La Quête à la Licorne
Un documentaire de Emmanuel Laurent :
Dans le Dictionnaire des symboles (1969, version revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, « la licorne médiévale est un symbole de puissance qu’exprime essentiellement la corne, mais aussi de faste et de pureté. »
Nous retrouvons ces vertus dans la Chine ancienne, où la licorne est l’emblème royal et symbolise les vertus royales. Lorsque celles-ci se manifestent, la licorne apparaît : ainsi sous le règne de Chouen. C’est par excellence, l’animal de bon augure. Toutefois la licorne concourt à la justice royale, en frappant les coupables de sa corne. La licorne combat aussi conter le soleil et l’éclipse ; elle les dévore.
La danse de la licorne est une réjouissance fort prisée en Extrême-Orient, à la fête de la mi-automne. Mais la licorne paraît n’être alors qu’une variante du dragon, autre symbole royal, mais surtout maître de la pluie. La lutte contre le soleil, qui est responsable des sécheresses calamiteuses, pourrait expliquer ce rapprochement. Comme le dragon, la licorne a pu prendre naissance dans la contemplation des nuages, aux formes innombrables, mais toujours annonciateurs de la pluie fertilisante.
La licorne symbolise aussi, avec sa corne unique au milieu du front, flèche spirituelle, rayon solaire, épée de Dieu, la révélation divine, la pénétration du divin dans la créature. Elle représente dans l’iconographie chrétienne la Vierge fécondée par l’Esprit Saint. Cette corne unique peut symboliser une étape sur la voie de la différenciation : de la création biologique (sexualité) au développement psychique (unité a-sexuelle) et à la sublimation sexuelle. Cette corne unique a été comparée à une verge frontale, à un phallus psychique : le symbole de la fécondité spirituelle. Aussi est-elle, en même temps, le symbole de la virginité physique. Des alchimistes voyaient dans la licorne une image de l’hermaphrodite ; il semble que ce soit un contresens : au lieu de réunir la double sexualité, la licorne transcende la sexualité. Elle était devenue au Moyen Âge le symbole de l’incarnation du Verbe de Dieu dans le sein de la Vierge Marie.
Bertrand d’Astorg dans Le Mythe de la dame à la licorne (Paris, 1963) a renouvelé l’interprétation du symbole, en le rattachant aux conceptions médiévales de l’amour courtois. Il décrit d’abord sa vision de poète : « C’était une licorne blanche, de la même taille que mon cheval, mais d’une foulée plus longue et plus légère. Sa crinière soyeuse volait sur son front ; le mouvement faisait courir sur son pelage des frissons et flotter sa queue épaisse. Tout son corps exhalait une lumière cendrée ; des étincelles jaillissaient parfois de ses sabots. Elle galopait comme pour porter haut la corne terrible où des nervures nacrées s’enroulaient en torsades régulières ». Puis il voit dans la licorne le type des grandes amoureuses, décidées à refuser l’accomplissement de l’amour qu’elles inspirent et qu’elles partagent. La licorne est douée du mystérieux pouvoir de déceler l’impur, voire même la moindre menace d’altération dans l’éclat du diamant : lui est connaturelle toute matière en son intégrité. De tels êtres « renoncent à l’amour par fidélité à l’amour et pour les sauver d’un dépérissement inéluctable » (Yves Berger). Meure l’amour, pour que vive l’amour. Ici s’opposent la lyrique du renoncement à la lyrique de la possession, la survivance de la jeune fille à la révélation de la femme. Le mythe de la licorne est celui de la fascination que la pureté continue à exercer sur les cœurs les plus corrompus.
P. H. Simon a parfaitement synthétisé la valeur du symbole : Qu’elle soit, par le symbole de sa corne qui sépare les eaux polluées, détecte les poisons et ne peut être touchée impunément que par une vierge, l’emblème d’une pureté agissante, ou que, chassée et invincible, elle ne puisse être capturée que par la ruse d’une jeune fille qui l’endort du parfum d’un lait virginal, toujours la licorne évoque l’idée d’une sublimation miraculeuse de la vie charnelle et d’une force surnaturelle qui émane de ce qui est pur.
Sur de nombreuses œuvres d’art, sculptées ou peintes, figurent deux licornes affrontées, qui semblent se livrer un farouche combat. On y verrait l’image d’un violent conflit intérieur entre les deux valeurs que symbolise la licorne : sauvegarde de la virginité (la corne unique levée vers le ciel), fécondité (sens phallique de la corne). L’enfantement sans la défloration, tel pourrait être le désir, contradictoire sur le plan charnel, qui s’exprime par l’image des licornes affrontées. Le conflit n’est surmonté, la licorne n’est féconde et apaisée, qu’au niveau des relations spirituelles.
Dans la sixième et dernière tapisserie de la célèbre série du musée de Cluny, intitulée La Dame à la Licorne, la jeune femme, qui se dépouille de ses bijoux, est sur le point d’être absorbée par la tente, symbole de la présence divine et de la Vacuité. L’inscription qui surmonte la tente, A mon seul désir, signifie que le désir de la créature se confond avec celui de la volonté qui la dirige. Dans la mesure où notre existence est un jeu divin, notre part devient libre et active, lorsque nous nous identifions au marionnettiste qui nous crée et nous dirige. Alors, le soi se dissout pour faire place au Grand Soi, sous la tente cosmique reliée à l’étoile polaire. La Dame, par sa grâce et sa sagesse (Sophia-Shakti- Shekinah, c’est-à-dire : celle qui est sous la tente) autant que par sa pureté, pacifie les animaux antagonistes du Grand Oeuvre le lion qui symbolise le soufre, et la licorne, le mercure. Souvent, la Dame est assimilée au Sel philosophal. Elle est très proche de la parèdre d’Hevajra dont le nom signifie celle est qui est sans ego. La corne dressée de la licorne, qui symbolise la fécondation spirituelle et qui capte le flux de l’énergie universelle, est en accord avec le symbolisme axial de la tente, prolongé par une pointe avec le symbolisme des deux lances, de la coiffure de la Dame et de sa suivante, surmontées d’une aigrette, et des arbres qui célèbrent les noces mystiques de l’Orient et de l’Occident (le chêne et le houx répondant à l’oranger et à l’arbre à pain). Les armoiries, de gueules à la bande d’azur chargée de trois croissants montant d’argent suggèrent que ces tapisseries ont pu être commandées par le prince Djern, fils infortuné de Mahomet II, le conquérant de Constantinople. L’idéal de ce Prince, longtemps captif dans la Creuse où furent retrouvées ces œuvres, ne consistait-il pas à réunir la Croix et le Croissant ? L’île ovale qui supporte la scène est découpée comme un lotus, symbole de l’épanouissement spirituel. Quant au petit singe assis devant la Dame, il désigne l’alchimiste en personne, le « singe de nature » veillant sur sa maîtresse, qui peut être assimilée à la Materia Prima.
La licorne figure dans maintes planches de traités alchimiques (Lombardi, Lambsprinck, Mylius, etc.). Cette bête fabuleuse d’origine orientale, liée au troisième œil et à l’accès au Nirvana, au retour au centre et à l’Unité, était toute destinée à désigner aux hermétiques occidentaux le chemin vers l’or philosophal – vers la transmutation intérieure qui s’effectue lorsque l’androgyne primordial est reconstitué. en Chine, le nom de la licorne, Ki lin, signifie yin-yang.
yogaesoteric
7 juillet 2020
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