Le COVID-19 est synonyme de prospérité pour le Pentagone
par Mandy Smithberger
En réponse à la pandémie de Covid-19, Washington a initié la plus grande dépense de son histoire. Dans le processus, on pourrait supposer que la propagation sans précédent de la maladie aurait conduit à une petite remise en question de tous les milliers de milliards de dollars que le Congrès a donnés au Pentagone au cours de ces années et qui ne nous ont en rien rendus plus sûrs ou mieux préparés à répondre à cette menace prévisible pour la sécurité nationale américaine. Il se trouve cependant que, même si le reste d’entre nous reste menacé par le coronavirus, le Congrès a remarquablement bien réussi à vacciner le ministère de la défense et les fabricants d’armes qui dépendent financièrement de lui.
Il y a, bien sûr, une histoire frappante ici. Le réflexe de Washington de donner la priorité aux intérêts des entrepreneurs de la défense a conduit à accorder remarquablement peu d’attention à la santé publique et à la sous-financer de manière significative. Aujourd’hui, les Américains en paient le prix. Avec ces crises sanitaires et économiques qui se déroulent sous nos yeux et la réponse du gouvernement si visiblement incompétente et inadéquate, on pourrait s’attendre à ce que le Congrès commence à reconsidérer son approche stratégique pour rendre les Américains plus sûrs. Mais ce n’est pas le cas. Washington continue de fonctionner comme il l’a toujours fait, remplissant les coffres du Pentagone comme si la « sécurité nationale » n’était rien d’autre qu’une question de guerres et encore de guerres.
Mois après mois, le coût du gaspillage d’argent en armement et autres dépenses militaires augmente, tandis que les salaires des entrepreneurs de la défense continuent d’être gonflés aux frais des contribuables, tandis que les ressources de santé publique sont privées de soutien financier. Pendant ce temps, au Congrès, les deux partis continuent généralement à défendre les budgets excessifs du Pentagone au milieu d’une catastrophe économique de premier ordre causée par le Covid-19. Une telle approche signifie que les géants de l’armement continueront à prendre des fonds aux agences bien mieux préparées à prendre la tête de la lutte contre cette crise.
Il existe de nombreuses façons de réduire le budget du Pentagone pour que les Américains soient plus en sécurité et mieux protégés contre les futures pandémies. Comme l’a souligné le groupe de travail sur la défense durable du Center for International Policy, les plus grands défis auxquels nous sommes actuellement confrontés, au niveau mondial – y compris de telles pandémies – ne sont pas, en fait, de nature militaire. En vérité, des centaines de milliards de dollars pourraient être réduits avec une facilité remarquable des dépenses militaires américaines et les Américains seraient beaucoup plus en sécurité.
Certains membres du Congrès ont commencé à se pencher sur ce point précis. Le représentant Ro Khanna (Démocrate-Californie), par exemple, a proposé de détourner l’argent de la « modernisation » inutile des missiles balistiques intercontinentaux vers la recherche sur les coronavirus et les vaccins. Le sénateur Bernie Sanders (Indépendant-Vermont) est allé plus loin, suggérant une réduction de 10 % du budget du Pentagone, tandis que la représentante Barbara Lee (Démocrate-Californie), seule membre du Congrès à avoir voté contre la résolution de guerre de l’après-11 septembre qui a conduit à l’invasion de l’Afghanistan, est allée encore plus loin, demandant la réduction de 350 milliards de dollars de ce budget.
Mais comptez sur une chose : ils ont rencontrer beaucoup de résistance. En effet, on ne saurait trop insister sur le fait que les commissions du Congrès qui supervisent ces dépenses sont redevables aux entrepreneurs de la défense qui tirent profit du budget du Pentagone et sont sous leur influence. Comme Politico l’a rapporté il y a quelques années (et cela n’a guère changé), les membres de la commission des services armés de la Chambre des représentants sont les principaux bénéficiaires des contributions de campagne de l’industrie de la défense. Même le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre, qui devrait défendre le renforcement de la diplomatie américaine, a été critiqué pour le soutien important qu’il reçoit de l’industrie de la défense.
Se concentrer sur des armes qui ne peuvent pas combattre un virus
Les entreprises du secteur de la défense ont toujours vu ces investissements porter leurs fruits. Comme l’a souligné mon collègue du Project on Government Oversight, Dan Grazier, malgré les avertissements répétés d’organismes de surveillance indépendants et de professionnels de la santé, même les soins de santé militaires ont été considérablement sous-financés, tandis que le Pentagone et le Congrès continuent de donner la priorité à l’achat d’armes plutôt qu’à la prise en charge de nos hommes et femmes en uniforme. Le chien de garde du Congrès, le Government Accountability Office, a averti en février 2018 que le système de santé du Département de la Défense (DOD) n’avait pas la capacité de gérer les besoins courants, et encore moins les urgences en temps de guerre. Alors que les dépenses du Pentagone n’ont cessé d’augmenter au cours des 20 dernières années, le financement des soins de santé militaires est resté largement stable.
Dans ces circonstances, je ne pense pas que vous serez surpris d’apprendre que le Congrès a également inscrit des cadeaux supplémentaires aux entreprises d’armement dans ses projets de loi d’aide aux victimes du coronavirus. Bien que la loi CARES autorise des milliers de milliards de dollars de dépenses, ProPublica a découvert une disposition (presque identique à celle proposée par les groupes industriels) qui permet aux entreprises de défense de facturer au gouvernement une série de coûts destinés à les maintenir dans un état « prêt ». La responsable des acquisitions au Pentagone, Ellen Lord, a estimé (modestement d’ailleurs) que cette disposition coûterait aux contribuables des « milliards à deux chiffres ». Un langage supplémentaire proposé dans le projet de loi d’aide de la Chambre des représentants ont augmenter encore ces profits en incluant des frais que ces entreprises prétendent être liés à la crise actuelle, notamment pour la rémunération des cadres, le marketing et les ventes.
Dans un tel contexte, il n’est guère surprenant que, lors d’une audition à la Commission des services armés de la Chambre des représentants sur la manière dont le ministère de la Défense répond à la crise du Covid-19, l’accent soit resté largement mis sur la manière dont l’épidémie mondiale pourrait diminuer les profits de l’industrie de l’armement. Les représentants Joe Courtney (Démocrate-Connecticut) et Mac Thornberry (Républicain-Texas) ont tous deux fait valoir que le Pentagone aurait besoin d’encore plus d’argent pour couvrir les coûts d’un certain nombre de frais que les entrepreneurs de la défense prétendent être liés à la pandémie.
Le plus ridicule est l’idée qu’une agence ait reçu plus de 700 milliards de dollars en 2020 ne puisse pas se permettre de perdre quelques milliards de dollars pour la santé réelle des Américains. Bien sûr, le Pentagone est resté stratégiquement muet plus tôt cette année lorsque, d’une manière sans doute inconstitutionnelle, la Maison Blanche a détourné 7,2 milliards de dollars de ses fonds pour la construction du « grand, grand mur » du président à notre frontière sud. En fait, le général Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées, a même admis que ce n’était pas exactement un coup dur pour l’agence gouvernementale disposant du plus gros budget discrétionnaire. « Ce n’était pas un impact significatif, immédiat, stratégique et négatif sur la défense globale des États-Unis d’Amérique », a-t-il assuré au Congrès. « C’est la moitié d’un pour cent du budget global, donc je ne peux pas en bonne conscience dire que c’est significatif, immédiat, ou que le ciel nous tombe sur la tête. »
Cependant, le Congrès, qui a la frousse, ne considère pas qu’il soit aussi crucial de prélever davantage de fonds sur le budget du Pentagone pour renforcer les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) que d’approuver, par exemple, l’Initiative de dissuasion du Pacifique, une caisse noire qui fera partie de la nouvelle guerre froide de ce pays avec la Chine – en commençant par un modeste capital de départ de 1,4 milliard de dollars, pendant que l’on fait le nécessaire pour justifier 5,5 milliards de dollars supplémentaires l’année prochaine. De même, même dans un moment aussi désastreux sur le plan économique, qui pourrait s’opposer à l’achat d’un plus grand nombre de chasseurs d’attaque interarmées F-35 de Lockheed Martin, toujours en difficulté et d’un coût stupéfiant, que celui demandé par le Pentagone ? Un soutien comparable existe, même parmi les sénateurs peu enclins à donner encore plus d’argent à des Américains désespérément au chômage, pour la Space Force du président, ce nouveau service qui est en train de se créer un ensemble de règles distinctes qui devraient lui permettre d’avoir le champ libre pour ses dépenses futures. Cela révèle, bien sûr, sa véritable mission : permettre aux entrepreneurs de profiter plus facilement du contribuable.
En fait, la principale critique du Congrès à l’égard du Pentagone est qu’il a été trop lent à faire sortir l’argent par la porte. Et pourtant, dans une institution qui n’a jamais été auditée avec succès, les signaux d’alarme sont légion, comme le suggère une récente évaluation des principaux programmes d’armement par le Government Accountability Office. Les coûts de ces nouveaux systèmes d’armes ont augmenté de 54 %, soit 628 milliards de dollars, par rapport aux évaluations précédentes du GAO. Cela représente, soit dit en passant, près de 90 fois la demande de budget de cette année pour les CDC.
Et ce n’est que le gaspillage. Le même rapport montre qu’un grand nombre de systèmes d’armes continuent d’échouer dans d’autres domaines. Sur les 42 programmes majeurs examinés, 35 présentaient une sécurité insuffisante pour prévenir les cyberattaques. Le programme de sous-marins nucléaires de General Dynamics Electric Boat, d’une valeur de 126 milliards de dollars, est affecté par des défauts de soudure depuis deux ans. Le nouveau porte-avions de classe Ford, construit par Huntington Ingalls pour 13,2 milliards de dollars, comprend un système de lancement General Atomics qui ne parvient toujours pas à lancer les avions comme prévu. En outre, comme l’a rapporté Bloomberg, les toilettes du navire se bouchent fréquemment et ne peuvent être nettoyées qu’avec des acides spécialisés qui coûtent environ 400.000 dollars par chasse. Comme l’a souligné mon collègue Mark Thompson, « l’escalade des coûts, les calendriers explosés et les armes incapables de fonctionner comme prévu » sont la norme, et non l’exception, pour le Pentagone.
Ce bilan est en effet troublant, étant donné que le Congrès se tourne maintenant vers le Pentagone pour qu’il prenne la tête de la réponse de notre pays à la pandémie. Les résultats obtenus par le Pentagone dans les « guerres éternelles » de l’Amérique au cours des vingt dernières années devraient inciter à s’interroger sur l’idée même de le positionner en tant qu’agence principale pour résoudre les crises de santé publique nationales ou promouvoir la reprise économique du pays.
Une surveillance défaillante
Les structures de surveillance conçues pour prévenir le gaspillage, la fraude et les abus en matière de dépenses de défense s’effondrent littéralement sous nos yeux. Si l’on combine une surveillance affaiblie, des priorités faussées et un budget du Pentagone qui continue d’augmenter, on crée potentiellement la tempête parfaite pour dilapider les ressources nécessaires pour répondre à notre crise actuelle.
L’érosion du contrôle du budget du Pentagone a été un désastre qui s’est lentement construit, administration par administration, en particulier avec l’affaiblissement continu de l’autorité des inspecteurs généraux. En tant que chiens de garde fédéraux indépendants, les procureurs généraux sont censés surveiller l’exécutif et rendre compte de leurs conclusions à la fois à celui-ci et au Congrès.
Dans l’administration Obama, cependant, leur pouvoir a été sapé lorsque le Bureau du conseiller juridique, l’expert juridique de la Maison Blanche, a commencé à faire valoir que l’accès au « tout » dans « tous les dossiers, rapports, audits, examens, documents, papiers, recommandations ou autres matériels » ne signifiait pas réellement « tout» lorsqu’il s’agissait des inspecteurs généraux. Sous la présidence de Donald Trump, le même bureau a généralement affirmé que l’inspecteur général de la communauté du renseignement de l’époque, Michael Atkinson, n’avait pas le pouvoir de transmettre aux commissions du renseignement de la Chambre et du Sénat une préoccupation selon laquelle le président avait retenu de manière inappropriée l’aide à l’Ukraine.
En fait, au cours des années Trump, de tels chiens de garde ont été éliminés en grand nombre. Peu après que l’inspecteur général adjoint principal du Département de la défense, Glenn Fine, a été nommé à la tête du comité de responsabilité de la réponse à la pandémie, par exemple, le président l’a démis de ses fonctions. Non seulement cela a affaibli l’autorité de l’organe chargé de superviser des milliers de milliards de dollars de dépenses dans l’ensemble du gouvernement fédéral, mais cela a également mis en péril l’indépendance et le poids du chien de garde du Pentagone lorsqu’il s’agissait de milliards déjà dépensés par le Département de la défense.
De la même manière, l’administration Trump s’est efforcée de contrecarrer la capacité du Congrès à exercer son rôle constitutionnel de surveillance. Quelques mois après l’entrée du président dans le bureau ovale, la Maison Blanche a temporairement ordonné aux agences de l’exécutif d’ignorer les demandes de contrôle des démocrates du Congrès. Depuis lors, l’obstruction du Congrès n’a fait qu’augmenter. Mark Meadows, le dernier chef de cabinet du président, aurait, par exemple, mis en place une nouvelle règle garantissant que les témoins de l’exécutif ne peuvent pas se présenter devant le Congrès sans son autorisation. Ces dernières semaines, cette règle a été invoquée pour empêcher le secrétaire d’État Mike Pompeo de justifier sa dernière demande de budget ou de répondre à des questions sur les raisons de la révocation de l’inspecteur général de son département. (Il aurait, entre autres, enquêté sur Pompeo lui-même.) Pendant ce temps, le secrétaire à la défense Mark Esper et le président des chefs d’état-major Mark Milley ont tous deux résisté aux appels du Congrès à répondre aux questions sur l’utilisation de la force militaire contre des manifestants pacifiques.
Le Congrès dispose d’un certain nombre d’outils pour exiger des réponses du Pentagone. Malheureusement, les commissions qui supervisent cette agence ont rarement fait preuve de la volonté de les utiliser. Le 2019, cependant, le député Ruben Gallego (Démocrate-Arizona) a ajouté un amendement à un projet de loi sur la défense limitant les fonds pour les voyages du secrétaire à la défense jusqu’à ce que son département produise un rapport sur les mesures disciplinaires prises après que des troupes américaines ont été malmenées au Niger en 2018 et que quatre d’entre elles sont mortes.
Cet incident tragique nous a également rappelé que le Congrès n’a guère assumé la responsabilité des coûts des conflits sans fin dans lesquels l’armée américaine s’est engagée sur une grande partie de la planète. Bien au contraire, il continue de ne pas modifier l’autorisation de recours à la force militaire de 2001, ou AUMF, dont trois administrations ont abusé pour justifier la conduite de guerres depuis lors. Le Congressional Research Service estime qu’elle a été utilisée de cette manière au moins 41 fois dans 19 pays. Selon le projet Costs of War de l’université Brown, ce nombre devrait être de 80 pays dans lesquels les États-Unis se sont engagés dans des activités antiterroristes depuis 2001.
Et il y a significativement plus de signes d’avertissement dans ce moment Covid-19 que la surveillance du Congrès, longtemps absente dans l’action, est nécessaire plus que jamais. (La réponse de Trump, assez classiquement, a été « Je serai la surveillance. ») Typiquement, parmi les billions de dollars que le Congrès a mis en place pour répondre à l’effondrement économique induit par la pandémie, 10,5 milliards de dollars ont été mis de côté pour que le Pentagone joue un rôle de premier plan dans la gestion de la crise. Comme l’a rapporté le Washington Post, ces fonds sont allés en premier lieu à la dotation en personnel des terrains de golf, aux tubes de missiles des sous-marins et aux installations de lancement spatial, ce qui est normal pour le Département de la défense.
La mise en œuvre de la loi sur la production de défense a également trahi un sens bizarre des priorités au cours de ces mois. Cette loi, adoptée en réponse à la guerre de Corée, a été conçue pour aider à combler les pénuries de marchandises en cas d’urgence. En 2020, cela aurait certainement dû signifier plus de masques et de respirateurs. Mais comme l’a rapporté Defense One, cette loi a plutôt été utilisée pour renflouer les entreprises de défense, dont certaines ne gardaient même pas leurs employés. General Electric, qui avait licencié 25 % de ses effectifs, a reçu 20 millions de dollars pour développer ses « techniques de fabrication avancées », entre autres choses sans rapport avec le coronavirus. Spirit Aerosystems, qui a reçu 80 millions de dollars pour développer sa fabrication nationale, a également licencié ou mis au chômage technique 900 travailleurs.
Alors que les Américains sont accablés par la pandémie, le Pentagone et ses partisans exploitent l’urgence pour remplir leurs propres nids. Des protections beaucoup plus fortes contre un tel comportement sont nécessaires et, bien sûr, le Congrès devrait reprendre ce qui lui revient de droit en vertu de la Constitution, y compris sa capacité à mettre fin aux guerres illégales et à récupérer le pouvoir de la bourse. Il est plus que temps pour cet organe d’annuler le chèque en blanc qu’il a donné au Pentagone et à la Maison Blanche.
yogaesoteric
10 juin 2021