Les Pâques des Blajini – tradition et mystère
de Melania Radu
Dans un épisode de l’épopée médiévale „Alexandrie” on raconte comment Alexandre le Grand, dans son chemin vers l’Est, à la recherche du bout du monde, avait fait un arrêt sur une île située au bord du paradis. Là il avait rencontré Évant, le roi des Blajini (les sages et bienheureux), qui lui avait offert une bouteille d’eau miraculeuse de la vie éternelle. On raconte aussi que les Blajini vivent en réalisant une prière continue, qu’ils ont habité sur la Terre dès les débuts de l’histoire et qu’ils y retourneront à la fin de ce cycle historique de l’humanité, dans l’ère de la sagesse.
Une semaine après Pâques, le lundi qui suit le Dimanche de Saint Thomas, dans l’Est et le Sud de l’Europe, on fête les Pâques des Blajini, un mélange de mythes anciens et de coutumes chrétiennes. Cette journée est appelée aussi le Lundi des Morts, Les Pâques des Morts, Les Petites Pâques, Les Pâques des Rohmani.
Les Blajini, appelés aussi des Rohmani, Uritchi ou Hommes Rouges, sont des êtres mythiques, une représentation des gens primordiaux ou des ancêtres. On dit qu’ils ont participé à la genèse du monde et que depuis, ils soutiennent les piliers de la Terre. Considérés comme les descendants de Seth (le troisième fils d’Adam et d’Eve), les Blajini vivent à la frontière entre le monde visible et le monde invisible ou même sous la terre, dans le Monde de l’Au-delà, au-delà de l’Eau du Samedi (rivière imaginaire, qui surgit des racines du Sapin du Monde, entoure la Terre trois, sept ou neuf fois et se déverse dans le monde de l’au-delà par “Tourbillon de la Terre” (qui est censé se trouver dans la mer qui sépare le monde des vivants de l’empire des morts); celui-ci délimite le monde invisible du monde visible).
Le monde souterrain du monde de l’au-delà est souvent évoqué par les traditions populaires et les contes roumains. La mythologie romaine montre que sous notre terre il existe un autre monde. Il englobe plusieurs mondes, où n’accèdent que les héros populaires, comme le Prince Charmant, qui arrive dans le Pays de la jeunesse sans vieillesse et de la vie sans mort. Dans ces pays, nommés les Javeaux des Blajini ou les Javeaux Blancs, vivent ces hommes saints. La ressemblance avec le monde mystérieux de Shambala est significative.
La plupart des légendes les représentent comme des êtres pleins de compassion, dévoués à Dieu, comme des êtres anciens, avec une croyance plus pure que celles des gens qui vivent actuellement sur la Terre, et qui, à la fin du monde, retourneront sur la Terre. Le nom des Rohmani provient de la langue traque, étant attesté dans une épithète du Chevalier Trac, Zeind-Roymenos, en traduction “Le Saint Lumineux”.
Les Blajini sont des êtres pacifiques, incapables de faire du mal. On croit qu’ils ressemblent aux êtres humains, blonds, plus petits de taille, et qu’ils ont des qualités morales spéciales comme la bonté, la douceur et la simplicité, qui font d’eux de vrais modèles pour les gens. Ils ont une très bonne âme, ils sont croyants, doux et sages. Menant une vie austère, avec des jeûnes sévères, les Blajini prient en permanence pour notre monde, sans rien demander en échange.
La liaison entre les terriens et les Blajini est réalisée, selon la tradition, durant les Pâques des Rohmani, par les coquilles d’œufs que les gens, en étant reconnaissant aux Blajini pour leurs prières et pour leurs bonnes actions, jettent dans des eaux qui coulent le Vendredi Saint ou le Samedi de Pâques. Emportées par les eaux, ces coquilles arriveront dans l’Eau du Samedi et ainsi dans le monde où ces êtres merveilleux vivent, leur annonçant que c’est le moment de fêter Pâques. Les coquilles d’œufs mettent une semaine pour arriver dans le Monde de l’au-delà et ensuite, comme par miracle, elles redeviennent des œufs entiers, avec lesquels les Blajini se nourrissent ; on dit d’eux qu’ils mangent très peu, un œuf étant suffisant pour 12 Blajini. La tradition dit que ces coquilles doivent être jettées dans des “eaux coulantes” seulement par les filles qui ne sont pas encore arrivées à la puberté ou par les vieilles femmes.
Après le festin, les Blajini épousent leurs femmes, et restent ensemble entre 6 et 30 jours, parce que le reste de l’année ils jeûnent et mènent une vie chaste. Leurs femmes sont beaucoup plus croyantes et plus belles que les femmes de la Terre ; en Bucovine on dit à présent aussi d’une fille très belle, qu’elle est une Rohmanitza. Les femmes des Blajini vivent séparément des hommes et ils se rencontrent seulement une fois par an, pendant leurs Pâques, lorsqu’ils peuvent se marier. Les garçons sont élevés par leurs mères jusqu’à ce qu’ils puissent marcher et se nourrir seuls, ensuite ils vont en retraite, avec les hommes adultes.
La fête est aussi une occasion pour commémorer les morts. Pendant cette journée on dépose des offrandes sur les tombeaux, on partage des aumônes, on offre des repas dans les cimetières, à côté de l’église ou sur les champs, les restes de la nourriture étant laissés sur place, pour nourrir l’âme des morts, spécialement de ceux qui n’ont pas eu un enterrement chrétien. On croît que, pendant les Pâques des Blajini les âmes des morts sont libres et peuvent goûter les repas spécialement préparés pour eux et offerts comme aumône.
On croit que les Blajini se réjouissent beaucoup de cette fête et de la liaison qui est ainsi maintenue entre eux et les êtres humains.
Cette année, la méditation de communion avec les Pâques des Blajini sera réalisé lundi, le 16 avril, entre 17h00 et 17h45.
Bibliographie :
M Sadoveanu: “Nuits des fées. Les Pâques des Blajini“, éditions “Minerva”, collection “B.P.T.”, 1980
Dumitru Balaet – La formation des mythes fondamentaux. Aspects du folklore littéraire straroman
dacoromanica.wordpress.com/studii-clasice/23/
yogaesoteric
avril 2007
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