Maurice Daubard, l’exalté amoureux
Voilà un propos recueilli par J. Lorenz, paru dans Le Journal du Yoga.
JdY : On vous appelle le yogi des extrêmes. Vous êtes connu pour être capable de rester dans le froid, dans un bac rempli de glaçons pendant presque une heure. Pourquoi le froid ?
Maurice Daubard : J’avais la tuberculose. J’ai encore la moitié d’un poumon nécrosée. J’ai rencontré quelqu’un, un homme qui a guéri de la tuberculose en plongeant dans le Danube glacé, un disciple de Lanza del Vasto. Je me suis dit pourquoi pas moi. Les médecins me disaient que j’allais mourir. C’était pendant l’hiver 1956. Toumo, cela veut dire tapas en tibétain. C’est l’instrument que j’ai choisi. Ça veut dire le froid. Avant, je plongeais de 30 mètres. C’est un tapas. J’ai travaillé pour devenir l’inverse. Dans l’eau, je me demandais ce que je faisais là. Pris de doute, je pleurais. Puis mon cœur s’est rempli de d’amour. Ah oui, ça je le sais !
JdY : Le toumo, c’est donc une discipline ?
M.D. : Il faut être exemplaire. Je ne suis jamais allé à l’école. Je ne parle que de ce que je connais, de ce que j’ai réellement vécu. Parle de ton jardin… de ton expérience. Ce n’est pas comme un homme qui travaille à l’usine, un mineur de fond. Quand on a un travail de corvée, on se crève. Mais quand on a une passion, c’est moins fatigant parce qu’il y a cette motivation exaltante. On naît et on doit mourir. On grandit, on monte au sommet d’une montagne puis on descend. Ah, quand je serai grand, dit l’enfant. Ah, quand j’étais jeune, dit le vieillard. On perd tellement de temps à se chercher soi-même, à profiter de la vie. On fait jouir son corps, un peu l’intellectuel. Le spirituel est un peu mis de côté.
JdY : Est-ce devenu facile pour vous de plonger tous les jours dans le froid ?
M.D. : Tu parles, si je suis content d’aller me plonger dans la glace ou dans l’eau froide tous les matins ! Ce n’est jamais facile puisqu’il y a le samsara, les démons déguisés ! Je voudrais trouver des excuses. Ces démons sont malins, de vrais tyrans, ils essaient de me faire flancher, de provoquer des malaises et de me transformer en malade imaginaire. Ils sont toujours là. Et je me dis : « Quand tu regardes le pauvre, c’est toi que tu regardes. » Alors j’ai la force.
JdY : Quelle force vous tire à ce moment-là ?
M.D. : « La plus grande force de l’univers, c’est la force de la pensée » est un sutra traduit du sanskrit ou du tibétain. Si elle est négative, elle auto-détruit l’individu (voir le malade imaginaire). À force d’y penser, elle provoque la douleur et finit par être organique et se transforme en vrai symptôme. Si elle est positive, elle auto-transcende l’individu. C’est le mystère de la foi. C’est ce qu’a dit Sivananda : « La foi est aveugle, ou ce n’est pas la foi. »
JdY : Les médecins, les militaires et les scientifiques ont maintes fois étudié votre résistance au froid, votre capacité à rester immergé longtemps dans l’eau glacée. Leur seule conclusion : « Maurice Daubard est comme nous. On n’a rien trouvé chez lui en dehors d’une force mentale extraordinaire. »
M.D. : Effectivement. Mais Il n’y a aucune noblesse à se sentir supérieur. Devenir disciple de la discipline. Avec une grande humilité, sans orgueil, sans prétention. Cette traversée de tempête ou du froid te casse ton état d’esprit négatif, c’est-à-dire ton orgueil, brisé, parce qu’il y a à côté de cela l’exaltation, qui commence à s’éveiller comme le soleil vient le matin. Au moins, tu as compris cela. Mais tu n’as pas toutes les réponses. Plus tu avances dans ce complexe qu’est la vie, c’est comme un rideau que tu ouvres, et derrière ce rideau, il y en a un autre, encore plus beau que ce que tu croyais…
JdY : Quels ont été vos guides ?
M.D. : J’ai évolué à cause ou grâce à ces deux petites jumelles handicapées dont je me suis occupé. Pour ces deux petites, l’outil était cassé, elles n’ont ni le corps, ni l’intellect. Il aurait fallu les tuer ! disent-ils. NON ! Elles nous interpellent, nous font nous poser des questions. Ces deux petites sont mes gourous. Elles m’ont enseigné. Le monde a plus besoin d’amour que d’intelligence. Quand je fais le bilan de mes maîtres, je me dis : « Je les attendais, mais je ne savais pas », mais il y a toujours le doute. De même pour le Christ sur la croix quand il dit : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». C’est le doute qui donne de la valeur à la foi, et l’humilité. La valeur de l’homme réside dans la démarche. J’ai toujours voulu être responsable de tous mes actes. Si tu as perdu l’espérance, invente l’espérance. Si tu as perdu l’espoir, invente l’espoir.
JdY : Qu’est-ce que ces jumelles vous ont enseigné ?
M.D. : Cela répond exactement à ce que dit Ramana Maharshi : le corps et le mental ne sont que des instruments mis au service du Je. Mais qu’est-ce que ce Je ? Moi, je n’ai pas de réponse, et je prends bien garde de répondre à la place des gens. C’est qui, ce Je intérieur ? On s’identifie au corps quand on est jeune… et plus tard, à ces fausses identités que sont le corps et l’intellect. C’est peut-être pourquoi je n’aime pas les escalades intellectuelles, métaphysiques et académiques. On change tout le temps. Je cherche.
JdY : Qu’est-ce qui vous fait continuer et poursuivre cette voie d’enseignement ?
M.D. : Je continue parce que j’ai découvert l’exaltation. Quelle chance j’ai eu d’avoir cette malchance, cette maladie ! Au lieu de faire de la complaisance (comme beaucoup !)… Toute dépréciation (physiologique) devrait être considérée comme un cadeau du ciel. Elle te permet de chercher à devenir l’inverse par le sankalpa.
JdY : Vous avez été impliqué depuis le début dans la Fédération européenne de yoga et êtes un fidèle de Zinal depuis la première année. Avez-vous une anecdote de cette époque ?
M.D. : Beaucoup, mais pour en citer une, qui évoque cette passerelle entre la vie et la mort, c’est ce sutra de Patanjali que Gérard Blitz se plaisait à citer : « C’est quand tu rends tout ce que tu as volé durant ta vie que toutes les perles te sont rendues. »
yogaesoteric
16 octobre 2017