ICI et MAINTENANT : des repères fondamentaux dans la pratique du yoga
La pratique spirituelle met l’accent sur la conscientisation du moment présent, d’« ici » et « maintenant ». Dans la course au bonheur, le mental inférieur de l’homme espère constamment trouver son accomplissement en évadant des conditions objectives dans lesquelles il se trouve. Ainsi, le bonheur est toujours reporté à plus tard dans un « là et alors » fantasmagorique, où nous projetons souvent des désirs confus et contradictoires. Toutefois, le YOGA montre que le vrai bonheur ne peut être atteint que par une véritable et profonde connaissance de Soi, et pour que cette connaissance apparaisse, il est nécessaire de manifester une attention permanente sur l’instant présent.
La division du temps en passé, présent et futur est un paradoxe. Personne ne peut vivre dans le passé ou le futur. Ce que nous appelons par la notion « passé » ou « futur » ne peut être effectivement expérimenté qu’en tant que présent. Même dans le cas du voyage paranormal dans le temps, le passé ou le futur sont perçus comme « présent » au moment où ils sont expérimentés. Nous remarquons donc que les notions de « passé » et de « futur » ne peuvent être couvertes par une expérience effective. Elles sont seulement des catégories temporelles par lesquelles le mental ordonne les événements ; le passé et le futur appartiennent donc apparemment au monde objectif, mais ils ne peuvent pas être vécus par celui qui connaît.
En ce qui concerne le temps, la seule expérience que celui qui connaît peut avoir est le présent. Toutefois, l’homme commun a une perception très floue sur le présent. Il enregistre comme « le présent » un intervalle d’une journée ou même les quelques jours autour du moment où il se trouve réellement.
A mesure que le mental se raffine, le yogi se rend compte – du point de vue du monde objectif (du déroulement des événements extérieurs) – que le présent n’est pas un intervalle (une heure, une journée, une semaine), mais une fraction infinitésimale, un « quantum » de temps suspendu entre ce qui s’est déjà passé (qu’on appelle le passé) et ce qui n’est pas encore arrivé (qu’on appelle le futur). Le mental ordinaire ne peut percevoir cet aspect « infinitésimal » du présent qu’en des circonstances tout à fait exceptionnelles. Par exemple, lorsqu’il est confronté à une situation inattendue et désagréable, le mental commun est étonné de constater que ce qui vient de se passer en quelques secondes est déjà irréversible (car il appartient au passé).
D’autre part, le raffinage des perceptions intérieures qui survient à la suite de la pratique spirituelle permet au yogi de se rendre compte qu’ il n’y a ni passé ni futur, seulement un éternel présent du point de vue du sujet conscient. Si le mental était moins agité par le souvenir du passé et par ses désirs pour l’avenir, chaque être humain vivrait spontanément l’état d’éternel présent qui est accessible au yogi pendant l’état d’extase divine (SAMADHI). L’expérience répétée de cet état favorise l’émergence et l’installation progressive d’un état profond de paix intérieure et de liberté. Ainsi, même pendant l’activité de tous les jours, le yogi renonce à l’agitation habituelle du mental parce qu’il a réalisé intérieurement par son expérience directe que partout où il se projetterait mentalement, que ce soit dans le passé ou le future, il rencontrerait lui-même – et cette rencontre avec Soi est pleine de saveur.
Ainsi disparaît l’avidité de dévorer le temps. Paradoxalement, les gens courent chaque instant pour l’éternel « demain ». Même pendant les moments les plus heureux, ils ont faim de l’avenir. Les jeunes sont impatients d’avenir, bien que l’avenir leur apporte la vieillesse. Les aînés ont aussi faim d’avenir, bien que l’avenir leur apporte la mort. Dans les moments où ce « futur » semble tarder apparaît immédiatement l’ennui. L’homme vit ainsi toute sa vie dans un cercle vicieux : il court toujours après « demain », ce « demain » qui ne peut jamais être vécu parce que lorsqu’il est atteint par le sujet connaisseur, « demain est déjà « aujourd’hui ». Ainsi, il va à pas rapides vers la mort, courant après le fantôme de ce qui ne peut pas exister.
Il y a un critère simple par lequel vous pouvez reconnaître à quel point un être a accès à l’état d’éternité : s’il utilise souvent l’expression « j’ai hâte de… ». C’est une expression très courante dans le langage de beaucoup de gens. On a hâte que les vacances arrivent, on a hâte d’aller à la mer, on a hâte de revenir de la mer et d’aller à la montagne, etc. Certaines personnes disent même : « Je ne sais plus quoi faire : lorsque je suis au travail, j’ai hâte de rentrer à la maison ; quand je suis rentré à la maison, j’ai hâte d’aller au travail… ». Cela montre clairement que la cupidité de « dévorer » le temps ne reflète pas un réel besoin de l’être, mais qu’il est en fait le résultat d’une agitation intérieure.
A mesure qu’il a l’expérience de l’état d’éternité pendant les états d’extase divine (SAMADHI), le yogi parvient à sentir de façon effective que toute la saveur de tous les temps existe en cet instant même. Il comprend pourquoi les textes sacrés disent que la libération spirituelle est ICI et MAINTENANT.
D’autre part, le TEMPS signifie succession, il implique toujours le passé et le futur. Nous ne pouvons pas parler du temps sans ces deux concepts (passé et futur), qui impliquent en réalité une fausse perception de notre mental. En effet, en observant avec lucidité les mécanismes de fonctionnement du mental, nous remarquons que le mental se rapporte presqu’exclusivement aux termes du passé et de l’avenir (ce qui implique le temps) et l’espace. La conscientisation profonde du moment présent détermine cependant une forclusion effective de l’activité mentale et la réalisation du saut dans le domaine universel du supramental, où il n’y a plus de limites imposées par le temps et l’espace.
Par conséquent, les étapes de plus en plus profondes de l’expansion de la conscience dans le processus d’élévation spirituelle sont tous liées à l’accès au domaine supramental, ce qui est la clé fondamentale de l’illumination spirituelle, c’est à dire de la perception et de la conscience d’un éternel présent.
Le traité fondamental de yoga de Patanjali « Yoga Sutra » commence par un aphorisme laconique qui stipule littéralement : « la discipline du yoga maintenant ». Généralement, les commentaires de ce texte disent : « Maintenant suivent les instructions relatives à la discipline du yoga ». Mais le grand sage Vyasa a préféré comme suit : « Maintenant la discipline du yoga », parce que le vécu complet de MAINTENANT est l’essence même de l’état de yoga.
yogaesoteric
2013