Les pouvoirs de l’esprit

Savez-vous que vous êtes capable de réduire votre perception de la douleur ? Savez-vous que grâce à la technique du neurofeedback, vous pouvez accroître votre empathie envers les autres en stimulant une petite zone derrière vos tempes, l’insula ? Dans son livre « Les pouvoirs de l’esprit », Michel Le Van Quyen, spécialiste de l’épilepsie explique comment il est possible d’apprendre à contrôler ses ondes cérébrales.

Dans son ouvrage en forme de synthèse à la pointe des connaissances, Michel Le Van Quyen détaille les multiples pouvoirs de l’esprit. S’inspirant de ses propres travaux et des résultats de Jon Kabat-Zinn, de Christophe André ou de Francisco Varela, l’auteur donne au lecteur les moyens de devenir acteur de son bien être et de sa guérison.

« Transformer son cerveau, c’est possible ! Il nous appartient juste d’en prendre conscience. Longtemps, les approches “ corps-esprit ” comme la méditation, l’autosuggestion ont été perçues comme ésotériques ou relevant de la seule spiritualité. Or, grâce aux progrès des neurosciences, nous savons que ces pratiques ont une véritable action sur notre cerveau. Chacun de nous peut, par la simple force de la pensée, littéralement transformer cet organe à la fois dans sa structure et dans son fonctionnement le plus intime. Nous avons un pouvoir d’auto-façonnement biologique » résume Michel Le Van Quyen, chercheur à l’Inserm.

Michel Le Van Quyen dirige un groupe de recherche à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Entouré de psychologues, de physiciens et de mathématiciens, ce chercheur étudie la possibilité de « diriger son cerveau ».

Extrait de l’ouvrage : « Les pouvoirs de l’esprit »

« L’imagination seule est suffisante pour renforcer les circuits neuronaux. Répéter mentalement et pratiquer une activité activent les mêmes zones du cerveau – autrement dit, imaginer, c’est faire. »

Chapitre II : Remodeler ses neurones

Un retour à la vie

En 1959, un vieux professeur espagnol émigré aux États-Unis est soudain foudroyé par un accident vasculaire cérébral. Pedro a perdu le contrôle de la moitié de son corps et son visage est complètement paralysé. Il ne peut plus parler. Le pronostic délivré par les médecins est sans appel : le voilà condamné à être paralytique le restant de ses jours avec, probablement, seulement quelques mois à vivre. Pourtant, son fils George, alors jeune étudiant en médecine, refuse de croire que son père est perdu. Il a l’idée saugrenue de lui réinculquer tous les gestes, les uns après les autres, comme s’il s’agissait d’un nouveau-né : il commence par lui apprendre à marcher à quatre pattes – au grand dam des voisins, scandalisés que ce vieux monsieur puisse déambuler dans le jardin comme un chien – puis à se déplacer à genoux et enfin à marcher de nouveau sur ses deux jambes.

C’est ainsi qu’au bout d’un an d’exercices quotidiens Pedro retrouve spectaculairement toutes ses facultés : il parle normalement, rejoue du piano, danse et parvient même à redonner des cours à l’université de New York, à la stupeur de ses médecins. Lorsque Pedro décède plusieurs années plus tard d’une mort naturelle – en l’occurrence, d’une crise cardiaque après avoir escaladé une montagne en Colombie ! –, l’autopsie de son cerveau révèle un phénomène stupéfiant : 97 % des nerfs reliant son cortex cérébral à sa colonne vertébrale avaient été détruits par l’accident vasculaire. L’homme a donc vécu des années avec seulement 3 % de connexions entre son cerveau et le reste de son corps… Cela ne pouvait signifier qu’une chose : grâce à l’entraînement suivi, les quelques neurones qui lui restaient ont été formidablement rééduqués pour remplir toutes les fonctions normales du cerveau.

C’est cette remarquable histoire qui a permis à son deuxième fils, Paul Bach-y-Rita, de découvrir ce que l’on appelle maintenant la neuroplasticité, autrement dit la faculté de notre cerveau à pouvoir se recâbler tout seul après une lésion. Ainsi, même âgé, handicapé, voire amputé de plusieurs lobes, le système nerveux central est à même de se remodeler. D’une manière générale, on sait aujourd’hui que le cerveau voit sa propre structure anatomique se modifier après un entraînement spécifique, de la même façon qu’un entraînement physique façonne notre musculature. L’analogie est toutefois beaucoup plus subtile…

Un prodigieux potentiel de changement

Jusqu’à la fin des années 1970, un dogme central des neurosciences voulait que le cerveau adulte constitue un système précâblé, sans capacité de se modifier. Les techniques modernes de neuro-imagerie ont montré… le contraire ! Au fil de la vie, plus les tissus cérébraux sont sollicités par des actions mais aussi par des pensées ou des émotions, plus ils développent les connexions nécessaires à une fonction donnée. Ainsi, lorsque nous répétons une action, même par la simple imagination, le circuit neuronal correspondant se renforce d’autant, de sorte que la réalisation de cette action va devenir plus facile, plus rapide et plus automatique. En d’autres termes, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, le fonctionnement du cerveau modifie aussi sa structure intime.

L’exemple certainement le plus connu de cette extraordinaire faculté est celui des chauffeurs de taxi londoniens. À bord de ces véhicules, il faut savoir qu’il n’y a ni GPS ni plan, de sorte que ces conducteurs particuliers se doivent de connaître les 25.000 rues et ruelles de Londres par cœur. Pour cela, une formation proprement infernale apprend aux apprentis chauffeurs à se déplacer « les yeux fermés » dans un labyrinthe de voies couvrant un rayon de 10 kilomètres. Et ce n’est qu’à l’issue d’un entraînement intensif de trois ans, à raison de quinze à trente heures par semaine, que les candidats obtiennent dans le meilleur des cas la licence tant convoitée. Se pourrait-il que le cerveau de ces conducteurs en soit transformé ? Au début des années 2000, une étude de l’University College de Londres, menée par Eleanor Maguire, a de fait prouvé que la zone du cerveau responsable de la mémoire spatiale, l’hippocampe, était significativement plus développée chez ces sujets ! Ainsi, leurs cerveaux ont été modifiés par l’acquisition d’un savoir spécifique, et la région concernée a littéralement gonflé de volume après cet apprentissage intensif. En outre, plus le nombre d’heures de pratique est grand, plus la transformation est importante. Fait troublant, même si ces effets s’observent sans ambiguïté après plusieurs années d’entraînement, les premiers changements se manifestent déjà dans le cerveau en quelques heures d’exercice seulement…

La puissance de l’imagination

La neuroplasticité est encore plus puissante, comme l’a dévoilé l’imagerie fonctionnelle cérébrale : dans les années 1990, Alvaro Pascual-Leone, de l’université de Harvard, a étudié les modifications du cerveau lorsque des individus apprennent à jouer d’un instrument de musique, le piano en l’occurrence. Via l’imagerie cérébrale, comme attendu, le chercheur a mis en évidence un plus grand volume pour la zone corticale motrice chez des débutants qui faisaient quotidiennement leurs gammes, et cela après une semaine de pratique seulement. Plus surprenant encore : sur un groupe de sujets qui ne faisaient qu’imaginer le mouvement des doigts sur le piano, une augmentation semblable a été observée. Ainsi, l’imagination seule est suffisante pour renforcer les circuits neuronaux. Répéter mentalement et pratiquer une activité activent les mêmes zones du cerveau – autrement dit, « s’imaginer, c’est faire ».

Ce phénomène est connu depuis longtemps des sportifs qui effectuent un entraînement mental afin d’améliorer leurs performances avant d’importantes épreuves. (…)

La résilience neuronale

Si le cerveau est à même, par la simple force de l’esprit, d’apprendre de nouvelles capacités, l’intérêt est surtout de pouvoir guérir, à la suite d’une lésion cérébrale par exemple.

Ainsi, après un accident vasculaire, lorsque la répétition d’un mouvement est devenue difficile ou, si un membre est immobilisé, la simple représentation mentale de ce mouvement facilite la récupération d’un fonctionnement normal. C’est d’ailleurs par ce biais que certaines personnes ont réappris à vivre normalement avec une partie réduite de leur cerveau.

Voici un exemple extraordinaire d’une telle récupération. Un Marseillais de 44 ans vient consulter le professeur Pelletier à l’hôpital de la Timone pour un trouble de la marche. Son dossier médical nous informe que, tout bébé, il fut victime d’un excès de liquide céphalo-rachidien dans le crâne – de l’hydrocéphalie –, une affection qu’une série d’interventions chirurgicales avaient finis par régler à l’âge de 8 mois. Ensuite, rien de notable : cet homme a mené une vie parfaitement normale, est devenu fonctionnaire, s’est marié, eut deux enfants. Des tests lui attribuent certes un QI de 75, c’est-à-dire légèrement au-dessous de la normale (la moyenne étant située à 100), mais rien d’exceptionnel. Pour mieux comprendre l’origine de ses troubles moteurs, le professeur Pelletier lui fait passer un examen IRM de son cerveau. Ce qu’il voit est proprement sidérant… Le patient n’a (presque) pas de cerveau ! Il n’en reste qu’une fine couche, totalement aplatie et plaquée contre la paroi du crâne par le liquide céphalo-rachidien. Ainsi, ce patient a vécu trente ans sans s’apercevoir que le liquide s’accumulait graduellement dans sa tête. Et peu à peu, son cerveau s’est adapté à cette situation anormale, s’est recâblé pour pallier les multiples déficits qui sont apparus au cours de sa vie. On peut donc affirmer sans ambiguïté que ce qui a véritablement sauvé ce patient, c’est la plasticité cérébrale…

Un miraculé donc, tout comme Pedro Bach-y-Rita évoqué au début de ce chapitre, qui récupéra spectaculairement d’un sévère accident vasculaire cérébral. C’est d’ailleurs ce succès qui mit son fils Paul sur la voie des pouvoirs de la neuroplasticité. L’homme a un parcours hors-norme. Esprit iconoclaste, il adorait les défis, de sorte que, son diplôme de médecin en poche, il décida en 1959 de pratiquer son métier dans un petit village reculé du Mexique, sans eau ni électricité, dont il devint le premier et unique docteur. Il y vécut plusieurs années, sans grands moyens face à des cas souvent tragiques, touchant du doigt les limites de la médecine moderne. Convaincu de la nécessité de trouver des solutions simples et pratiques aptes à soulager les malades, il reprit ses études et sillonna le monde pour se perfectionner en ingénierie biomédicale et en neurophysiologie. Et c’est muni de ce colossal bagage scientifique qu’il s’installa aux États-Unis dans les années 1970, et qu’il parvint à développer, avec son équipe de l’université du Wisconsin-Madison, plusieurs dispositifs qui révolutionnèrent la rééducation médicale.

La neuroplasticité au secours du handicap

L’idée suivante, parmi les plus brillantes qui jaillirent de cet esprit fertile, mérite d’être rapportée : lorsque certains circuits de communication sont perdus chez un patient après une lésion, pourquoi ne pas les contourner en empruntant des voies alternatives ? En effet, comme un réseau routier, le cerveau possède de grandes autoroutes de communication qui relient de multiples centres spécialisés. Mais des traverses moins fréquentées et plus difficiles d’accès jouent aussi le même rôle… Paul Bach-y-Rita mit cette intuition en pratique à travers un cas resté dans les annales : à la suite d’un accident, une de ses patientes souffrait de lésions de l’oreille interne et présentait en conséquence des troubles de l’équilibre. Si nous tenons debout, en effet, c’est grâce à ce sens subtil assuré par un petit organe, le système vestibulaire, caché tout au fond de notre oreille.

Habituellement, nous ne prenons conscience de ce sens que dans certaines situations extrêmes, en avion ou sur un bateau. La patiente de Bach-y-Rita en était tout simplement privée : elle souffrait de vertiges permanents et ne pouvait plus se tenir debout ni se déplacer sans tomber. Le médecin eut alors un coup de génie : il l’appareilla d’un casque pourvu d’un accéléromètre. Ce dernier détectait les mouvements de la tête, mouvements ensuite transmis à une languette collée à la langue de la patiente. Or la languette était hérissée de petites électrodes, qui envoyaient de subtiles microstimulations électriques en fonction de la position de la tête…

Un dispositif aussi ingénieux qu’efficace, puisqu’en analysant les picotements ressentis, à force d’entraînements réguliers, cette femme apprit à reconnaître les mouvements de sa tête et parvint à se tenir debout sans vaciller ! En d’autres termes, les picotements de la langue, normalement dirigés vers le cortex sensoriel, avaient fini par parvenir grâce à ce dispositif ingénieux à la zone qui contrôle l’équilibre. À l’issue de plusieurs semaines d’utilisation quotidienne – deux fois par jour, pendant vingt minutes –, les chercheurs constatèrent un phénomène remarquable : après chaque séance, la patiente allait de mieux en mieux et pouvait conserver son équilibre sur une durée toujours plus grande, tant et si bien qu’elle finit par ne plus avoir besoin de l’étrange appareillage : elle se déplaçait comme vous, sans aucune assistance… C’est bien l’entraînement régulier qui a permis aux neurones de « se frayer » une nouvelle voie dans le cerveau et donc de rétablir, d’une manière durable, son sens de l’équilibre.

Dans le même esprit, Paul Bach-y-Rita proposera un incroyable dispositif qui permet à des aveugles « de voir avec la peau ». Il s’agit d’une machine qui convertit des images, ici recueillies par une microcaméra fixée sur des lunettes, en une série de stimulations tactiles sur une partie du corps, l’abdomen, la poitrine ou la langue. Dans ce dernier cas, d’une manière semblable au dispositif développé pour les troubles de l’équilibre, cet appareil utilise une languette qui reproduit l’image de l’environnement par des microstimulations électriques sur la langue. Les tout premiers résultats obtenus par Paul Bach-y-Rita montrent que les sujets adultes, qu’ils soient aveugles ou simplement les yeux bandés, sont capables de percevoir les contours de formes simples, de s’orienter vers elles, voire d’indiquer la direction suivie par des cibles en mouvement ! Au bout d’un temps d’adaptation assez court, entre cinq à dix heures d’entraînement, les sujets oublient totalement le dispositif placé dans leur bouche et perçoivent les objets comme présents devant eux. Mieux : ils réussissent à identifier des formes tridimensionnelles, statiques ou en mouvement.

De cette façon, Paul Bach-y-Rita conclut que l’on peut « voir avec la bouche », à condition de s’entraîner suffisamment longtemps. D’ailleurs, le même phénomène est à l’œuvre lorsqu’un aveugle apprend le braille. Il palpe mais c’est la région de son cortex visuel qui fonctionne : l’aveugle « voit » avec ses mains, en somme. Plus généralement, toutes les zones corticales « spécialisées » dans telle ou telle fonction sensorielle (toucher, vision, audition, etc.) ou motrice (commandant nos centaines de muscles…) sont susceptibles de se remplacer mutuellement. C’est l’idée révolutionnaire de la « substitution sensorielle » : notre cerveau est capable de remplacer une modalité sensorielle déficiente, principalement la vision, par une autre, principalement le toucher.

Le premier article de Paul Bach-y-Rita paraît dans la revue Nature en 1969, mais il n’a que très peu d’impact ; il faudra attendre plusieurs décennies avant qu’il soit vraiment pris au sérieux. Les systèmes de substitution sensorielle sont devenus monnaie courante. L’artiste catalan Neil Harbisson, qui ne peut voir les couleurs à la suite d’un déficit congénital rare, utilise par exemple l’un de ces dispositifs. Il s’agit d’une petite caméra portable fixée sur sa tête, dont les images – plus précisément leurs couleurs – sont converties sous forme de sons qu’il entend directement par conduction osseuse. Avec ce système, les sons sont transmis à l’oreille interne sous forme de vibrations à travers les os de la boîte crânienne, afin qu’il ne gêne pas ses voisins tout en restant à leur écoute. Comme une chauve-souris, Neil Harbisson voit avec ses oreilles en quelque sorte ! En outre, à la façon d’une véritable chimère, il étend par ce système sa vision aux infrarouges et aux ultraviolets, inaccessibles à nos yeux normalement…

Reconnaître ces nouvelles couleurs n’a d’ailleurs posé aucune difficulté, de sorte qu’aujourd’hui Neil Harbisson bénéficie d’une étrange correspondance élargie entre sons et couleurs. À force d’entendre les couleurs, l’artiste a même commencé à développer un sens qui est, pour le coup, unique. Ainsi, telle exposition de peinture s’apparente pour lui à un concert. À l’inverse, faire ses courses dans un supermarché tient pour lui de la virée en discothèque, tant les sonorités produites sont diverses et changeantes ! De même, lorsqu’il croise quelqu’un dans la rue, il perçoit une tonalité propre à chaque visage selon son teint, et tend à sympathiser avec la personne qui « sonne » le mieux. Pour cet homme augmenté, ce dispositif est bien plus qu’une simple prothèse : il s’agit d’un organe comme un autre, à ceci près qu’il est artificiel. Il ne s’en cache pas, d’ailleurs : la petite caméra qu’il porte en permanence au-dessus du front figure sur la photo d’identité de son passeport…

yogaesoteric
17 novembre 2017

Also available in: Română

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