Plus de deux ans après la catastrophe, les sinistrés de Samarco au Brésil face au cynisme des multinationales minières (2)

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Les stigmates de la coulée encore visibles

Sur cette place, ont été installés des bancs flambant neuf, de nouveaux pavés fabriqués à partir des résidus de boue, et, sur la promenade qui longe la rivière, des jeux multicolores pour les enfants et des portiques d’exercices physiques pour les plus âgés. Des ouvriers et des personnels de Renova s’activent dans le centre pour mener à bien les travaux encore en cours. Plus loin, sur les rives de la rivière, des amas gris comme du bitume sont toujours agglomérés : ce sont, encore, des résidus des rejets miniers du barrage.

 

Sur la route, en traversant les localités de Paracatu de Baixo et de Gesteira, les maisons et les arbres près de la rivière portent encore la marque de la boue rouge qui a déferlé sur eux. « Ici, la boue était partout. Nous étions encerclés. Pendant six jours, nous n’avons pas pu sortir, se souvient Rafael, éleveur de bovins dans la partie rurale de la commune de Gesteira. Pendant ces six jours, il ne pouvait pas non plus appeler les secours. Au bout d’un moment, un hélicoptère est passé et nous a vus. » Ici, dans la ferme de Rafael, la fondation Renova a financé et accompagné la mise en place d’un système d’épuration des eaux usées par les plantes, et proposé une formation à son épouse pour l’inciter à vendre les spécialités artisanales qu’elle cuisine chez elle.

Ayant transféré à la fondation la responsabilité des indemnisations et de la remise en état du fleuve, l’entreprise Samarco se concentre sur la reprise de l’activité du complexe minier de Germano, où le barrage a rompu. Après le drame, elle a suspendu l’extraction. Et tente maintenant de récupérer toutes les autorisations nécessaires. Début décembre, Samarco a enchaîné les audiences publiques dans la zone pour présenter une nouvelle étude de faisabilité.

 

« De quoi a besoin Samarco pour recommencer à opérer ? », interroge le mini-dossier distribué au début de l’audience de Mariana, le 7 décembre dernier. À l’entrée du gymnase, tout le monde doit passer par des portiques de sécurité, tous les sacs sont vérifiés. À l’intérieur, des centaines de personnes sont assises sur des chaises en plastiques disposées entre les gradins. Des hommes surtout, des travailleurs de Samarco, en majorité.


Aucun sinistré n’est invité à venir s’exprimer

L’auteur de l’étude vient d’abord expliquer les nouvelles infrastructures de gestion des rejets miniers, d’approvisionnement en eau, de filtrage, et les nouveaux barrages que l’entreprise veut mettre en place pour relancer le complexe. Puis, ce sont presque uniquement des défenseurs fervents de Samarco qui prennent la parole sur le podium : porte-parole d’une association de producteurs ruraux, représentant syndical, maire de Mariana, représentant du patronat de l’Espírito Santo… Tous viennent clamer leur entière confiance dans l’entreprise et leur souhait de voir son activité reprendre au plus vite.

« Les accidents, ça arrive », dit l’un des intervenants. « L’environnement, c’est important, mais l’accès à un emploi aussi », insiste le maire. Le porte-parole d’une association sobrement nommée « Nous sommes tous Samarco » (Somos todos Samarco) demande même à ceux qui sont pour la reprise de se lever. La position de la salle est claire : presque tout le monde est debout. S’il est bien rendu un hommage bref aux victimes du 5 novembre 2015, pas un mot n’est prononcé pour ceux qui ont perdu leurs maisons et leurs sources de revenu avec la coulée de boue. Aucun d’entre eux, ni habitants des villages détruits, ni pêcheurs, ni, a fortiori, membre des communautés indigènes qui ont aussi été touchées par les dégâts environnementaux, n’est invité à venir s’exprimer sur l’estrade.


1.600 emplois supprimés, 250 millions versés aux actionnaires

C’est que Mariana vit principalement, depuis des siècles, de la mine, et depuis 40 ans de Samarco. Plus de la moitié de recettes de la municipalité vient des impôts payés par l’entreprise. Samarco emploie directement 3.000 personnes dans les deux États du Minas Gerais et de l’Espírito Santo, où elle gère un port destiné à l’export des minerais. Sans compter les travailleurs des sous-traitants. Depuis la rupture du barrage et l’arrêt du complexe minier, le chômage est passé de 5 à 23% dans la ville de Mariana.

Samarco avait déjà opéré un premier programme de départs volontaires et de licenciements, en 2016, supprimant plus de 1.000 postes. Mi-novembre 2017, soit quelques semaines seulement avant les audiences publiques, elle annonçait un nouveau programme de suppression de 600 emplois dans les deux États. Pourtant, en 2016, Vale, l’un de deux actionnaires de Samarco, a encore payé 250 millions de dollars de dividendes à ses actionnaires. C’était certes six fois moins qu’en 2015, mais cela reste 800 millions de reais. Or, payer pendant un an 3.000 salariés 3.000 reais par mois coûterait… 108 millions de reais.

Le jour de l’audience publique de Mariana, seules deux voix discordantes se sont exprimées sur l’estrade, deux activistes écologistes. Le premier s’est fait huer. La deuxième a souligné, articles de presse à l’appui, les bénéfices qu’ont généré, encore ces deux dernières années, les sociétés actionnaires de Samarco, et la proportion, finalement minime, que représentent les salaires des travailleurs face à cette somme. Elle, au moins, a terminé sa prise de parole sans sifflet.


« Si la mine rouvre maintenant, est-ce que Samarco ne va pas nous oublier ? »

« Pour les travailleurs de Samarco, c’est sûr que c’est une mauvaise chose que la mine soit arrêtée, dit José. Moi, je ne suis pas allé à l’audience pour cette raison. Je suis un sinistré. Qu’est-ce que j’irais faire là-bas ? Je vais parler, et ils vont me taper. Je pense aussi que Samarco doit reprendre l’activité de la mine. Mais seulement après nous avoir réinstallés, après nous avoir indemnisés. Si elle recommence maintenant, est-ce que Samarco ne va pas nous oublier ? »

Avec les suppressions d’emploi, les relations entre les habitants de la ville de Mariana, dépendants de la mine, et ceux des anciens villages détruits se détériorent. « Au début, tout le monde nous a beaucoup aidés. Mais avec le temps, ils nous ont rendu coupables des difficultés économiques, regrette Keila. Et la discrimination a commencé. Les gens disent que nous, nous vivons bien, alors qu’il y a des gens à Mariana qui ont faim. » Une situation que les activistes du MAB observent au quotidien. « Pour nous, les personnes qui ont perdu leur emploi à Samarco suite à la catastrophe sont aussi des “ sinistrés ” et devraient être reconnus comme tels pour revendiquer une indemnisation. Malheureusement, ce débat n’a pas eu lieu », déplore Leticia. Même le retraité de Samarco, Manoel Marcos Muniz, voit qu’il « n’est pas le bienvenu en ville ».

« Je pense que Samarco doit reprendre son activité. Mais avec une grande responsabilité. Et elle doit continuer à nous aider. Parce que nous, nous sommes des moustiques dans cette histoire. Il ne faut plus jamais que ce qui nous est arrivé se reproduise », insiste l’homme. Mi novembre, au moment de fortes pluies, les autorités du Minas Gerais s’inquiétaient pourtant des risques que présentait un autre barrage minier de la région, à Congonhas, à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Mariana. « Notre ville est très dépendante des mines, depuis longtemps. Mais pendant combien de temps encore y aura-t-il des minerais à extraire ? Nos gouvernants devraient faire de notre ville une ville meilleure, qui pourrait vivre d’autre chose que de la mine », pense l’ancien travailleur des mines, qui en est devenu une victime.

yogaesoteric

28 mai 2018

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