Les autels de la conformité
Parmi tous les néo-paganismes qui nous entourent et nous proposent ou nous imposent leurs idoles, il en est un plus insidieux que les autres : le culte de la conformité.
Votre véhicule personnel est-il conforme ? Le contrôle technique vient sanctionner périodiquement cette conformité sur x points de test. Certains sont de bon aloi, pour tenter d’interdire de circuler à des véhicules qui se révéleraient dangereux pour d’autres usagers de la route. Mais des asymétries existent : un vieux véhicule de petite taille dégagera moins de CO2 que certaines grosses cylindrées récentes et gourmandes en carburant. Pourtant, c’est le petit véhicule qui subira l’anathème et sera interdit de séjour dans certaines métropoles.
Dans les affaires aussi, et principalement dans le monde de la banque/finance/assurance, la conformité réglementaire est, depuis le scandale Enron et ses successeurs, un vrai sujet. Une chance, aussi : des prestataires en tout genre se gavent en outils et prestations pour que le message de la conformité puisse être assené avec vigueur. Il en va de même avec la conformité normative qui accompagne la qualité depuis l’émergence de ce concept à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. La certification des états financiers relève de la même démarche. Cela revient toujours à afficher le bon point obtenu d’un tiers payé par les deniers de l’entreprise elle-même. Le cynique désabusé y verra beaucoup d’hypocrisie et déplorera les effets d’annonces de la forêt des tricheurs qui cache les arbrisseaux des quelques rares sérieux et leurs efforts sincères. Tous sont conformes, mais au prix de quelles contorsions ? Des confessionnaux des entreprises s’échappent parfois de retentissants scandales.
Et il y a seulement quelques mois, nous avons nous-mêmes été appelés à nous conformer à cet outil de contrôle social qu’est la carte de santé. Il y a donc les élus, ceux qui ont accepté d’obéir à l’ordre de participer à un test de vaccination ou de se tester eux-mêmes si nécessaire, et les marginaux, les rebelles, les dissidents, les parias. Un nouveau type d’apartheid a été mis en place pour punir ceux qui ne s’y pliaient pas. Ce culte a aussi un clergé, le mauvais avec la menace de punition (vaccination sous la menace de deux policiers, réduction de la pension) et le bon avec la promesse d’un retour à l’ancienne vie comme un paradis.
Demain, ce pourrait être plus sophistiqué. Votre note au crédit social chinois pourrait être établie suivant des critères objectifs. Vous gagnerez sans doute des points en aidant les pauvres ou vos vieux parents, en donnant votre sang, en restant solvable, en approuvant le gouvernement sur les réseaux sociaux, en vous investissant dans du caritatif. Vous en perdrez peut-être si vous critiquez le gouvernement, diffusez des rumeurs, participez à un culte, trichez à un jeu en ligne, conduisez en état d’ébriété ou traversez en dehors des clous. Suivant votre note, vous obtiendrez des carottes (passe-droits, coupe-files, priorités diverses, accès au crédit, rabais d’impôts ou sur des tarifs publics) ou des coups de bâton (exclusion de services sociaux ou publics, de la fonction publique, de certains transports collectifs, limitation de l’accès au crédit, stigmatisation publique). Une virtus mesurée en temps réel par algorithme.
Il y a quelques années, Emmanuel Toniutti concluait un événement organisé par Fidal sur l’éthique et la conformité, et il a singulièrement élevé le débat. Il nous a dit que la conformité, c’est blanc ou noir, alors que l’éthique, c’est des nuances de gris. Que l’éthique est un point d’équilibre entre le courage et la prudence. Que nous nous levons tous les matins avec la peur de mourir et l’envie d’être aimé. Que sous stress, toute décision est émotionnelle. Qu’il importe de maîtriser nos émotions et de rechercher la vérité.
La conformité n’est pas le synonyme du bien. Il faut abattre ses autels comme ceux d’idoles factices (c’est un pléonasme).
yogaesoteric
24 mai 2022