Les expériences au seuil de la mort (1)
Par Alain Moreau
Au milieu des années 1970, le premier ouvrage de Raymond Moody sur les expériences au seuil de la mort (ou expériences de mort imminente : EMI) fut publié aux Etats-Unis. Précisons que les lettres NDE sont les initiales de « Near Death Experiences ».
Raymond Moody
Cette étude portait sur des cas de personnes ramenées à la vie après un état de mort clinique (cœur arrêté, électroencéphalogramme plat). Certaines personnes ont ramené de leur brève incursion dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Au-delà, des souvenirs précis de leur décorporation, ces personnes s’étant trouvées durant ce laps de temps en dehors de leur corps physique.
Après Raymond Moody, de nombreux chercheurs se sont intéressés aux NDE, les pionniers les plus connus étant Kenneth Ring, Michaël Sabom et Melvin Morse.
Les chercheurs qui se sont penchés sur ce phénomène ont dégagé un certain nombre de traits essentiels ou dénominateurs communs à de nombreuses EMI, l’ensemble ayant été dénommé « expérience du substrat » par Kenneth Ring, professeur de psychologie à l’Université du Connecticut. Ces traits essentiels comprennent :
• L’incommunicabilité (ou difficulté à décrire l’expérience vécue).
• L’audition de l’annonce de la mort.
• Des sentiments de paix.
• L’audition de bruits.
• La perception d’un tunnel obscur.
• La décorporation (séparation du corps physique et du corps subtil).
• Le contact avec des personnes désincarnées (parents ou amis décédés, etc.).
• La rencontre avec un Etre de lumière (parfois interprété, selon la tradition religieuse du sujet, comme étant JESUS, DIEU, etc.), ce dernier faisant apparaître le panorama de la vie écoulée du nouveau venu.
• Et, enfin, une sorte de frontière ou limite à laquelle se heurte le sujet avant de revenir dans son corps physique.
I. Critique des théories matérialistes :
On connaît le dogme qui prévaut dans nos sociétés matérialistes à connotation scientiste : la pensée est l’expression du cerveau, et sans cet organe il n’y a pas de conscience possible. Tout phénomène « bizarre » telle qu’une NDE ne peut donc s’expliquer, pour les « rationalistes », que par des composantes chimiques ou neurologiques, l’âme (au sens religieux du terme) étant réputée, dans ces milieux, ne pas exister. Psychiatres, neurologues, spécialistes des neurosciences (qui, pour la plupart, sont des athées notoires), font donc intervenir les hallucinations et diverses théories psychologiques pour éradiquer la composante spirituelle sous-jacente au phénomène.
Pour ceux qui connaissent les phénomènes médiumniques et en particulier les expériences extracorporelles, la nature des NDE est pourtant évidente : il s’agit là de témoignages qui constituent des indices (à défaut de preuves) de la survie de la conscience après la mort. C’est évidemment ma conviction. Les diverses explications matérialistes émises pour rendre compte de ces expériences échouent les unes après les autres, ce qui n’empêche évidemment pas les « rationalistes » de continuer à invoquer, par exemple, telle ou telle substance chimique à l’origine des impressions ressenties.
Je ne donnerai pas, ici, une description détaillée du vécu des « expérienceurs » (témoins NDE), et je ne m’attarderai donc pas à décrire, par exemple, les visons de l’Au-delà rapportées par ces témoins. Je réserve ce sujet à d’autres textes. Mon but, dans ce texte, est de montrer l’inanité des diverses explications matérialistes réductionnistes (de type neurologique, chimique, psychologique) de ce type d’expériences vécues à l’approche de la mort. Je mets donc ici l’accent sur la critique des diverses explications réductionnistes visant à nier la composante spirituelle (qui implique la survie de la conscience après la mort) des EMI.
Commençons par la critique des explications psychologiques et psychiatriques des NDE.
1. Les explications psychologiques et psychiatriques :
Nous pouvons évoquer :
• La dépersonnalisation.
• L’accomplissement imaginaire du désir et les expectatives psychologiques.
• Les rêves.
• Les hallucinations.
• La réminiscence de l’expérience de la naissance.
• Le déni de la réalité.
• La perception auditive d’un malade semi-conscient, l’élaboration consciente ou inconsciente.
• L’inconscient collectif.
• L’hallucination autoscopique.
• L’attente a priori.
• La schizophrénie.
a) La dépersonnalisation :
Selon l’hypothèse de la dépersonnalisation, qui fut soutenue par Noyes et Kletti, les phénomènes associés à la mort imminente seraient des mécanismes de défense du moi visant à isoler l’individu des réalités déplaisantes en lui procurant un refuge de fantasmes et de sensations compensatoires.
Or, la description classique de la dépersonnalisation diffère sur de nombreux points de l’état psychologique des survivants de l’agonie. De plus, on a parfois signalé la perception d’un parent défunt dont l’agonisant ignorait le décès.
Comme l’a noté Kenneth Ring, « Noyes et Kletti semblent victimes de la tendance notoire de la psychologie orthodoxe à abuser d’un logicisme facile ».
b) L’accomplissement imaginaire du désir et les expectatives psychologiques :
La théorie de l’« accomplissement imaginaire du désir », selon laquelle il y aurait transformation de la finalité de la mort en un « voyage apaisant » qui la défie, se heurte par exemple à cette objection : Elisabeth Kübler-Ross a souligné que ce point de vue impliquerait que les enfants en bas âge connaissant une expérience d’agonie, fantasment leur père et mère, lesquels représentent les êtres humains les plus significatifs pour ces enfants. Or, elle a constaté que cela n’arrive jamais, à moins que l’un ou l’autre soit décédé. Ils voient par contre d’autres parents ou des personnages religieux.
Le schéma constant de la NDE chez des gens différents s’oppose aussi à cette interprétation. Les incroyants ou candidats au suicide ont par ailleurs des expériences se déroulant selon le schéma général, alors qu’on pourrait leur attribuer, comme le fait remarquer Kenneth Ring, un désir d’annihilation de la conscience.
Peut-on évoquer des « expectatives psychologiques » ? Non, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, Karlis Osis et Erlendur Haraldsson, par exemple, se sont aperçus que de nombreuses personnes s’attendant à se rétablir « n’en eurent pas moins des visions d’agonie très intenses et ne survécurent pas ».
Ensuite, les narrateurs de Raymond Moody ont souvent fait remarquer à quel point leurs expériences différaient « de ce à quoi ils auraient pu s’attendre, du fait de leur éducation religieuse ». Michael Sabom et Kenneth Ring ont découvert que connaître une « expérience du substrat » ne dépend pas d’antécédents religieux. De plus, les enquêtés ignorant le sujet des NDE « décrivent proportionnellement davantage d’expériences du substrat ».
c) Les rêves et les hallucinations :
Peut-on alors parler de rêves ? Ceci n’est pas possible pour plusieurs raisons. Raymond Moody a noté que les enquêtés relatent ce qui leur est advenu aux approches de la mort, non pas comme on raconte un rêve, « mais de la façon dont on rapporte des faits qui ont réellement eu lieu ». A peu près invariablement, au cours de leur narration, ils « s’interrompaient pour réaffirmer que leur expérience n’était pas un rêve, mais bien décidément, catégoriquement, la réalité ».
Michael Sabom et Kenneth Ring ont découvert que les enquêtés rapportant à la fois des hallucinations et une expérience du substrat « savaient clairement distinguer les unes de l’autre ». Michael Sabom a de même noté que la NDE « est ressentie comme fortement réelle par le sujet aussi bien quand il la vit que, plus tard, quand il y pense ». Enfin, note-t-il, « l’extrême variété du contenu des rêves d’une personne à l’autre contraste avec la constance des schémas de l’expérience aux frontières de la mort ».
d) La réminiscence de l’expérience de la naissance :
L’astronome Carl Sagan a tenté d’expliquer l’expérience du tunnel comme une réminiscence de l’expérience de la naissance. Mais Carl Becker (professeur de philosophie de l’Université de l’Illinois du Sud), après consultation des travaux de pédiatrie, a conclu que la perception infantile est trop pauvre pour voir ce qui se passe pendant la naissance. Les nouveau-nés ne réagissent pas à la lumière, à moins d’un contraste de 70% entre la lumière et l’obscurité. Les travaux de pédiatrie soulignent la faiblesse de la mémoire de l’enfant pour les formes et les structures. De plus il y a une grande différence entre la façon dont a lieu la naissance (tête en bas, coupure du cordon ombilical…) et le climat positif de la plupart des NDE ! Enfin, dans une NDE, l’épisode du tunnel, remarque Raymond Moody, « comporte le plus souvent un déplacement rapide vers une lumière qui brille à l’autre extrémité de ce tunnel » : « Au cours de la naissance, le visage de l’enfant est pressé contre les parois du corps de sa mère. L’enfant n’a pas le regard tourné vers le haut, en direction d’une lumière dont il se rapproche, comme le sous-entend la théorie de Sagan. Compte tenu de la façon dont il est positionné, il ne peut rien voir du monde dans lequel il va arriver ».
Disons-le, la théorie de l’astronome Carl Sagan est farfelue…
e) Le déni de la réalité :
L’explication par le « déni de la réalité », avec production d’un fantasme, sous la forme d’un mécanisme de défense, ne tient pas debout. Les sujets, en effet, ont fondamentalement la même expérience. Comme le fait observer Raymond Moody, si c’était « un simple déni de la réalité, les gens auraient des souvenirs vivaces de tel merveilleux repas entre amis, ou bien s’imagineraient entourés de femmes superbes, plus vraisemblablement que l’impression d’être dans un tunnel et revoir leur vie ». Une NDE se distingue d’un déni de la réalité en ce qu’elle représente un profond changement, et contrairement au déni de la réalité « connu sous le nom de rêve éveillé, qui soulage temporairement de la réalité, la NDE procure un point de départ pour une transformation qui dure toute la vie ».
f) L’inconscient collectif :
La théorie de l’inconscient collectif, appliquée aux NDE, relève aussi du pur « verbiage » et est inapte à expliquer les expériences hors du corps. Parmi les très nombreuses caractéristiques des NDE incompatibles avec un prétendu « inconscient collectif », il y a, bien sûr, les descriptions des scènes perçues (procédures de réanimation, etc.) alors que le sujet est inconscient.
g) L’élaboration consciente ou inconsciente :
Peut-on avoir recours à l’explication faisant intervenir l’élaboration, au moyen des informations auditivement perçues par un malade semi-conscient (présumé à tort inconscient), d’une « image mentale » précise d’évènements en cours ?
Michaël Sabom observe que « la régression sous hypnose de patients placés sous anesthésie générale pendant une intervention chirurgicale importante a réveillé la mémoire de conversations entre les médecins présents et les infirmières, mais pas d’impressions visuelles ». Ce qui s’oppose à l’impression « visuelle » détaillée laissée par la NDE.
Un autre point important est que l’application d’un choc électrique à la poitrine (« cardioversion »), entreprise lors d’une NDE, « est associée à une sensation indolore, agréable, alors que le même choc électrique est un moment nettement désagréable quand le patient qui l’a subi à froid, en état de semi-inconscience, s’en souvient ».
Troisièmement, note Michael Sabom, « plusieurs personnes, lors de leur début d’agonie, ont clairement pu faire la distinction entre leur perception auditive semi-consciente des conversations alentour, et l’apparition ultérieure d’une expérience aux frontières de la mort aux perceptions “ visuelles ” ». Enfin, certains cas ont été rapportés par des gens s’étant trouvés sans connaissance et proches de la mort, alors que personne n’était alors présent à côté d’eux. Impossible, dans ce cas, d’invoquer la perception semi-consciente d’informations verbales…
L’élaboration consciente, c’est-à-dire l’affabulation pure et simple, n’est pas recevable. Par exemple, il est très vite devenu évident à Michael Sabom que les gens racontant leur expérience semblaient sincèrement croire en la réalité de celle-ci « et l’avaient en fait protégée de la moquerie des tiers ». Il n’y a pas eu, ajoute-t-il, une seule expérience décrite « volontairement en vue d’un effet sensationnel ». Michael Sabom a également constaté « l’approfondissement des croyances religieuses, une modification des intérêts professionnels (par exemple : devenir bénévole en hôpital) et un centrage sur des activités plus humanitaires ». Chaque personne attribue ces changements à son expérience, cette dernière revêtant de la sorte « une influence puissante, motivante, pour nombre de ceux qui l’avaient vécue ». Une telle conséquence, par elle-même, « fournissait une preuve indirecte que l’expérience n’était pas une histoire consciemment forgée ».
Enfin, autre argument majeur, les récits se conforment à un scénario-type que l’on retrouve chez des sujets n’ayant pas au préalable eu connaissance des récits semblables d’autres personnes. Au début des recherches sur les NDE, les médias n’avaient pas encore répandu massivement la connaissance du phénomène. Quant aux sujets qui connaissaient celui-ci, « ils remarquaient souvent combien les détails de leur propre expérience différaient de ce que rapportaient les autres ». A cela, il convient d’ajouter la vérification de certains détails cliniques censés avoir été perçus lors de la décorporation (appelée « expérience autoscopique » par Michael Sabom).
Si la NDE était le produit d’une élaboration inconsciente, il faudrait s’attendre « à la voir surgir chaque fois que l’ego de la personne perçoit une menace de mort sérieuse ». Or, ce n’est pas le cas. Des sujets ayant connu plusieurs épisodes où ils ont frôlé la mort ne purent se souvenir que d’une seule expérience. De plus, « l’état critique associé à l’expérience était parfois considéré par le sujet (et indiqué par le dossier médical) comme ayant été le moins dangereux pour la vie (c’est-à-dire que c’était la crise où le sujet avait le moins risqué de mourir) ».
Lisez la deuxième partie de cet article
yogaesoteric
16 septembre 2019