Magouilles et corruption des élites : Le trafic de drogue, partie intégrante de l’économie mondiale (5)

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Sur le plan des résultats, la production de drogue n’avait baissé que de 10% en 10 ans, loin de l’objectif affiché de 50%. Le pays s’est trouvé ravagé par les conflits armés, la corruption a explosé.

Après ce désastre, l’opinion publique colombienne a fait pression et le conflit armé s’est réglé avec des amnisties générales pour les paramilitaires, quelques jugements et condamnations ridicules pour les leaders, et un mouchoir sur le traumatisme des victimes, cela au nom d’un « processus de paix » qui arrangeait bien les corrompus. Les FARC ont obetenu ensuite, après de longues négociations, la même chose.

Le trafic s’est donc progressivement installé au Mexique, avec un schéma similaire de corruption du monde politique et des forces de l’ordre par les narcos. Dans les années 2010 le Mexique a connu des records de massacres et meurtres politiques commis par les narcos, qui se sont militarisés. Plus besoin de groupes paramilitaires : ce sont les narcos les paramilitaires.

Et on s’aperçoit que bien souvent, les plus gros narcos sont aussi des entrepreneurs prospères et même des élus locaux.

En France, il y a aussi l’affaire de l’OCRTIS, l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, dont certains flics sont apparemment très coopératifs avec les trafiquants. Dans un de ses livres, Gérérad Fauré raconte qu’ils lui « facilitaient l’entrée en France avec de grosses quantités de drogue, en prévenant les douaniers qu’il ne fallait pas faire obstruction à leur enquête en m’arrêtant sur la route. Ma voiture, sous surveillance, était suivie depuis la Hollande jusqu’à Paris. Sa cargaison ? Des dizaines de milliers d’ecstas », écrit-il. C’est amusant, parce c’est exactement le mode opératoire qui a valu il y a 2 ou 3 ans au chef de l’OCRTIS[49] de faire un séjour en prison.

Apparemment, ces pratiques sont toujours en cours : durant l’été 2017, François Thierry, chef de l’OCRTIS, a été mis en examen pour avoir facilité l’importation de plusieurs tonnes de cannabis cette fois, par son « indic » le grossiste Sofiane Hambli. Quelques semaines plus tôt, il passait à la télé dans un reportage au sujet d’une grosse saisie. Le chef d’accusation était plus exactement « complicité de détention, transport et acquisition de stupéfiants et complicité d’exportation de stupéfiants en bande organisée », c’est-à-dire d’avoir participé activement au trafic, en l’occurrence de cannabis.

Cette affaire est sortie parce qu’en 2015, des douaniers sont tombés sur un camion avec 7 tonnes de shit garé en plein Paris, en bas de chez Hambli. Ce camion était accompagné depuis le Maroc par des flics de l’OCRTIS[50]. Et ce n’est pas la seule livraison suspecte, au total il a été question de 15 tonnes.

C’est cet argument des « livraisons surveillées » qu’a donné François Thierry dès le départ. On a appris en septembre 2022 qu’il est renvoyé aux assises mais uniquement pour « faux en écriture publique »……. Mais les juges s’interrogent aussi sur « d’incontestables manquements » du parquet de Paris même si tous les magistrats mis en cause ont bénéficié d’un non-lieu.

Plus récemment, c’est le n°2 de la police judiciaire de Bordeaux qui a été mis en examen pour avoir favorisé l’importation d’une cargaison de coke, là encore officiellement pour faire du chiffre. En juin 2022, France Bleu expliquait : « Le numéro 2 de la police judiciaire de Bordeaux et ancien numéro 3 de l’Office des stups, Stéphane Lapeyre, a été renvoyé en correctionnelle, selon Libération, pour ” complicité de trafic de stupéfiants “. Son ex-subordonné le capitaine Jocelyn Berret, devra aussi comparaître, ainsi que sept autres prévenus, trafiquants présumés et informateurs ». C’est leur mule qui, mise sur écoute par d’autres policiers, avait dit que « la sécurisation du passage en douanes » était assurée à Orly.

De fait, les saisies de cocaïne ne cessent d’augmenter en France et 2021 a été une année record avec 18 tonnes saisies par les douanes, le double du volume saisi en 2020. Les saisies d’héroîne ont augmenté de 30% sur un an, celles de cannabis de 24%, l’ecstasy de 28%. L’office des stupéfiants aurait lui saisi 13 tonnes de cocaïne en 2021. Parmi les saisies de 2021, beaucoup ont été menées dans les ports, principalement Le Havre et aussi plusieurs à Marseille.

Et Darmanin de se féliciter de l’augmentation sans précédent des saisies, qui n’est que le reflet de l’augmentation sans précédent du trafic international.

Fauré explique dans un de ses livres que lorsqu’il était emprisonné à Amsterdam dans les années 80, un policier de l’OCRTIS est venu le voir pour le recruter, non pas en tant qu’indic, mais que fournisseur d’ecstasy : « Son but officieux était de se procurer des ecstasy à bon marché qu’il pourrait revendre deux fois plus cher en France, histoire de payer ses factures et celles de ses collègues », écrit-il, « Je passais ma marchandise en France dans une voiture protégée par la police et ignorée par les douanes à la demande de ces derniers. Les flics leurs faisaient croire qu’à son arrivée à Paris, la voiture serait arrêtée, fouillée et saisie ».

Un jour, les flics français lui auraient présenté des flics de la DEA, le service anti-drogue US, qui voulait aussi lui acheter des ecstasys, par lots de 50.000 unités, et contre protection encore une fois. La drogue était revendue à des trafiquants que ces mêmes flics faisaient ensuite plonger.

L’OCRTIS est devenu l’OFAST (office anti-stupéfiants) en 2020 car selon sa responsable, « il existait un défaut de gouvernance dans la lutte contre les stupéfiants » sous forme d’une « agence » donc un service public au rabais dont les agents n’ont pas de statut défini.

Aujourd’hui il n’est plus question de French Connection, mais le trafic de drogue à grande échelle s’est amplifié. Et rien ne permet de penser que les autorités n’ont plus rien à voir là-dedans, ni en France ni ailleurs. On voit l’argent arriver dans différents secteurs de l’économie, comme l’immobilier : aux Etats-Unis en 2018, les autorités estimaient que 30% des achats immobiliers de grande valeur en liquide dans les métropoles étaient réalisés par des personnes déjà soupçonnées de blanchiment.

Et avec les monnaies virtuelles, le blanchiment à grande échelle est encore plus facile : on sait que les cartels mexicains, par exemple, sont passés au Bitcoin depuis des années.

Ceci dit, la méthode classique reste en vigueur, et la banque britannique HSBC avait même créé un service spécial dans sa banque de Mexico dans les années 2000 pour que les narcos puissent y déposer l’argent liquide par caisses entières. HSBC qui a été épinglée en 2012 pour avoir blanchi après la crise des subprimes de 2008 plus de 800 millions de $ des cartels, et s’en est tirée avec un minuscule sanction de 1,9 milliard de $, sans poursuites pénales contre les responsables.

Et surtout pas son patron de 2003 à 2010 Stephen Green (encore un ancien de McKinsey), anobli par la reine d’Angleterre en 2010 et devenu Ministre anglais du Commerce sous Cameron (2011-2013) alors que les accusations de blanchiment contre HSBC étaient devenues publiques.

La guerre en Afghanistan déclenchée en 2001 au prétexte des attentats du 11 septembre 2001 a permis aux US de faire remonter la production d’opium et de contrôler le lieu de production de 90% de l’opium mondial. On a vu les prix du gramme passer de 80 € à 30, voire 20 € entre 2000 et 2002 en Europe de l’ouest, avec des centaines de jeunes devenus addicts dont beaucoup sont encore aujourd’hui sous méthadone. Et on retrouve leurs amis les Talibans, maîtres du trafic d’opium dans le pays, à financer le terrorisme en Afghanistan et ailleurs dans le monde comme le rappelait en 2021 le rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants.

Au cours des 20 dernières années, la drogue numéro 1 a été la cocaïne. Des centaines de kilos sont interceptés par les douanes européennes. En 2008, le fils d’un des chimistes qui a été formé par le maître de la transformation d’héroïne, Jo Cesari, a été attrapé avec Dominique Lortal, considéré comme un meneur de la « Nouvelle French Connection », pour le trafic de 500 kilos de cocaïne destinés à la Côte d’Azur. Leur conteneur avait été repris au port de Rotterdam. L’intéressé, Claude Calmet, avait déjà été condamné pour les mêmes faits dans les années 80.

A l’occasion du procès, l’article du Parisien brossait un portrait de la French Connexion des années 2000 : « Au casting : Dominique Lortal, 52 ans, cerveau du réseau, domicilié dans un très chic appartement de la rue du Ranelagh à Paris XVIe, mais également propriétaire de villas à Sofia en Bulgarie ou à Las Vegas aux Etats-Unis. A ses côtés, Guy Teboul, 66 ans, logisticien chargé de créer et de gérer l’entreprise fictive installée sur le port d’Anvers, qui devait récolter la marchandise, Claude Tur, 49 ans, un associé au casier judiciaire chargé et installé en Espagne, mais aussi deux ressortissants italiens, Giovanni Civile et Umberto Naviglia, proches de la Camorra napolitaine, ou encore un certain André Lajoux, 67 ans aujourd’hui, impliqué dans la French Connection dans les années 1970 ».

Les trafiquants ont maintenant des équipes internationales, comme le montre le réseau de trafiquants de coke démantelé à Dubaï, en Espagne, en France et en Belgique, accusé d’avoir importé 2 tonnes entre janvier et avril 2021. Il y a une cinquantaine de suspects dont 6 gros bonnets, et ce réseau contrôlerait un tiers des importations et du trafic de coke en Europe. La drogue venait d’Amérique Latine jusqu’aux ports de Rotterdam et Anvers.

La même semaine un réseau avec des ramifications en Belgique, aux Pays-Bas, en Serbie et au Luxembourg a été arrêté avec 115 kilos.

Malgré une explosion du trafic maritime, les effectifs des douanes françaises sont passés de plus de 22.000 en 1994 à moins de 18.000 en 2022. Pour donner une idée de l’augmentation du trafic, le port du Havre (1er port de France où passent la moitié des conteneurs qui entrent dans le pays) recevait 1 million de conteneurs par an en 2000 et plus de 3 millions en 2021, quand les agents chargés du contrôle sont passés de 500 à 350.

Forcément, les trafiquants y font passer absolument ce qu’ils veulent, puisque seulement 6 conteneurs sur 5.000 y sont contrôlés. Et de toute manière, comme l’explique France Info, « Selon plusieurs douaniers interrogés, les saisies de cannabis se font aussi, presque exclusivement, grâce au travail des services de renseignement ».

En effet, les chaînes logistiques à flux tendu supporteraient mal des contrôles trop intensifs, et en gros, pour qu’un conteneur soit ouvert il faut vraiment ne pas avoir de bol. Et on ne parle pas de Marseille ou d’un port comme Goia Tauro en Sicile.

Des navires de compagnies maritimes qui ont pignon sur rue, comme MSC qui est n°1 du transport de conteneurs, font régulièrement l’objet de saisies importantes surtout depuis 2019, année où MSC a pris 100% du terminal à conteneurs de Gioia Tauro en Calabre, connu pour être sous contrôle de la ‘Ndrangheta (la mafia calabraise devenue la plus puissante en Italie et dans le monde): 200 kilos de coke à Aden au Yémen puis 20 tonnes de cocaïne sur le MSC Gayane à Philadelphie en 2019 (valeur estimée: 1,3 milliard de $, le navire appartenait à JP Morgan) avec la complicité de 8 marins, 200 kilos de coke encore saisis en Australie en 2021, encore 450 kilos saisis au port de Gènes en février 2022, pour ne citer que de grosses prises. Cela a amené l’armateur à suspendre puis restreindre ses activités en Amérique latine.

Le port de Gioia Tauro dont MSC est le seul client, est connu en Italie pour être au centre du trafic de cocaïne en Europe, comme l’a montré une commission sénatoriale en 2018. 36 personnes ont été arrêtées début octobre en Italie (dont 14 dockers) pour avoir importé à Gioia Tauro de la drogue en provenance d’Amérique latine. Cette fois, c’était la Camorra.

Quant à la direction des finances chargée de traquer la fraude fiscale, ses effectifs sont passés de 122.000 en 2010 à 97.000 en 2021 ce qui fait immanquablement baisser le nombre de contrôles fiscaux.

Au niveau européen, les perspectives sont même très mauvaises, et l’Organe international de contrôle des stupéfiants écrivait en 2021 : « Dans l’Union européenne, les principales activités criminelles organisées sont la cybercriminalité et le trafic de drogues. La criminalité organisée s’y caractérise avant tout par la corruption, l’infiltration et l’exploitation de structures commerciales légales pour la commission de tous types d’activités criminelles, et par l’existence d’un système financier clandestin grâce auquel les criminels déplacent et investissent leurs profits.

L’expansion et l’évolution de la grande criminalité organisée dans l’Union européenne et les conséquences que la pandémie de covid-19 pourrait avoir à long terme, qui sont susceptibles de créer des conditions idéales pour que la criminalité prospère, sont sources de préoccupation. Les réseaux criminels cherchent à exploiter la crise sans précédent à laquelle fait face l’Union du fait de la pandémie en ciblant à la fois les citoyens, les entreprises et les institutions publiques. Les groupes criminels organisés sont professionnels et s’adaptent très vite, comme ils l’ont montré pendant la pandémie, et 70 % d’entre eux sont actifs dans plus de trois pays ». Pendant ce temps, les mesures de lutte contre le blanchiment et les paradis fiscaux se succèdent, preuve de leur inutilité.

Les chemins du trafic de drogue peuvent changer, mais il y a quand-même des points fixes de passage, à proximité desquels on trouve souvent d’importantes bases militaires américaines : Sicile, Açores, Kosovo avec le fameux camp Bondsteel, Turquie, Caraïbes.

Les saisies augmentent, autant pour les drogues de synthèse qui se généralisent que pour la cocaïne ou l’héroïne, donc le trafic aussi puisque les saisies représentent environ 5% du volume total.

Et avec l’augmentation du trafic il y a forcément une augmentation des bénéfices, qui doivent être blanchis pour être réinjectés dans le système officiel.

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Bien qu’illégal pour les citoyens, le trafic de drogue n’est pas un phénomène à la marge: il fait partie intégrante de l’économie mondiale et même du jeu géopolitique. Non seulement il rapporte des milliards, qu’on peut distribuer à tous les échelons du pouvoir, mais en plus ils permettent de déstabiliser des pays et l’argent qu’il amène dans le système financier est une bouée de sauvetage pour les banques. C’est pour cela que le blanchiment des millions des cartels ne pose en réalité aucun problème, en tout cas moins que le dealer en jogging qui n’est que le prolétaire du système.

Notes :

[49] D’ailleurs, depuis septembre 2019, l’OCRTIS a changé de nom et s’appelle l’Ofast, pour office anti-stups.

[50] Cf. Le Monde du 25/08/2017 : « A l’origine de cette affaire, un camion parti du Maroc le 7 octobre 2015, chargé d’au moins quatorze tonnes de cannabis, remonte l’Espagne et fait étape à Vénissieux, près de Lyon. Il est suivi tout au long du parcours par l’office central, dans le cadre d’une procédure dite de ” livraison surveillée “, censée conduire les policiers aux commanditaires de la drogue ».

 

yogaesoteric
29 mars 2023

 

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