Kennedy, 50 ans après : bientôt (toute) la vérité ?

L’assassinat de JFK reste un marqueur dans la vie des Américains. Depuis ce 22 novembre 1963, jour de l’assassinat du président, une chose s’est abimée : la confiance des citoyens dans la justice de leur pays. La faute à ces rebondissements tragiques, à cette enquête bâclée, au silence suspect des Administrations qui se sont succédé. Y a-t-il eu ou non d’autres personnes impliquées dans cet assassinat ? Si oui, lesquelles ? Pourquoi ? Ces questions lancinantes rebondissent dans l’imaginaire américain depuis un demi-siècle. Il ne faut plus attendre pour y répondre. En octobre 2017, le monde a eu accès à ces documents.

 

5 millions ! C’est le nombre de pages que comporte le dossier Kennedy conservé aux Archives nationales (NARA) à Washington. Contrairement à une légende bien vivace, les documents qui le composent ne sont pas scellés. Bien au contraire. La « collection JFK » reste ouverte à la communauté des chercheurs et se compose des documents retenus par la Commission Warren (chargée d’enquêter sur les circonstances de l’assassinat du président), des documents déclassifiés, des bibliothèques présidentielles Kennedy, Johnson et Ford, des dossiers du Comité spécial sur les recherches et les assassinats (AARC) et des dossiers de la CIA et du FBI.


Bâtiment des Archives Nationales (Washington)

5 millions de pages à la disposition d’historiens, de journalistes, de scénaristes ! Mais les chercheurs qui travaillent sur l’assassinat de JFK continuent de faire la grimace. Ce qu’ils souhaitent, c’est pouvoir pénétrer dans une salle spéciale et consulter les documents toujours classifiés. Plus exactement 1171 dossiers top-secret contenant chacun entre une et vingt pages. Ces documents reposent dans plusieurs boîtes métalliques, elles-mêmes posées sur de simples étagères dans une pièce dûment surveillée. « Il s’agit d’une grande salle à température et humidité contrôlées, » précise Martha Murphy, la responsable du lieu, qui n’en dira pas plus.

Intérêt national

Ces dossiers sont considérés comme pouvant contenir des informations sensibles et « pouvant avoir des implications sur la sécurité nationale ». En prévision du cinquantenaire de la mort de JFK, et arguant du fait que ces documents devraient, pour l’occasion, être rendus publics « dans le but d’une discussion en toute connaissance », Jim Lesar, le président de l’AARC, a adressé une lettre aux Archives nationales.

Réponse de Gary Stern, avocat et conseiller national des Archives :

« Moins de 1% des documents de la collection sont classifiés (…) Nos ressources sont limitées et nous ne pouvons procéder à des examens spéciaux. Nous essayons d’équilibrer l’impact historique, l’intérêt public (…) Nous reconnaissons que les documents restants sont d’un grand intérêt public et de valeur historique (…) Compte tenu de cet intérêt, nous avons consulté la CIA pour voir s’il serait possible d’examiner et de libérer l’un de ces documents restants pour le 50ème anniversaire de l’assassinat du président Kennedy en 2013 (…) ils ont conclu que la diffusion de ces dossiers restants exigerait des besoins logistiques considérables et qu’il n’y a tout simplement pas le temps ni les ressources nécessaires pour accomplir ces tâches avant 2017. Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure de répondre favorablement à votre demande. »

Ainsi la première puissance du monde ne disposerait pas d’assez d’argent pour réquisitionner quelques personnes et exhumer un petit millier de dossiers ! Curieux… Ce refus a suscité une certaine émotion chez plusieurs politologues américains. Ils se sont fait un malin plaisir de rappeler que cette fin de non-recevoir est en contradiction avec les engagements pris par l’Administration Obama. Celle-ci s’était engagée à déclassifier, en 2014, plus de 400 millions de documents secrets ! Pour les chercheurs, ce refus est un mauvais présage. Et les réactions n’ont pas tardé : « Cela défie l’imagination ! Des documents (ou des parties) pourront être libérés en 2017, mais pas en 2013 ! », s’est indigné Max Holland, chercheur indépendant. « C’est une décision profondément décevante, qui prive tout le monde d’une meilleure compréhension de l’assassinat de JFK », a déclaré de son côté Larry Sabato, politologue à l’université de Virginie. Mais s’il est une personne qui ne s’est guère étonnée de ce manque de transparence, c’est Jefferson Morley. Cet ex-journaliste au Washington Post, auteur d’ouvrages de références sur la CIA, a été le directeur national du Centre des Médias indépendants. Il connaît bien l’hypocrisie administrative de son pays. Il ferraille contre elle depuis plus de dix ans. Et rien n’arrête son combat. Ses procès contre la CIA l’ont rendu célèbre. Sa pugnacité à vouloir connaître la vérité sur l’affaire Kennedy continue de défrayer la chronique. Tous les obstacles qu’il rencontre, loin de le décourager, semblent au contraire muscler son obstination.

Oliver Stone

Au gré de ses longues enquêtes, et sur la foi de preuves irréfutables, il est le premier à avoir établi un autre canevas de faits qui éclaire de manière nouvelle et plausible ce qui s’est réellement passé au cours des mois qui ont précédé la tragédie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est en partie au cinéaste Oliver Stone que Jefferson Morley doit les avancées majeures de son travail. En effet, en 1992, et en réponse à l’immense émotion soulevée par « JFK », le film à charge d’Oliver Stone, le Congrès démocrate a fait voter une loi à l’unanimité, qui exige la divulgation « immédiate » de tous les fichiers du gouvernement concernant cette affaire. George Bush signe la loi (dite « loi JFK ») et, dans la foulée, en 1994, est créée la Commission de Révision des Dossiers Assassinat (ARRB). Son but ? Combattre le secret qui entoure d’ordinaire les dossiers liés aux assassinats politiques. La CIA est contrainte de coopérer. Dans le formidable puzzle que constitue l’affaire JFK, à mesure que lui parviennent les pièces déclassifiées, Jefferson Morrley parvient à reconstituer certains faits et le rôle joué par d’obscurs personnages. Et ce qu’il découvre est effarant.

Lee Harvey Oswald et la CIA

Selon les recherches effectuées par Jefferson Morley, il apparaît que Lee Harvey Oswald (l’assassin présumé de JFK), avait formé à la Nouvelle-Orléans un groupe favorable à Fidel Castro au cours de l’été 1963. Il avait même été impliqué dans une rixe contre des manifestants anti-Castro. L’altercation avait été filmée par une chaîne de télévision locale. Mais l’incroyable révélation de Jefferson Morlay est là : « Contrairement à ce que la Commission Warren a dit au peuple américain en 1964, la CIA a surveillé Lee Harvey Oswald d’octobre 1959 à octobre 1963. En effet, un câble de la CIA montre que les voyages d’Oswald, ses opinions politiques et son état d’esprit ont fait l’objet de discussions parmi les officiers supérieurs de la CIA seulement six semaines avant l’assassinat de JFK. » Et de donner d’autres précisions : « Quand il a contacté l’ambassade soviétique pour demander un visa pour se rendre à Cuba, une équipe de surveillance CIA a transcrit ses appels téléphoniques. »

Lee Harvey Oswald n’était donc pas un inconnu pour le gouvernement américain ! L’ex-marine, tireur d’élite, aurait aussi confié à plusieurs agents de renseignement son intention de tuer Kennedy. Et rien n’a été fait alors pour neutraliser Oswald. Cette révélation fait l’effet d’une bombe. Elle jette une lumière nouvelle sur la Commission Warren, si décriée depuis un demi-siècle et suspecte de graves négligences dans la conduite de son enquête. Il apparaît que cette même commission n’avait tout simplement jamais été informée des enquêtes anti-castristes de la CIA et de l’intention meurtrière d’Oswald, et cela « en dépit du fait que l’ancien directeur de la CIA Allen Dulles était un membre de la Commission Warren. Il y a plus de preuves de négligence de la part de la CIA dans la mort de JFK que de complicité cubaine, beaucoup plus. »

 

John Whitten, héros oublié

Au moins 5 officiers de haut rang connaissaient les liens de Oswald avec Cuba. Ils connaissaient le projet de Oswald. Leurs noms ont été tenus secret pendant une trentaine d’années. Jefferson Morley les révèle. Il s’agit de Roman, Tom Karamessines, Bill Hood, John Whitten (identifié par son pseudonyme « Scelso ») et Betty Egeter. Tous avaient prévenu leurs supérieurs directs du danger potentiel que représentait Lee Harvey Oswald. Et Jefferson Morley d’enfoncer le clou : « Le directeur adjoint Richard Helms, ou le chef du contre-espionnage James Angleton, avait l’information à la fin de 1963. »

A noter que parmi les officiers, seul John Whitten se démarque. Whitten est un héros dans l’histoire de l’assassinat de JFK. Il était chef de bureau des services secrets au Mexique en 1963 et, selon tous les rapports le concernant, c’était « un bon espion ». Sa spécialité, c’était les enquêtes de contre-espionnage et il savait déterminer les « allégeances ultimes » d’une personne (en fait savoir évaluer la détermination de quelqu’un et la fidélité en son idéal). C’était exactement ce que le gouvernement américain avait besoin de savoir sur Oswald après l’assassinat de JFK. « Whitten, et c’est le seul, a tenté de savoir ce qui avait mal tourné. Il a essayé de mener une enquête interne au sein de la CIA concernant Oswald. Mais il a été bloqué, notamment par l’hostilité de Angleton ».

 

1ère page du rapport Warren

Trois coups en six secondes

L’opinion publique (près de 80% des Américains) continue de refuser en bloc le rapport de la commission d’enquête Warren. La commission avait conclu qu’Oswald avait agi seul et ne faisait pas partie d’un complot. Y a-t-il eu ou non un deuxième tireur sur Dealey Plaza au moment où passait la Lincoln présidentielle ? Des impacts sonores ressemblant à des tirs d’armes ont bien été enregistrés sur le microphone d’un officier de police de Dallas à proximité d’un monticule herbeux, à une distance très éloignée du tir de Oswald depuis la fenêtre d’un bâtiment. Mais des analyses ont jeté le doute sur cette preuve acoustique.

Autre chose : un seul homme peut-il tirer trois coups de feu en 6 secondes ? Il semble que la balle meurtrière ait bien été tirée de face, d’un angle impossible pour Oswald. Une autre enquête diligentée par un second comité, plus de vingt ans après les faits, a conclu que le Président Kennedy avait été « probablement assassiné à la suite d’une conspiration. Le comité est incapable d’identifier l’autre tireur ou l’étendue de la conspiration. »

Fidel et la Mafia

Qui aurait donc supervisé une telle opération ? S’agit-il de Fidel Castro ? Un ancien officier de la CIA, Gleen Carle a affirmé dans le Daily Beast que « Oui, le dictateur cubain était au courant de l’intention de Lee Harvey Oswald d’assassiner le président Kennedy. »

Il y a aussi la piste de la mafia, qui revient de manière chronique. Sam Giancana, le parrain de Chicago, avait financièrement participé aux frais de campagne lors de l’élection de JFK en 1960. Mais une fois son frère élu, Bob Kennedy, frère de John et alors ministre de la Justice, loin de lui en être reconnaissant, n’avait eu de cesse que de lutter contre lui et le crime organisé.

Hypothèse crédible tant il est vrai que cette croisade anti-mafia avait commencé quelques années auparavant avec les poursuites engagées contre le patron du Syndicat des camionneurs, Jimmy Hoffa, soupçonné de blanchir de l’argent sale. Autant de motifs de se venger et de planifier un assassinat.

Selon une hypothèse qui reste à confirmer, mais qui tient la corde, ce serait le fiasco de la baie des Cochons (voir ci-contre) qui aurait finalement causé la mort du président. Hélas pour Kennedy, mafia et réfugiés cubains avaient misé sur l’opération pour récupérer les casinos de la Havane confisqués par Castro au moment de la révolution. Mécontent du fiasco, le Milieu se serait alors vengé. Il aurait planifié l’assassinat de JFK à Dallas avec la complicité vengeresse de l’ex-Directeur de la CIA, Allen Dulles, renvoyé par Kennedy. Aucune preuve cependant et nombre de témoins-clé ont aujourd’hui disparu.

Mais si le crime ne paie pas, il rapporte : à ce jour, on estime à près de 2.000 le nombre d’ouvrages consacrés à cette affaire !

Objectif 2017

Rôle des agents de la CIA, complicité, dysfonctionnement, négligences, la déclassification de ces documents secrets en 2017 pourraient enfin clarifier ces questions. Ainsi, précise Jefferson Morley, « Les enregistrements comprennent plus de 600 pages de documents sur la carrière de Phillips, le chef des opérations anti-castristes de l’Agence en 1963 connu sous un autre nom d’emprunt, Maurice Bishop. Phillips a supervisé la surveillance de l’accusé assassin Lee Harvey Oswald à Mexico six semaines avant l’assassinat de Kennedy. »

La « Loi JFK » votée en 1992 oblige la divulgation pleine et entière de TOUTES les pièces relatives à l’affaire en 2017. Reste que les services secrets ont admis la destruction de dossiers clés en 1995 et que cet incident, curieusement, n’a jamais été examiné par le Congrès. Enfin, les chercheurs n’ignorent pas que la loi de 1992 stipule aussi que le président qui sera en exercice à ce moment-là peut, seul, décider de continuer à bloquer la divulgation de certains documents. Il peut y renoncer s’il estime que le « préjudice de la divulgation » occasionne une « gravité susceptible de troubler l’ordre public ». Mais voilà que le président Trump a déclassifier ces archives l’année passée. Maintenant il en reste les analyser.

Plus d’un demi-siècle après les faits, à l’heure d’internet, de la surveillance satellitaire, de la fin de l’URSS et surtout de la mort de la plupart des acteurs de cette tragédie, qui pourrait être encore embarrassé par le dossier Kennedy ? La CIA ? Cuba ?

yogaesoteric

15 janvier 2018

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