Les États-Unis fournissent une aide militaire à 73 % des dictatures dans le monde (1)
Pendant des décennies, les médias gouvernementaux et privés ont répété à maintes reprises que les actes de guerre ordonnés par leur président étaient largement motivés par la nécessité de contrer les actes d’agression ou d’oppression des « dictateurs maléfiques ». On nous a dit qu’il fallait envahir l’Irak parce que Saddam Hussein était un dictateur diabolique. Il fallait bombarder la Libye parce que Mouammar Kadhafi était un dictateur maléfique, désireux d’organiser un « bain de sang » sur son propre peuple. A présent, bien sûr, on nous dit qu’il faut soutenir les insurgés en Syrie parce que Bachar al-Assad est un dictateur maléfique, et il faut secouer les gens contre Kim Jong-un de la Corée du Nord et Vladimir Poutine de la Russie parce qu’ils sont eux aussi des dictateurs maléfiques.
Cela fait partie de l’approche plus large et généralement incontestée des grands médias publics selon laquelle les États-Unis mènent les « démocraties occidentales » dans une lutte mondiale pour combattre le terrorisme et le totalitarisme et promouvoir la démocratie.
Une question simple : est-ce vrai ? Le gouvernement américain s’oppose-t-il réellement aux dictatures et défend-il la démocratie dans le monde, comme il l’a répété à maintes reprises ?
La vérité n’est pas facile à trouver, mais les sources fédérales fournissent une réponse: Non. Selon le système d’évaluation des droits politiques de Freedom House dans le monde, il y avait 49 nations dans le monde, en 2015, qui pouvaient être aisément catégorisées comme des « dictatures ». « Depuis l’exercice 2015, la dernière année pour laquelle nous disposons de données publiques, le gouvernement fédéral des États-Unis a fourni de l’aide militaire à 36 d’entre elles, grâce aux impôts des citoyens américains. Les États-Unis soutiennent actuellement plus de 73 pour cent des dictatures mondiales ! »
La plupart des gens politiquement conscients connaissent certains des cas les plus médiatisés, comme les dizaines de milliards de dollars d’aide militaire étatsunienne à la capitale mondiale de la décapitation, la monarchie misogyne de l’Arabie Saoudite et la dictature militaire répressive actuellement au pouvoir en Égypte. Mais les apologistes de la politique étrangère impérialiste de la nation américaine peuvent essayer de rationaliser un tel soutien, arguant que l’Arabie saoudite et l’Egypte sont des exceptions à la règle. Ils peuvent soutenir que les intérêts nationaux plus larges au Moyen-Orient exigent d’oublier temporairement la nature oppressive de ces États particuliers, afin de servir un objectif plus large et pro-démocratique.
Une telle ineptie pourrait être critiquée à bien des égards, bien sûr, en commençant par ses présomptions biaisées quant à ce qui constitue les « intérêts nationaux » des États-Unis. Mais cette enquête sur le soutien des États-Unis aux dictatures dans le monde entier montre que le soutien du gouvernement américain à l’Arabie saoudite et à l’Égypte ne fait aucunement exception à la règle. Ils sont la règle.
Sources et méthodes
Il n’a pas été facile de savoir combien de dictatures dans le monde sont soutenues par les États-Unis. Personne ne semble avoir vraiment compilé ou tenu à jour une liste. Voici comment on a trouvé la réponse :
Étape 1 : Déterminer combien de gouvernements dans le monde peuvent être considérés comme des dictatures
Une définition communément admise d’une « dictature » est un système de gouvernement dans lequel une personne ou un petit groupe possède le pouvoir absolu de l’État, dirigeant ainsi toutes les politiques nationales et les grands actes – laissant le peuple impuissant à modifier ces décisions ou à remplacer ceux qui sont au pouvoir par n’importe quelle méthode, sauf la révolution ou le coup d’État. Il a été examiné un certain nombre de sites Web et d’organisations qui prétendaient tenir des listes des dictatures du monde, mais la plupart d’entre eux étaient soit datés, soit répertoriés seulement en fonction des « pires dictateurs » du monde, soit assortis de limites similaires, ou n’ont pas décrit leur méthodologie. Il a fallut finalement se contenter des rapports annuels de Freedom in the World publiés par Freedom House comme la meilleure source pour fournir une liste complète.
Ce n’était pas tout à fait satisfaisant, car Freedom House a un parti pris résolument pro-étatsunien en faveur de la classe dirigeante. Par exemple, elle qualifie la Russie de dictature. Dans l’introduction de son rapport « La liberté dans le monde » en 2017, elle affirme que « la Russie, dans des manifestations stupéfiantes d’orgueil et d’hostilité, s’est ingérée dans les processus politiques des États-Unis et d’autres démocraties, a intensifié son soutien militaire à la dictature d’Assad en Syrie et a renforcé son occupation illégale du territoire ukrainien ». Un point de vue plus objectif aurait évoqué le fait que les allégations d’ingérence du gouvernement russe dans les élections étatsuniennes n’ont pas été prouvées (à moins que l’on ne soit enclin à prendre au mot certaines agences de renseignement étatsuniennes) ; que la Russie a été sollicitée par le gouvernement syrien reconnu par les Nations unies pour obtenir de l’aide, conformément au droit international (contrairement aux actes d’agression et de soutien à l’insurrection des États-Unis); et reconnaîtrait au moins que toute intervention russe en Ukraine a eu lieu dans le contexte du soutien effronté des États-Unis à un coup d’Etat en Ukraine.
Néanmoins, le rapport de Freedom House semble être le meilleur (voire le seul) indicateur global des droits et libertés politiques couvrant toutes les nations du monde. Il fait appel à une équipe d’environ 130 analystes internes et externes et à des conseillers experts issus des milieux universitaires, des groupes de réflexion et des communautés de défense des droits de l’homme, qui utilisent prétendument un large éventail de sources, y compris des articles de presse, des analyses universitaires, des rapports d’organisations non gouvernementales et des contacts professionnels individuels. Les notes proposées par les analystes sont discutées et défendues lors des réunions annuelles d’examen, organisées par région et auxquelles participent le personnel de Freedom House et un groupe d’experts-conseils. Les notes finales représentent le consensus des analystes, des conseillers et du personnel et sont censées être comparables d’une année à l’autre et d’un pays et d’une région à l’autre. Freedom House admet que, « bien qu’un élément de subjectivité soit inévitable dans une telle entreprise, le processus de notation met l’accent sur la cohérence méthodologique, la rigueur intellectuelle et les jugements équilibrés et impartiaux ».
On peut rester sceptique, mais une considération clé est que le parti pris pro-étatsunien prononcé de Freedom House est en fait un plus pour les besoins de ce projet. Si son équipe d’experts penche vers une perspective pro-gouvernementale, cela signifie qu’il y a de fortes présomptions pour que cette organisation ne catégorise pas les nations soutenues par les États-Unis comme dictatures. En d’autres termes, si même Freedom House qualifie de dictature un gouvernement soutenu par les États-Unis, on peut être assez certain que son évaluation est exacte.
Aux fins de la présente évaluation, il a été utilisé le rapport de Freedom House 2016 Freedom in the World, bien que son rapport de 2017 soit maintenant disponible. Le rapport de 2016 reflète son évaluation des droits politiques et des libertés civiles tels qu’ils existaient en 2015, ce qui correspondrait à peu près aux données sur l’aide militaire et les ventes d’armes disponibles pour l’exercice financier fédéral 2015 (du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015) et pour l’année civile 2015.
Freedom House utilise un système de notation pour évaluer les « droits politiques » et les « libertés civiles » d’une nation, afin de classer chaque pays comme « libre », « partiellement libre » ou « non libre », avec un éventail de notes pour chaque catégorie. Il décrit son système de notation comme suit : « Un pays ou territoire reçoit deux notes (7 à 1) – l’une pour les droits politiques et l’autre pour les libertés civiles – en fonction de ses notes totales pour les questions relatives aux droits politiques et aux libertés civiles. Chaque note va de 1 à 7, 1 représentant le plus grand degré de liberté et 7 le plus petit degré de liberté, correspond à une gamme spécifique de scores totaux. »
Pour décider si une nation pouvait être classée dans la catégorie des « dictatures », on s’est concentré uniquement sur les « droits politiques », en classant les nations avec un score de 6 ou 7 en tant que dictature. Cela ne signifie pas que les libertés civiles n’ont pas d’importance, bien sûr, mais l’objectif ici est d’évaluer le degré d’absolutisme des dirigeants politiques, et non pas la liberté d’expression, de presse, etc. Cependant, un score de 6 ou 7 correspond le mieux à notre définition de la dictature, basée sur la caractérisation de Freedom House :
« 6 – Les pays et territoires notés 6 ont des droits politiques très restreints. Ils sont gouvernés par des dictatures à parti unique ou militaires, des hiérarchies religieuses ou des autocrates. Elles peuvent accorder quelques droits politiques, comme une certaine représentation ou autonomie pour les groupes minoritaires, et quelques-unes sont des monarchies traditionnelles qui tolèrent les discussions politiques et acceptent les pétitions publiques.
7 – Les pays et territoires ayant une cote de 7 ont peu ou pas de droits politiques en raison de l’oppression gouvernementale sévère, parfois combinée à la guerre civile. Ils peuvent également manquer d’un gouvernement central qui fait autorité et qui fonctionne et souffrent d’une violence extrême ou d’un pouvoir exercé par des seigneurs de guerre régionaux. »
S’il peut être discutable de considérer un pays sans « gouvernement central opérationnel » comme une dictature, on dirait que l’étiquette est appropriée si ce pays est gouverné de facto par des seigneurs de la guerre ou des armées ou milices rivales. En fait, cela signifie simplement qu’il est dirigé par deux ou plusieurs dictateurs au lieu d’un seul.
D’après Freedom House, il y avait donc 49 États-nations qui pouvaient être considérés comme des dictatures en 2015, comme suit : Afghanistan, Algérie, Angola, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bélarus, Brunei, Burundi, Cambodge, Cameroun, République Centrafricaine, Tchad, Chine, République démocratique du Congo (Congo-Kinshasa), République du Congo (Congo-Brazzaville), Cuba, Djibouti, Égypte, Guinée équatoriale, Érythrée, Éthiopie, Gabon, Gambie, Iran, Jordanie, Kazakhstan, Laos, Libye, Mauritanie.
Il convient de noter que Freedom House a inclus dans ses évaluations plusieurs autres entités avec un score de 6 ou 7 pour les droits politiques dont le statut d’État indépendant était lui-même contesté : la Crimée, la bande de Gaza, le Cachemire pakistanais, l’Ossétie du Sud, le Tibet, la Transnistrie, la Cisjordanie et le Sahara occidental. Le compte de 49 dictatures dans le monde en 2015 exclut ces territoires étatiques subordonnés ou contestés.
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yogaesoteric
13 octobre 2017