Eckhart Tolle – Vis totalement le moment présent
de Mihai Vlădăreanu
Il a eu une vie étonnante. Né en Allemagne, il a vécu en Espagne, il a étudié en Angleterre, a été chercheur scientifique à l’Université de Cambridge. Partant de l’obsession du suicide, de la dépression et de l’angoisse il est arrivé à l’illumination spirituelle. Il est arrivé un moment où il est resté sans relations sociales, sans maison, sans travail. Serein il a renoncé à tout. Il a vécu pendant deux ans comme un SDF. La nuit il dormait sur les bancs d’un parc, il passait les journées dans l’ivresse du plus grand bonheur. Les gens ont voulu savoir comment il avait atteint la paix totale. C’est ainsi que Eckhart Tolle est devenu un des enseignants spirituels les plus connus, qui porte son message dans le monde. Un prophète de notre temps. Son enseignement a le pouvoir de la vérité, le pouvoir du présent.
Rishikesh, Inde, 2002. Les hôtes le saluent: „Soyez le bienvenu parmi nous!”. Eckhart Tolle reçoit en souriant la guirlande que les organisateurs pendent autour de son cou. Il s’amuse. Dans la salle plusieurs personnes éclatent de rire. Il regarde avec attention le public. Puis enlève la guirlande très lentement, soigneusement. Il la place à côté de lui. Ensuite il attend en silence en regardant les gens. Puis il commence à parler.
„La rencontre d’aujourd’hui est appelée séminaire d’enseignement, mais ce qui se passe ici n’est pas un processus d’apprentissage. Les mots limitent, mais il faut dénommer cet événement d’une certaine manière. „Enseignement” signifie que je vous apporte quelque chose de plus – des connaissances, de l’information, des faits ou une sorte d’expérience, de vécu. Mais ici il ne s’agit pas de cela. Je n’ajoute rien à chacun d’entre-vous. Chaque personne de cette salle a déjà plus qu’il ne lui suffit. Vous avez accumulé plus d’informations spirituelles que Bouddha n’en a jamais eu et bien sûr vous disposez des cartes qui composent toutes ces connaissances. Vous avez déjà des indicateurs merveilleux pour le chemin de la transformation de la conscience. Mais cette fois-ci nous n’allons rien utiliser de ceux-ci, bien qu’ils soient profonds, bien que bon nombre d’entre-eux ont leur origine dans ce pays, qui est, à juste titre, dénommé „le berceau de la spiritualité”.
Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose de faux avec ces cartes. Elles sont belles. Mais chaque période crée ses propres indicateurs, en concordance avec les nécessités du moment. Bien sûr, les cartes anciennes peuvent également fonctionner, utilisées de façon adéquate, mais elles risquent de devenir des obstacles si on les utilise de façon maladroite. Peut être avez-vous observé que j’utilise les mots de „cartes” et d’„indicateurs” pour les enseignements spirituels anciens.
L’essence de toute voie est la métamorphose de la conscience
Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ une carte ? Une carte n’est jamais le territoire. L’indicateur ne représente pas le lieu qu’il indique. Tous les enseignements, qu’ils soient anciens ou contemporains, renvoient au-delà d’eux-mêmes. Et l’essence de tous les enseignements est la possibilité de transformation de la conscience humaine. L’atteinte d’un état libre de toute liaison, de toute souffrance, de conditionnement intérieur. Les enseignements montrent la voie vers cela. Les gens de l’antiquité qui se sont libérés des conditionnements, du faux sens de l’existence, du faux moi, offraient des enseignements de cet état modifié de conscience. C’est pourquoi ces cartes ou indicateurs ont tant de beauté et de pouvoir. C’est pourquoi elles ont créé de la fascination et ont attiré l’attention les unes après les autres, et que les gens ont commencé à les collectionner et à les comparer entre elles, cherchant à les interpréter. Jusque là ce n’était qu’un pas jusqu’à l’oubli du point qu’elles indiquent – parce que certains se sont tellement immergés dans la forme de l’enseignement, qu’après un certain temps ils ont commencé à tellement aimer l’indicateur ou la carte, qu’ils ont commencé à s’y identifier…
D’autres les ont tellement aimé et ont commencé à discuter de manière contradictoire avec d’autres groupes, en oubliant que toutes ces cartes indiquent le même point. À partir de ce moment, l’homme a été soulagé de leur poids. Cela se passe depuis longtemps et continue à se passer.
Mon enseignement est neutre du point de vue culturel, il n’est pas bouddhiste, chrétien, hindou, mais il embrasse l’essence de tout. Il n’a pas une forme rigide, parce qu’il ne dit pas croire ceci ou cela. L’essence de cet « enseignement » qui nous a réuni ici – est la possibilité de transformation de la conscience de l’être humaine, de ta conscience. Toutes les langues ont leurs limites, donc ces mots aussi sont des indicateurs. Parce que toutes les formes ont des limites, tous les mots que je prononce limitent; si je dis „la transformation de la conscience humaine” ce n’est pas en totalité vrai, ce n’est qu’un point de vue.
Car aucune affirmation ne peut contenir la vérité tout entière. Une affirmation n’est qu’une seule perspective. Il est bien de savoir cela, parce qu’alors on ne va pas s’accrocher à une affirmation, on ne va pas s’identifier à la perspective en disant „c’est la vérité”. La transformation de la conscience humaine ? Oui, de cette perspective qui suppose que quelque chose de ton intérieur devrait se métamorphoser avant qu’un nouvel état apparaisse. Quelque chose de l’intérieur de toi, aurait besoin d’être réparé, mais ce n’est pas vrai. On pourrait supposer aussi qu’il y a besoin de temps pour la transformation de la conscience. Mais il n’en est pas ainsi. Donc quelle est l’essence de la transformation de la conscience qui ne nécessite pas ddeu temps ? Est-ce possible ?” Eckhart Tolle se tait. Moments d’intériorisation.
Connaître la seule chose qui compte
„Ainsi nous arrivons à l’essence et la seule raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui – connaître cet état de conscience, non pas comme une cible qui doit être atteinte dans le futur, mais comme une réalité qui existe en toi MAINTENANT. Comment est-il possible de savoir cela sans déjà construire une nouvelle croyance de cette conviction ? Parce qu’il est possible d’adopter une telle croyance en entendant un enseignement qui dit que tu es déjà illuminé. Une grande satisfaction peut être ressentie en ajoutant au contenu de ton mental et en te convainquant toi-même que c’est la vérité, car „mon guide m’a dit qu’il ne faut rien transformer et que je suis déjà illuminé” (rires dans la salle). Pour un certain temps, cela confère un surplus à l’identité crée par le mental, pour la conscience de soi créée par le mental et fait en sorte que tu te sente très bien. Enfin, tu as réussi !
La conscience du moi créée par le mental cherchera à se développer, à capter encore plus. Et s’il est possible de recevoir une croyance puissante de la part de quelqu’un, une croyance qu’on ajoute au contenu de ton mental, à laquelle tu t’identifies comme étant toi-même, tu seras très satisfait pendant un certain temps. Tu es devenu grand, tu es quelqu’un qui a grandi et qui est devenu illuminé. Mais c’est un enchantement qui ne peut pas durer longtemps, et la vie te prouvera que tu n’as pas encore atteint l’illumination. Et alors tu passes à la chose suivante à laquelle tu puisses t’identifier : des expériences, une autre croyance, plus de connaissance ou chercher la réalisation spirituelle authentique pour l’ajouter à ton mental. Et ainsi tu t’éloignes de celui que tu es déjà. Tu continues à t’orienter vers le futur. Tu continues à t’accrocher aux différentes choses, dans le but de devenir complet du point de vue spirituel.
D’un point de vue matériel, peut-être es-tu arrivé quelque part et maintenant veux-tu évoluer au plan spirituel. Peut-être as-tu réussi à surmonter les obstacles relationnels. Ce que tu désires maintenant est la complétude. Et ici intervient cet enseignement qui peut sembler étrange et qui dit : tu ne pourras jamais la trouver dans le futur. Mais en même temps je te dis que tu ne me crois pas ! Et si c’est le cas, si tu es déjà libéré et si ton essence a déjà été révélée, alors quelle est la différence entre toi et ton maître spirituel ? Si cela existe. Quelqu’un pourrait vouloir dire que tu sais que cela est vrai, alors que tu ne sais pas. Oui, mais comment cette connaissance apparaît-elle ? Comment se manifeste-t-elle ? C’est très simple. Ce peu importe si le maître en connaît plus que toi. Il se peut que certains maîtres en connaissent plus. D’autres maîtres sont des gens très simples, sans éducation particulière. Et s’il est question de connaissance et d’information, il se peut que tu en connaisses mille fois plus. Tu connais beaucoup de choses, mais par contre ils savent la seule chose qui compte…” (Rires dans la salle. Eckhart Tolle sourit).
Tu n’as plus besoin de temps
„La réponse est simple, et je te la donnes toute de suite, sur tu veux rentrer plutôt à la maison, parce que je ne veux pas soutenir mon enseignement en promettant de t’offrir cette connaissance seulement le sixième jour de cette semaine. Le maître est en totale communion avec le moment présent. Il ne s’oppose pas intérieurement à ce moment. Il n’oppose pas de résistance au moment présent, à son existence telle qu’elle est maintenant. Quoi qu’il apparaisse en ce moment, il ne s’y oppose pas. Cela représente la fin de tout ce qui est faux en toi. Toute ta structure égotique dépend de la résistance intérieure contre le moment présent. Le moi créé par le mental se maintient en l’utilisant. L’état d’opposition est l’état de non accomplissement, un état d’un permanent désir ou de peur de la projection mentale qu’on appelle futur.
Désirer et avoir besoin du temps, comme si cela m’offrirait quelque chose qui me rende plus complet et la peur que demain, dans un mois, dans un an, un décennie il pourrait se passer quelque chose qui me prive de ce qui me confère le sentiment d’accomplissement, sont les deux aspects relatifs du futur. La croissance de la conscience d’un être humain, quelle que soit la forme qu’elle puisse prendre, cherchée dans le temps ou à travers le temps. C’est une force énorme qui t’éloigne du moment présent plein de vie et de complétude, te poussant vers le futur.
Du fait que ta recherche est orientée vers un aspect supposé enrichir ton être, le futur te rendra plus complet. Ceci est vrai jusqu’au point où tu crois que pour ta pratique spirituelle tu as besoin de futur. Je n’affirme pas que c’est entièrement un non sens. La pratique spirituelle est nécessaire… pour bon nombre de gens la pratique spirituelle représente un pas vers le développement progressif vers l’état de libération. Mais au cours de ce développement il arrive un moment où tu te rends compt,e d’un seul coup, de la nature trompeuse du temps. Tu découvres qui tu es en fait, au-delà de la forme. Il t’arrives de te retrouver au-delà des constructions mentales. D’un coup tu te libères de la fausseté du futur – du point de vue de la libération spirituelle. Mais jusqu’à ce que tu te rendes compte de cela, la pratique spirituelle est nécessaire. Jusqu’à ce moment-là, tu as besoin de temps, de souffrance. Et la pratique spirituelle n’est pas forcement ce qu’on comprend d’habitude par pratique spirituelle. Pour bon nombre de gens, la seule pratique spirituelle c’est la souffrance. De nombreux gens ne bénéficient pas d’une pratique spirituelle. Pour eux, la souffrance est le meilleur maître spirituel. Ils en ont besoin, parce que les deux affirmations sont synonymes. Lorsque je dis que tu n’as pas besoin de temps, ce n’est pas valable pour tout le monde. C’est valable seulement pour ceux qui sont capables d’être attentifs au moment PRÉSENT, pour ceux qui peuvent réaliser sa profondeur et sa vérité. Et nous sommes ici pour révéler la profondeur et l’authenticité de cette affirmation, au cours d’une semaine, qui signifie du temps.
La souffrance n’est plus nécessaire
Nous explorons ici l’état atemporel de la conscience. Peut-être y a-t-il parmi vous certains qui ne vont pas aimer ce que je vais dire maintenant, parce qu’ils sont encore identifiés au temps et au déplacement dans le temps du moi, qu’ils attendent l’accomplissement avec le passage des jours. Et dans ce cas ce n’est que le petit ego qui est attentif à mes mots, il n’aime pas mes mots, parce que son existence est liée au temps. Il est très possible que certains de vous, qui viennent ici pour la première fois, ressentent une puissante impulsion de s’en aller. Il n’y a rien de mal. Cela veut tout simplement dire que vous n’êtes pas encore prêts à écouter la simplicité et la profondeur de cette vérité : tu n’as pas besoin du temps. Il se peut que la peur d’explorer cette affirmation, pour la comprendre, apparaisse. Peur. En fait, qui a peur ? La conscience limitée de l’ego lié au temps a peur de cette affirmation. Et ça va de soi. Cela veut dire que l’affirmation „tu n’as plus besoin du temps” n’est pas valable pour toi. Cela veut dire que tu as besoin de plus du temps. Et ça va aussi de soi. Mais ce fait est aussi lié à la souffrance. Le synonyme de l’affirmation „tu n’as plus besoin du temps” est „tu n’as plus besoin de souffrance”.
Voilà le dernier enseignement de Bouddha – la fin de la souffrance. „Tu n’as plus besoin du temps” englobe „tu n’as plus besoin de souffrance”. C’est pourquoi l’affirmation peut être vraie ou fausse pour toi. Ce n’est pas une affirmation valable pour tout le monde. Quelle que soit ta pratique spirituelle que tu aies réalisée jusqu’à maintenant, ou l’audition des enseignements que tu as suivis, ou la souffrance que tu as subie, la question est de savoir si tu as la capacité intérieure pour écouter ces mots, si tu perçois leur vérité même de façon voilée. Non pas de comprendre, parce qu’une fois que tu commences à penser, tu n’iras pas trop loin.
Donc, l’affirmation „tu n’as plus besoin du temps” peut être vraie ou fausse. Une telle question n’est satisfaisante que pour le mental. Je vais souvent dire des choses qui sont vraies, et inexactes à la fois. Cet indicateur peut être vrai ou non vrai pour toi. Le mental n’aime pas cela. Il dit : quelque chose est soit vrai, soit faux. Dans la science il en est de même ou au moins c’est ainsi que les choses étaient jusqu’à il y a peu de temps. En fait la question doit être ainsi formulée: ai-je besoin du temps, avons-nous besoin du temps pour atteindre la réalisation ? La réponse est : tu as besoin du temps, jusqu’à ce que tu te rende compte que tu n’as plus besoin du temps.
L’acceptation est l’exercice parfait
Nous allons utiliser toute la semaine qui suit pour approfondir cette affirmation, découvrir la direction vers laquelle se dirige l’indicateur suivant – ces mots „ tu n’as plus besoin du temps”. Je n’en ai plus besoin pour être ce que je suis, pour être moi-même, entier, complet. Comment pourrais-je savoir cela sans en faire un nouveau credo ? Comment pourrais-je savoir cela, sans mettre à votre disposition un nouvel exercice qui vous offre plus de temps ? Comment savoir ? Par le fait que tu entreras ici dans un état d’acceptation – et je le dis, même si certains en auront peur. C’est le seul exercice de la semaine qui va suivre – l’entrée dans un état d’acceptation.
Il n’en faut pas plus. Si tu en avais besoin de plus, d’un autre statut social, de plus d’argent, de plusieurs possessions, de plusieurs expériences ou même de plus de… spiritualité, l’état d’acceptation n’existerait pas. S’il existe en toi la nécessité intérieure pour le moment suivant, si tu as besoin de savoir ce qui va se passer dans le moment suivant et puis le suivant et le suivant… ce regard inquiet jeté au-dessus du sommet du moment présent, ce regard, partie de la conscience l’être humain commun, ne représente pas l’état de la conscience d’acceptation.
La paix dissout le mal en silence
L’état d’acceptation – c’est très important, et je le répète parce qu’on l’oublie vite – s’installe lorsqu’on n’a plus besoin de plus pour être complet. „Plus” dans le monde phénoménal est quelque chose de fréquent – bien sûr, on a besoin de plus de nourriture, tu auras besoin de plusieurs capacités, parce que ce sont des éléments qui forment l’existence quotidienne, mais la soif psychologique de désirer davantage disparaît. Lorsque le moi veut plus pour devenir puissant, il ne réalise pas l’état d’acceptation. Tu entres dans cet état d’abandon, purement et simplement en acceptant les bras ouverts (Eckhart Tolle ouvre les bras comme s’il voulait enlacer tout ce qui se trouve devant lui) le moment présent, quelle que soit la forme qu’il ait pris. À la première vue, cela peut sembler un exercice spirituel absurde, parce que souvent ce moment n’est pas rempli de satisfactions. Ainsi, dire que „je m’abandonne en totalité au moment présent” inclue aussi les émotions négatives que j’éprouve en ce moment, peut-être de l’inquiétude, de la colère, tout… Veux-tu que je reste fixé pour toujours dans ce moment ? Non. Mais la voie de les dépasser n’est pas l’opposition, mais l’acceptation qui nous offre suffisamment de paix pour les dissoudre en silence.
Article extrait de la revue Yoga Magazin n° 67
yogaesoteric
2009