L’insecticide le plus utilisé au monde serait lié au déclin des passereaux
Les néonicotinoïdes, ces pesticides utilisés en enrobage sur les graines, agissent comme un coupe-faim chez les oiseaux et leur font perdre du poids en quelques heures.
L’insecticide le plus utilisé au monde a été relié à un déclin dramatique des populations de passereaux d’Amérique du Nord. Pionnière en la matière, une étude a révélé qu’un passereau qui consommait l’équivalent d’une ou deux graines enrobées de néonicotinoïdes souffrait d’une perte de poids immédiate qui l’obligeait à retarder son voyage.
Bien que les oiseaux finissent par se rétablir, ce retard pourrait considérablement affecter leurs chances de survie et de reproduction, déclarent les chercheurs canadiens dont l’étude était publiée le 12 septembre par la revue Science.
« Nous avons démontré le lien évident qui existe entre l’exposition aux niveaux réels de néonicotinoïdes et l’impact sur les oiseaux, » explique Margaret Eng, auteure principale et chercheure post-doctoral au Toxicology Center de l’université de Saskatchewan.
La migration printanière des oiseaux s’effectue à la période des semis pour les agriculteurs et la plupart des cultures aux États-Unis et au Canada proviennent de graines traitées aux néonicotinoïdes. Les oiseaux subissent donc potentiellement une exposition répétée sur les sites successifs où ils s’arrêtent pour se nourrir et se reposer, ce qui aurait pour conséquence d’amplifier les retards et leurs effets néfastes, peut-on lire dans la conclusion de l’étude.
Introduits à la fin des années 1980, les néonicotinoïdes étaient présentés comme une alternative plus sûre aux précédents insecticides. Cependant, étude après étude, les résultats montrent qu’ils jouent un rôle majeur dans le déclin des insectes et plus particulièrement des abeilles. L’Union européenne a interdit l’utilisation de ces insecticides en 2018 en raison de leurs effets dévastateurs sur les pollinisateurs. Cette étude représente donc un nouveau maillon de la chaîne des problèmes environnementaux ; un maillon qui montre que le recours aux néonicotinoïdes est néfaste pour les oiseaux et par conséquent, que les populations d’oiseaux encourent un risque, déclarait Eng dans une interview.
C’est la première preuve des « effets comportementaux de l’intoxication aux néonicotinoïdes chez les oiseaux vivant en liberté, » déclare Caspar Hallmann, écologiste à l’université Radboud de Nimègue aux Pays-Bas.
Il est probable que ces résultats s’appliquent à d’autres espèces d’oiseaux dont le régime alimentaire comporte des graines enrobées de pesticides, ajoute Hallman, qui n’a pas pris part à l’étude parue dans Science mais a publié ses propres travaux dans lesquels il établit un lien entre le déclin généralisé des oiseaux insectivores et l’utilisation des néonicotinoïdes.
Les populations de plus de 75 % des passereaux et d’autres oiseaux qui dépendent de l’habitat agricole d’Amérique du nord ont considérablement chuté depuis 1966. La nouvelle étude montre comment les néonicotinoïdes auraient directement contribué à ce déclin. Le mois d’août, une étude globale concluait que l’utilisation généralisée des néonicotinoïdes avait rendu le paysage agricole américain 48 fois plus toxique pour les abeilles, et probablement d’autres insectes, qu’il ne l’était il y a 25 ans.
Des passereaux chétifs
Afin d’étudier les impacts sur les oiseaux en liberté, les chercheurs ont capturé des bruants à gorge blanche lors d’une étape de leur itinéraire migratoire printanier qui les mènent habituellement des États-Unis aux régions boréales du Canada. Chaque bruant recevait soit une faible dose du néonicotinoïde le plus utilisé, l’imidaclopride, soit une dose légèrement plus forte, soit aucun insecticide.
Chaque oiseau était ensuite pesé et sa composition corporelle était mesurée avant et après avoir été exposé aux insecticides. Six heures plus tard, à la seconde pesée, les oiseaux qui avaient reçu une dose supérieure de pesticide avaient perdu 6 % de leur masse corporelle.
La dose la plus forte est l’équivalent pour un oiseau de la consommation d’un dixième de graine de tournesol ou de maïs enrobée d’imidaclopride ou de deux ou trois grains de blé, illustre Christy Morrissey, coauteure et écotoxicologue à l’université de Saskatchewan. « C’est une quantité minuscule, une toute petite fraction de ce que ces oiseaux consomment quotidiennement, » déclarait Morrissey lors d’une interview.
L’imidaclopride, même à très faible dose, a un effet coupe-faim sur les bruants. Ils étaient léthargiques et n’étaient pas du tout intéressés par la nourriture, explique-t-elle. « Nous avons observé le même comportement chez les oiseaux en captivité dans une étude précédente. » Cette étude a été publié en 2017 dans Scientific Reports.
Ce n’est pas surprenant étant donné que les néonicotinoïdes sont chimiquement proches de la nicotine et stimulent les cellules nerveuses, allant même jusqu’à les tuer à très forte dose. L’intoxication à la nicotine est très rare chez l’Homme car une forte consommation rend malade avant d’aller plus loin. À faible dose, la nicotine supprime l’appétit chez l’Homme et la même chose semble se produire chez les oiseaux.
Des lendemains difficiles
Les bruants capturés ont été relâché peu après la seconde pesée, le temps de coller derrière leurs ailes un minuscule émetteur. Cet émetteur a permis de suivre leurs mouvements dans la nature. Les bruants exposés aux néonicotinoïdes n’ont pas immédiatement repris leur envol comme l’ont fait les oiseaux sains. D’après l’étude, les bruants ayant reçu une forte dose sont restés dans les environs du site de capture pendant 3,5 jours pour récupérer de leur intoxication et reprendre le poids qu’ils avaient perdu.
Fort heureusement, les oiseaux métabolisent rapidement l’imidaclopride. Cependant, un retard de 3,5 jours au cours d’une migration pourrait réduire les chances de reproduction, poursuit Morrissey. « Les petits oiseaux ne se reproduisent qu’une ou deux fois dans leur vie, ces opportunités ratées pourraient donc entraîner un déclin des populations. »
« Lorsque les oiseaux migrent, ils ont désespérément besoin de prendre du poids lors des différentes étapes de leur itinéraire afin de poursuivre leur voyage, » explique Steve Holmer de l’American Bird Conservancy.
Cette nouvelle étude a également montré que les bruants perdaient un autre élément essentiel, leur graisse corporelle, en moyenne 9 % pour ceux dont la dose était faible et 17 % pour ceux dont la dose était plus forte. Cette exposition aux néonicotinoïdes pourrait donc les priver de « l’énergie dont ils ont besoin pour réussir leur accouplement une fois arrivés sur leurs sites de reproduction, » écrivait Holmer dans un e-mail.
David Fischer est scientifique et directeur du service Pollinator Safety chez Bayer Crop Science, le principal fabricant de l’imidaclopride. Selon lui, il n’y a aucune preuve que les doses administrées dans l’étude « reflètent les niveaux d’exposition réels des passereaux sur les terrains agricoles. »
De petits passereaux, comme les bruants à couronne blanche, sont « incapables d’avaler de grandes graines comme celles du maïs ou du soja, » écrivait-il par e-mail.
Cependant, Charlotte Roy a observé différentes espèces de bruants et d’autres oiseaux mais également des souris, des cerfs et même des ours noirs en train de manger des graines de maïs, de soja ou de blé enrobées de pesticides. Elle a consigné ses résultats dans un rapport publié le 10 septembre dans la revue Science of The Total Environment. Écologiste spécialiste des espèces sauvages au sein du service des ressources naturelles du Minnesota, Roy indique que les petits oiseaux brisent les graines trop grandes et consomment soit ce qu’il y a à l’intérieur, soit les morceaux à leur portée.
« Ils n’ont pas besoin de consommer l’intégralité de la graine pour être exposés, » assurait-elle lors d’une interview.
Dans son étude, Roy et ses collègues ont simulé des chutes de graines qui se produisent au printemps lors de l’ensemencement pour voir si les différentes espèces sauvages étaient attirées par cette source de nourriture. Il n’aura fallu aux oiseaux qu’un jour et demi pour trouver ces graines. De même, ils ont réussi à trouver les graines enrobées de néonicotinoïdes sur la surface du sol dans 35 % des 71 champs récemment ensemencés examinés.
C’était la première fois qu’une étude cherchait à savoir si les graines traitées étaient directement disponibles à la consommation pour la faune nord-américaine. « Les taux de perte de semences sont bien plus élevés que quiconque ne l’avait prévu, » témoigne-t-elle.
Les agriculteurs ne savent généralement pas à quel point ces graines traitées sont dangereuses pour la faune, conclut Roy.
yogaesoteric
23 novembre 2019
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