commencer par corriger les fondements mêmes de la société humaine. C’est pour cela qu’il insistait autant sur la « foi » et sur l’« humanité ».
En effet, il n’est aujourd’hui au pouvoir d’aucune puissance politique de contenir l’extrême confusion régnant dans toute la région de la plaine du Milieu. On en est à un point où toute réforme doit incontestablement commencer par les éléments les plus fondamentaux, ceux qui ont trait directement au mode de vie des hommes. Voilà pourquoi le Maître jugeait de son devoir de commenter les notions de « foi » et d’« humanité ».
Triste spectacle que celui offert par la chute d’un Etat. Le pays se morcelle progressivement, fait place à des entités séparées, se divise pour donner des Zhoulai et des Fuhan, avant de disparaître sans laisser de traces.
Pendant que Cai court ainsi à sa ruine, de nombreux autres Etats connaissent un destin analogue et disparaissent, les uns après les autres. Après sa chute aussi, beaucoup d’autres Etats de la plaine du Milieu connaîtront les mêmes épreuves et disparaîtront à leur tour.
Il est néanmoins indispensable que les hommes venant en ce monde aient des raisons de se féliciter d’y être venus. Que faire pour cela ? Telle est la question que le Maître ne cessait jour après jour de repasser dans son esprit.
Avant de prendre un court repos, je vous avais cité en y joignant mes commentaires trois paroles du Maître se rapportant à la vertu d’humanité :
Zigong demanda : Peut-on formuler en un mot une règle pour la vie entière ?
Le Maître répondit : « La considération peut-être ? N’impose pas aux autres ce dont tu ne veux pas toi-même. »
Puis :
« Discours habiles et minois trompeur recèlent peu d’humanité »
Et :
Le Maître dit : « Seul un homme pourvu d’humanité sait vraiment aimer ou haïr »
Autant de paroles immédiatement compréhensibles, pourvu qu’on accepte de les examiner avec un cœur droit. Je dois avouer cependant que je compte sur les doigts de la main les paroles du Maître au sujet de l’humanité qui me sont à peu près accessibles.
Il m’est pourtant venu à l’esprit pendant la pause que je pourrais sans trop d’effort en citer encore quelques unes, de celles dont je ne suis peut-être pas sûr d’avoir entièrement saisi le sens, mais qui ont trouvé le chemin de mon cœur et y sont restées pour toujours.
Je vous en citerai deux ou trois dans l’ordre où elles me viennent à l’esprit afin de contribuer à ce débat.
Le Maître dit : « Fermeté, persévérance, simplicité et discrétion sont proches de la vertu d’humanité. »
Je ne me souviens plus dans quelles circonstances j’ai entendu ces mots, mais ils sont un peu comme l’envers de la formule : « Discours habiles et minois trompeur recèlent peu d’humanité ».
Quant à la question de savoir si les quatre caractères gang (fermeté), yi (persévérance), pu (simplicité) et ne (discrétion) doivent être lus à part comme quatre mots ou deux par deux, c’est un problème qu’il ne m’appartient pas de trancher. En tout cas, il s’agit cette fois-ci d’un idéal humain diamétralement opposé aux « discours habiles » et au « minois trompeur » qu’évoque la parole précédente.
Et si le Maître ne va pas jusqu’à attribuer la vertu d’humanité à cette catégorie de gens, il affirme néanmoins qu’ils se tiennent à proximité de cette vertu. C’est du moins ainsi que je comprends ces mots.
Le Maître dit : « La vertu d’humanité est-elle chose lointaine ? Voici que je la désire et elle est là. »
En d’autres termes, l’humanité ne constitue pas un idéal inaccessible. Pour qu’elle soit là, il suffit qu’on désire la mettre en pratique. L’humanité, veut dire le Maître, se tient toujours près de nous, à nos côtés.
Depuis que j’ai entendu toutes ces paroles et que je les ai gravées dans ma mémoire, elles n’ont cessé d’en occuper un recoin. De temps à autre je récite l’une d’elles à voix haute. Les jours de découragement, elles viennent au secours de ma faiblesse. Alors, qu’il s’agisse des habitants du village ou de voyageurs de passage, elle me donnent la force d’accueillir les autres avec bonté et de me mettre à leur place.
Ne peut-on pas dire qu’il y eut dans l’enseignement du Maître deux vertus d’humanité, une au sens large et l’autre au sens restreint ?
Bien qu’il me soit difficile d’établir une distinction précise entre les deux, je suis convaincu que le Maître choisissait, selon son interlocuteur, l’une ou l’autre variante et en donnait dans chaque cas une explication différente.
A mes semblables dont la vie entière se déroule discrètement dans quelque recoin obscur, loin de l’avant-scène de la société, le Maître enseignait que l’humanité était la considération pour autrui, qu’elle consistait à se mettre en pensée à la place de l’autre.
Lorsqu’on mène, comme moi, l’existence anonyme d’un simple particulier, la plus haute forme de vie est bien, selon les mots du Maître, celle qui est faite de considération réciproque et qui consiste à se mettre à la place d’autrui. Cette vie de concessions mutuelles peut ne pas apporter la richesse, elle manque certes de relief et de couleurs, mais elle permet, tout compte fait, à celui qui l’adopte de se féliciter d’être venu dans ce monde, si troublé et chaotique qu’il soit.
A ceux en revanche que leur position met à même d’influer sur la marche du monde, le Maître parlait de la même vertu d’humanité d’une manière tout autre, en termes différents, comme d’une force prodigieuse capable de maintenir la paix dans l’univers tout entier.
Le Maître dit : « Un homme de cœur, un homme doué d’humanité, ne veut pas d’une vie qui soit aux dépens de l’humanité. Il sacrifiera sa vie pour faire œuvre d’humanité. »
Celui qui mérite le nom d’homme de courage (celui dont le cœur aspire à la vertu d’humanité) ou celui d’homme vertueux (celui qui se fait une règle de vie de la vertu d’humanité) ne renoncera pas à la vertu par attachement pour la vie. Au contraire, il mourra volontiers s’il peut ainsi faire œuvre d’humanité. Au besoin, il sera toujours prêt au sacrifice de sa vie.
Le mot d’humanité est employé dans les deux cas, mais les comportements qu’il désigne sont très différents.
Dans le premier cas, il s’agit d’enseigner au commun des hommes à vivre en s’entraidant. Le second enseignement s’adresse aux hommes susceptibles d’influer sur les destinées de leur temps. L’humanité est alors la force motrice qui délivre du malheur les multitudes vivant dans ce monde et ramène la paix dans les époques troublées. Les hommes susceptibles d’influer sur la marche du monde se répartissent à leur tour en de nombreuses catégories, depuis les dirigeants au sommet jusqu’au magistrat du moindre village. A chacun d’eux, selon leurs capacités, le Maître parlait d’humanité au sens large.
Mais au cœur de l’humanité au sens large qui est l’armature de toute société humaine, comme de l’humanité au sens restreint, la nôtre, qui consiste simplement à montrer de la considération pour autrui et à se mettre à la place de l’autre, il est sans doute un élément commun qui est l’amour de l’homme ou encore cette bonne volonté dont tout être humain devrait être pourvu.
yogaesoteric
10 janvier 2023