La magnétosphère terrestre : un bouclier fiable ?
Par Constantin Cazorla
La vie sur Terre n’aurait pu émerger si un certain nombre de conditions n’avaient été remplies, comme la présence d’un champ magnétique. Des observations montrent cependant une diminution de l’intensité de ce champ magnétique : quelles sont les conséquences à redouter ?
La magnétosphère terrestre, c’est quoi ?
À l’instar d’un aimant, notre Terre possède un champ magnétique. Il est généré sous nos pieds, par le déplacement complexe de fer liquide au coeur de notre planète. Ces mouvements sont dus à la rotation de la Terre mais aussi au transport de chaleur par convection (la convection est un phénomène physique qui permet de transporter la chaleur : les parties les plus froides d’un fluide (c’est-à-dire un gaz ou un liquide) vont être plus denses et auront tendance à se déplacer vers le bas, tandis que les parties les plus chaudes vont être moins denses et vont se déplacer vers le haut. Au cours de leur mouvement, les parties chaudes vont se refroidir, et finalement, redescendre, engendrant une circulation dans le fluide.). On appelle « magnétosphère » la région au sein de laquelle le champ magnétique terrestre contrôle le mouvement de la matière qui s’y trouve. Sa limite est appelée la « magnétopause ».
En l’absence de toute force extérieure, le champ magnétique terrestre devrait ressembler à celui d’un aimant simple. Notre Système Solaire est cependant un milieu hostile : en plus de sa lumière, le Soleil nous envoie des particules énergétiques (principalement des protons et des électrons) sous la forme d’un « vent solaire », qui remplit l’espace entre les objets du Système Solaire. Ce vent solaire, qui se déplace à une vitesse d’environ 400 km/s (notons qu’il faut environ quarante heures aux particules du vent solaire pour parcourir la distance Soleil-Terre), modifie la forme de notre magnétosphère, comme l’illustre la Figure 1. La partie de la magnétosphère directement exposée au vent solaire doit « lutter » contre ce flot de matière ionisée et ne peut pas s’étendre très loin : la magnétopause ne se situe qu’à seulement 7 à 10 fois le rayon terrestre (qui est d’approximativement 6400 km) de notre planète. Au contraire, la partie de la magnétosphère située dans l’ombre de la Terre ne reçoit pas le vent solaire de front, et peut s’étendre beaucoup plus loin (jusqu’à une distance de l’ordre de 1.000 fois le rayon terrestre), formant une structure appelée la « magnétoqueue ».
Fig. 1 : Illustration de l’action du vent solaire sur la magnétosphère terrestre. Source : Wikipedia.
La magnétosphère terrestre, un bouclier essentiel
La magnétosphère terrestre constitue un véritable bouclier contre les agressions multiples provenant de l’espace, dont le vent solaire dévastateur fait partie. Nous sommes en fait abrités derrière une double protection : notre atmosphère, et le champ magnétique terrestre. Ce dernier protège aussi l’atmosphère. Les planètes Mars et Vénus, qui ne sont pas protégées par un champ magnétique (à titre de comparaison, le champ magnétique de la Terre vaut approximativement 15.500 fois celui de Mars et 3.100 fois celui de Vénus.), voient leur atmosphère soufflée par le vent solaire. Au contraire, pour la Terre, le champ magnétique dévie les particules du vent, le forçant à contourner notre planète. Cela permet de garder notre atmosphère en place, comme l’ont montré des observations (réalisées par les satellites européens Cluster et Mars Express le 6 janvier 2008) de la rencontre d’une « brise » du vent solaire avec la Terre et Mars, lorsque celles-ci étaient alignées. Cette configuration a permis de montrer qu’un flux important de vent solaire provoqua une augmentation du taux de perte d’oxygène de l’atmosphère martienne dix fois plus importante que celle de la Terre.
Un champ magnétique responsable de lumières somptueuses
Le champ magnétique terrestre ne se contente pas de veiller à notre protection sur Terre, il nous place également aux premières loges de spectacles magnifiques et réguliers, ceux des aurores polaires qui, comme leur nom l’indique, se produisent au niveau des pôles magnétiques (on parlera d’aurores boréales ou australes selon qu’elles apparaissent respectivement autour des pôles nord ou sud magnétiques), là où sont concentrées les lignes du champ magnétique terrestre. Leur brillance dépend de l’activité solaire, cette dernière variant sur une période de 11 ans.
Comment sont produites ces lumières ? Les particules du vent solaire, guidées vers les pôles magnétiques, vont rentrer en collision avec les atomes et molécules de notre atmosphère. Un transfert d’énergie des particules du vent solaire vers la matière de l’atmosphère va alors se produire, cette matière devenant « excitée ». L’énergie excédentaire va ensuite être évacuée sous forme de rayonnement : suivant la nature des atomes et molécules de l’atmosphère qui évacuent leur énergie excédentaire, la longueur d’onde du rayonnement émis sera différente, expliquant ainsi les différentes couleurs des aurores.
Fig. 2 : Photographie d’une aurore boréale prise dans la péninsule de Reykjanes, Islande. Source : National Geographic.
Une décroissance de l’intensité du bouclier magnétique terrestre
Le champ magnétique de la Terre semble néanmoins faiblir. Une diminution de 5% en moyenne par siècle a en effet été constatée. Serait-ce le signe d’une inversion du champ magnétique ? Cette hypothèse n’est pas à exclure. Au cours de cette inversion, le champ magnétique faiblit (moins de 10% du champ actuel) et prend une forme complexe : il pourrait y avoir « plusieurs pôles Nord » et « plusieurs pôles Sud » magnétiques. Quelles conséquences cela peut-il avoir ?
Dans l’espace, les astronautes privés du bouclier magnétique seraient alors directement exposés à un important flux de particules : celles-ci pourraient provoquer des vomissements, des « flashs lumineux », et provoquer une destruction de cellules, de la moelle osseuse ou de la muqueuse intestinale, des cataractes, des mutations, ou encore des cancers. Les satellites spatiaux seraient également touchés par ce flux de particules et des problèmes pourraient survenir au niveau de leurs composants électroniques, détériorant ainsi leurs performances, et pouvant même causer un arrêt de leurs activités.
Mais des problèmes surgiraient aussi au sol. Ainsi, un champ magnétique terrestre très faible durant plusieurs milliers d’années engendrerait la formation de trous dans la couche d’ozone à cause de l’action du vent solaire. Cette couche nous protège contre les rayons ultraviolets nocifs du Soleil et sa disparition, même partielle, aurait des effets corporels néfastes : des lésions des vaisseaux sanguins, des réactions inflammatoires des yeux, des cataractes, des cancers, un vieillissement précoce et des affections de la peau pourraient ainsi survenir.
Par ailleurs, un faible champ magnétique nous exposerait, tout comme les astronautes, directement aux particules énergétiques en provenance de l’espace. Cela entraînerait également une perturbation importante du réseau électrique. En effet, les particules énergétiques qui pénètrent dans l’atmosphère terrestre vont engendrer un courant électrique qui peut, si ce courant est important, modifier le champ magnétique de la Terre, créant ainsi des courants électriques à la surface de la Terre. Ces courants pourraient alors saturer certains éléments d’un réseau électrique, pouvant le rendre hors-service. Par ailleurs, une exposition à des particules de hautes énergies va conduire à une légère modification du climat. En effet, il a été suggéré que ces particules ont une influence sur la quantité de nuages dans l’atmosphère : la collision entre les particules énergétiques et la matière de notre atmosphère va engendrer des ions, c’est-à-dire des atomes ou des molécules qui ont gagné ou perdu des électrons. Ces ions vont ensuite attirer des molécules d’eau en phase gazeuse, ce rassemblement provoquant la transformation de l’eau gazeuse en petites gouttes, puis en nuages. Ces derniers peuvent réfléchir la chaleur issue du Soleil, et ainsi refroidir la Terre.
Par contre, il faut remarquer qu’une inversion du champ magnétique ne nuirait probablement pas à la vie sur Terre, contrairement à ce qu’affirment certains complotistes.
Pour preuve, le phénomène a déjà eu lieu à de nombreuses reprises dans le passé (environ quatre à cinq inversions par million d’années ont été détectées au cours des dix derniers millions d’années. La dernière inversion en date, celle de Brunhes-Matuyama, est survenue il y a environ 780.000 ans. Notons que ce phénomène est de mieux en mieux compris, et peut même être reproduit en laboratoire) et le développement de la vie n’en a été que très faiblement affecté. À titre d’exemple, il ne semble exister aucun lien entre ces dernières et les extinctions d’espèces au cours des temps géologiques. Certes, certains animaux qui utilisent le champ magnétique terrestre durant leur migration, tels certains animaux, les baleines ou encore les tortues marines, pourraient être un peu perturbés, mais pas beaucoup du fait que l’inversion du champ magnétique est un processus lent, dont la durée est de l’ordre de plusieurs milliers d’années, leur laissant donc le temps de s’adapter.
D’autre part, un faible champ magnétique n’aurait pas que des effets négatifs. En effet, chaque nuit serait animée par de magnifiques aurores, du fait qu’un nombre plus important de particules entreraient en contact avec notre atmosphère.
Quand une telle inversion pourrait-elle avoir lieu ? Les inversions ne sont généralement pas prévisibles mais au vu de l’évolution de l’intensité du champ magnétique (Figure 3), cette inversion pourrait survenir dans environ 1.500 ans, en supposant que le déclin se poursuive de la même manière. Il est toutefois important de noter qu’une diminution de l’intensité du champ magnétique ne résulte pas toujours en une inversion des pôles magnétiques, mais peut simplement être la signature d’une simple « excursion » du champ magnétique au terme de laquelle le champ magnétique reprend son amplitude initiale. Trois satellites faisant partie de la mission Swarm ont été lancés dans le but d’approfondir nos connaissances sur les variations temporelles et spatiales du champ magnétique terrestre, ce qui permettra de mieux prédire une éventuelle « date d’inversion ».
Fig. 3 : Évolution de l’intensité du champ magnétique terrestre au cours du temps. Source : British Geological Survey.
La mission Swarm
Swarm (essaim en français) est une mission comprenant trois satellites spatiaux identiques, lancés le 22 novembre 2013 depuis la base de lancement de Plessetsk, en Russie. Ces satellites, placés en orbite polaire (une orbite polaire est telle que les satellites spatiaux survolent les pôles de la Terre avec une période d’environ 100 minutes), se déplacent de manière particulière : deux voyagent ensemble, quoique séparés par 160 km, à la même altitude de 450 km, tandis que le troisième orbite à une altitude plus élevée, environ 530 km (Figure 5).
Ensemble, ils étudieront pendant quatre ans la direction, la force, ainsi que les variations du champ magnétique de la Terre, dans le but d’en dresser une carte précise. Cela permettra de mieux comprendre comment le champ magnétique terrestre est généré.
Fig. 4 : Vue d’artiste des satellites de la mission Swarm.
Source : ESA.
Fig. 5 : Vue d’artiste des orbites finales des satellites de la mission Swarm.
Source : ESA.
En conclusion
Le champ magnétique terrestre engendré au coeur de la Terre est d’une importance cruciale du fait qu’il nous protège contre des agressions en provenance de l’espace.
L’intensité de ce champ magnétique est toutefois en train de décroître, ce qui pose la question d’un éventuel renversement des pôles magnétiques à venir, et des conséquences que cela peut amener, que sont un réel danger pour les astronautes qui seraient directement soumis à un important flux de particules énergétiques, une exposition à un flux élevé de rayons ultraviolets nocifs en provenance du Soleil et à un flux de matière de haute énergie pour les êtres restés sur Terre, une perturbation du réseau électrique, et une légère modification du climat. Par contre, une inversion du champ magnétique n’aurait pas que des effets négatifs, et un nombre plus important d’aurores serait observable.
Trois satellites faisant partie de la mission Swarm ont été lancés dans le but d’étudier le champ magnétique de la Terre avec une précision jamais égalée jusqu’à présent. Cette mission apportera des informations inédites, permettant de mieux comprendre ce bouclier extraordinaire qu’est le champ magnétique terrestre.
yogaesoteric
27 janvier 2020
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