La compétition est-elle un moteur ou un obstacle à la vie en collectivité ?

 

Être compétitif, concurrentiel, tant au niveau individuel qu’entrepreneurial ou collectif semble être largement et communément accepté dans les sociétés contemporaines, au point d’en être devenu un élément, un mode de pensée ou un schème psychologique fondateur, quasiment jamais ou très peu questionné. Cet état de fait s’explique-t-il par le caractère naturel de l’esprit compétitif, hérité de tendances ou conditionnements biologiques tournés vers la lutte pour la survie dans le cadre de la théorie de l’évolution, comme le pensent un certain nombre de chercheurs de la communauté scientifique ? Ou n’existe-t-il pas d’autres composantes, psycho-éducatives et culturelles, responsables de la perpétuation de la croyance en l’idée de compétition comme un comportement normalisé et normalisable des rapports humains dans la société ? Une approche synthétique de la problématique est présentée suivie de quelques aspects techniques d’approfondissement.

Parce que la compétition est omniprésente dans les sociétés, quels que soient les domaines d’activité, économique, artistique, politique, religieux, éducatif, scolaire, relationnels, son questionnement est une démarche essentielle et nécessitant un esprit de sérieux et alerte, car il s’agit de soi-même et du monde qu’on construit, tant à l’échelle individuelle que collective. Par « collectif » ou « collectivité », on n’entend bien sûr pas ici des termes référentiels à une quelconque idéologie politique ou philosophique, ou à quelque utopie présente ou historique que ce soit, mais la notion de vie en collectivité, factuelle, qui est la réalité des rapports entre les êtres humains dans le monde, gouvernée par les divisions étatiques, nationales, religieuses ou politiques, dont les conséquences problématiques abondent notamment dans l’actualité. Un esprit un tant soit peu concerné par le monde et doté d’une sensibilité naturelle ne peut que constater, voir et peut-être s’insurger intérieurement face au désordre général global qui constitue la vie en collectivité, sans pour autant projeter sur cette perception quelque idéologie, principe ou concepts préétablis, laissant ainsi libre cours au questionnement et à la perception des faits, de moments en moments.

Il est assez intéressant de voir, en consultant les informations et les médias institués, à quel point la compétition fait partie intégrante de toute la pensée collective largement acceptée et perpétuée de jour en jour de manière bien souvent inconsciente. Et c’est parce que cet aspect de la pensée collective n’est jamais questionné, jamais remis en question, qu’il s’agit, et que cela devient un mouvement inconscient. Le principal moteur de cette idée de compétition est bien évidemment le modèle économique institué, mettant en concurrence des entités entrepreneuriales séparées, au sein de marchés portant sur des finalités identiques et bien souvent orientés sur des produits de consommation ou des services ciblés très spécifiques dépendant bien souvent d’effets de mode et de l’habileté et de l’argent investi par les industriels et publicitaires pour créer de nouvelles habitudes, demandes, voire besoins consommatoires.

L’art dans la société est également présenté en terme non plus de création, mais principalement de « performances », et notamment en fonction de récompenses, de prix divers, dans le cadre de divers festivals cinématographiques, musicaux ou autres, et concours, instaurant l’idée de vainqueurs, de gagnants, et de perdants au sein de l’activité artistique. Il est tout à fait frappant de voir que tout ce mouvement psychologique n’a absolument aucun rapport avec ce qu’est l’art et la création artistique, mais que par un effet de détournement idéologique des esprits, formate les activités artistiques en les réduisant bien souvent à cet aspect compétitif, comparatif, basé sur la récompense, mais également la punition, institutionnalisée par la critique artistique médiatiquement professionnalisée, ou par le succès commercial et la popularité.

L’éducation n’est pas épargnée par l’esprit de compétition, et il apparaît que dès les premières années de l’école, sont inculquées aux jeunes esprits les bases psychologiques à l’origine de ce mouvement entier sous-tendant l’ensemble des activités au sein de la collectivité. Non seulement au sein de l’institution nationalisée de l’Ecole, mais également par l’éducation familiale générée de la même manière et reproduite avec de maigres modifications de génération en génération, et enfin par la société elle-même, dont l’inertie générale interdit toute perspective de changement radical dans le cadre de ses diverses institutions, tant politiques que sociales. La séparation des êtres humains par appartenance nationale, les méthodes éducatives quasiment entièrement tournées vers l’acquisition et l’accumulation de connaissances, au détriment du développement de l’esprit critique intégral, de la sensibilité et du développement des potentiels individuels, la comparaison, les classements et le conformisme généralisé, sont autant de témoins d’alerte indiquant que l’éducation est, de manière générale, un système de maintien et de perpétuation des règles et modes de pensées de la société, formant un cadre général dans lequel subsiste une certaine illusion de choix que l’on appelle « libre-arbitre » et que l’on érige assez aveuglément bien souvent en dogme indiscutable, principalement dans les sociétés dites libérales et occidentales.

Au-delà de tout jugement idéologique concernant l’idée de compétition, l’état d’iniquité, d’injustice et de désordre accru du monde, régulé par la barbarie guerrière, au niveau mondial, et par des instances intergouvernementales en charge de propager l’uniformité dogmatique des modèles institués et du pouvoir, il est d’une évidence flagrante que le modèle général des activités humaines basé sur la compétition est dans l’incapacité d’apporter la paix dans le monde tant au niveau collectif et individuel, instaurant donc l’idée communément acceptée de la nécessité de l’existence du conflit dans la vie quotidienne. La compétition est alors perçue comme un moteur essentiel de l’existence, les guerres sont banalisées et perçues comme un mal nécessaire à l’instauration d’un ordre relatif et auquel il n’est d’autre choix que de se conformer « pour le bien de tous », la compétition individuelle, l’ambition, la réussite, deviennent alors des comportements psychologiques normalisés et quasi naturalisés et considérés comme partie intégrante de la condition humaine. Mais est-ce réellement le cas, ces comportements sont-ils réellement naturels, contingents ou inhérents à la nature humaine, sans aucune perspective et possibilité de changement, et non pas d’adhésion à des idéologies ou de création de systèmes en rapport à un éventuel et imaginaire changement, et qui n’ont par le passé jamais fonctionné, et ne fonctionnant toujours pas dans le présent ?

Dès lors que l’on accepte la compétition comme nécessaire et inéluctable, l’on cesse de questionner, tant ce qu’est la société que ce que l’on est, et l’on se ferme à toute possibilité de découverte s’il est possible et ce que signifie vivre sans le moindre sens de compétition et qu’elles en sont les implications pour la société. La peur est généralement ce qui empêche et entrave le questionnement, et une première réaction est de dénier la possibilité d’une existence sans compétition : « si la compétition n’existe plus, tout le système s’écroulera et le chaos prendra le pas sur le monde ». Une telle croyance irrationnelle résulte d’une défense psychologique de l’individu conditionné par le schème compétitif et y restant fermement attaché. Le monde actuel dans lequel on vit est déjà dans un chaos indescriptible où règnent la violence, l’injustice et la misère matérielle et psychologique contre lesquels les idéologies, religions et divers mouvements politiques constituent des outils de camouflage et de relativisation, à l’image de cosmétiques agissant en surface et ne résolvant aucun problème en profondeur, radicalement et immédiatement par une attention radicale et collective sur le problème.

Accepter de vivre dans la relativité des solutions à court terme des politiques, techno-scientistes, idéologues ou dans les mirages des croyances spirituelles ou des propagandes des religions organisées est une position de résignation que la plupart des personnes adoptent, par conformisme et peur de l’inconnu, qui sont les résistances les plus importantes à l’approche objective de la question de l’esprit de compétition dans le monde et au quotidien. Si conflit et compétition vont de pair, car il n’y a pas de compétition, sans comparaison, mesure, division et donc conflit, il est pour les esprits un tant soit peu sérieux et concernés par leur vie et le monde, primordial de se questionner s’il est possible de vivre dans ce monde, dont on n’est pas individuellement séparés, sans compétition, et donc potentiellement sans conflit et sans les efforts incessants associés qui constituent globalement la trame de nos vies quotidiennes à l’échelle individuelle et collective.

Pour finir sur un aspect quelque peu technique cette courte synthèse de la problématique du schème psychologique de la compétition, une telle approche et un tel questionnement demande-t-il du temps, ou n’est-il pas une affaire de compréhension immédiate et instantanée ? Ainsi, si l’on perçoit, à titre individuel, les conséquences désastreuses de l’esprit de compétition dans le monde, se libérer de ce conditionnement psychologique implique-t-il un effort progressif et graduel dans le temps ? Ou bien, la compréhension ne doit-elle pas être immédiate et globale ? Car si l’on accepte l’idée d’un effort progressif et graduel et donc l’idée de temps psychologique pour se libérer de l’esprit de compétition, l’on crée un idéal, une illusion, non actuelle, en réaction avec ce quoi l’on veut stopper. Pendant cet intervalle de temps créé par la pensée, cet intervalle entre l’état actuel réel de l’esprit de compétition et l’idéal non réel, non factuel, de son opposé que l’on peut par exemple appeler ici pour le propos : « non-compétition », l’esprit est en lutte pour le devenir. Un tel esprit cherche à se conformer avec un idéal qu’il a lui-même inventé en réaction à son état premier dont il veut se débarrasser. Il s’agit tout simplement d’une illusion, de croyances en des projections dans un futur non actuel, et donc de non-faits. Parce qu’un fait est toujours une actualité, toujours un objet de perception actuelle en ce qui concerne l’esprit humain, vivant et toujours en mouvement, l’idée de temps psychologique pour apporter un changement radical, véritable, au niveau psychologique est erronée.

 

yogaesoteric
7 juin 2019

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