Pour Steve Bannon, l’éminence grise de Donald Trump, l’apocalypse est proche et la guerre inévitable
Nous précisons que lorsque nous publions ce type d’article, cela ne veut pas dire nécessairement que nous sommes d’accord avec ou qu’il s’agit d’une réalité. Il y a certains articles que nous publions simplement pour montrer l’avis, les convictions de personnages centraux de l’échiquier géopolitique actuel. Cette histoire de « figure messianique » que Bannon appelle « champion gris » sur fond d’apocalypse, ça valait le détour, surtout pour un proche conseiller du président US.
DONALD TRUMP – En 2009, l’historien David Kaiser, qui enseignait alors au Naval War College de Newport, dans le Rhode Island, a reçu un appel d’un certain Steve Bannon, aujourd’hui principal conseiller de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Celui-ci souhaitait l’interviewer pour un documentaire qu’il réalisait, inspiré de la théorie générationnelle de William Strauss et Neil Howe. L’universitaire, spécialiste de cette théorie, n’avait jamais entendu parler de ce type, mais il a accepté de participer. Il s’est rendu à Washington, au siège du groupe conservateur Citizen United, où travaillait alors Steve Bannon, pour une petite discussion.
Pour Bannon, l’histoire des États-unis alterne « crises majeures et réveils brutaux »
À la grande surprise de l’historien, son interlocuteur connaissait parfaitement les travaux de Strauss et Howe. Selon eux, l’histoire des États-Unis fonctionne par cycles de quatre étapes (les « quatrièmes tournants »), alternant crises majeures et réveils brutaux. Pour Steve Bannon, le pays a entamé ce tournant le 18 septembre 2008, quand Hank Paulson et Ben Bernanke sont allés demander au congrès de sauver le système bancaire mondial.
« Il connaissait cette théorie », raconte David Kaiser. « Et il prenait un plaisir évident à m’interviewer. » Dans ses questions, il insistait sur un point en particulier.
« Il parlait des guerres liées à ces quatrièmes tournants. Il y a eu la guerre d’indépendance, la guerre de Sécession, la Seconde Guerre mondiale, chacune étant plus importante que la précédente. Clairement, il s’attendait à ce que le tournant actuel connaisse un conflit majeur. Et n’a pas ménagé ses efforts pour que je le dise devant la caméra », ajoute-t-il.
Mais David Kaiser ne pensait pas qu’une guerre mondiale était à prévoir, et il l’a fait savoir. Cette série de questions ne figure pas dans le documentaire, une œuvre polémique sortie en 2010 sous le titre Generation Zero.
Il est persuadé de l’avènement de l’Apocalypse
Steve Bannon, aujourd’hui principal conseiller du président à la Maison-Blanche, est souvent présenté comme le principal générateur d’idées de Donald Trump. Cependant, dans ses interviews, discours et écrits (et notamment dans son adhésion aux idées de Strauss et Howe), il apparaît avant tout comme un homme persuadé de l’avènement prochain de l’Apocalypse.
Pour lui, nous sommes pris dans une guerre existentielle, et tout participe de ce conflit. Les traités doivent être dénoncés, les ennemis, nommés, la société, transformée. Un conflit mondial, s’il devait survenir, ne ferait que valider cette théorie. Le quatrième tournant est arrivé. Le Champion gris, une figure d’autorité messianique, est peut-être déjà parmi nous. L’Apocalypse est là.
« Nous assistons à la naissance d’un nouvel ordre politique », déclarait-il au Washington Post le mois dernier.
Chaque cycle dure 80 ou 100 ans et la dernière phase du cycle est l’apocalypse
William Strauss est mort en 2007, et Neil Howe n’a pas répondu à nos demandes de commentaires. Mais leurs livres parlent d’eux-mêmes. Le premier, Générations, publié en 1991, avance l’idée que l’histoire se déroule par cycles de quatre étapes, répétitifs et prévisibles. Les auteurs y affirment que les États-Unis sont en train de traverser la dernière phase du cycle actuel. Ils ont d’ailleurs peut-être été les premiers à employer par écrit le terme millenials (« enfants du millénaire ») pour désigner la jeune génération.
Leur théorie se fonde sur une série d’archétypes générationnels – les artistes, les prophètes, les nomades, les héros – que l’on dirait tout droit sortis d’un roman de SF pour jeunes adultes. Chaque cycle complet, ou sæculum, dure 80 à 100 ans. The Fourth Turning (« Le Quatrième Tournant »), publié en 1997, est consacré à la dernière phase du cycle, l’Apocalypse.
« Un leader inattendu viendra guider la nation vers le nouvel ordre, et exigera des sacrifices du peuple »
Leur postulat est que durant cette crise, un leader inattendu de l’ancienne génération viendra guider la nation et la génération des « héros » (les enfants du millénaire, en l’occurrence) vers un nouvel ordre. Cet homme, le « Champion gris » accédera au pouvoir par le biais d’une élection ou d’un autre événement (une guerre, peut-être). Son régime durera jusqu’à la fin de la crise.
« Les gagnants auront maintenant le pouvoir de mener leur programme, plus radical et moins graduel, dont ils ont longtemps rêvé, et que leurs adversaires ont dénoncés dans de sombres prédictions », écrivent-ils dans The Fourth Turning. « Ce nouveau régime prendra le pouvoir pour toute la durée de la crise. Quelle que soit son idéologie, il établira son autorité et exigera des sacrifices du peuple. Contrairement aux dirigeants actuels, enclins à alléger les pressions sociétales, le nouveau régime les aggravera sciemment afin d’accaparer l’attention du pays. »
« C’est du vent » estime un professeur de Princeton
Sean Wilentz, professeur d’histoire américaine à l’université de Princeton, explique que les modèles historiques cycliques sont des théories que les universitaires aiment brandir de temps en temps. Mais l’idée n’a pas pris parmi les historiens ni les acteurs politiques. « C’est juste un concept, une fiction inventée de toute pièce. C’est du vent », estime-t-il.
Michael Lind, historien et cofondateur de la New America Foundation, un think tank progressiste, qualifie les travaux de Strauss et Howe de « pseudo-scientifiques » et affirme que leurs « prédictions sur l’avenir des États-Unis sont en réalité aussi vagues que celles des horoscopes ».
Steve Bannon, lui, s’est laissé convaincre.
« Nous abordons à présent le quatrième tournant majeur de l’Histoire des États-Unis »
« Nous assistons à la quatrième grande crise de l’histoire américaine », expliquait-il en 2011 lors d’un discours à la Liberty Restoration Foundation, une association à but non lucratif, très marquée à droite. « Il y a eu la Révolution, la guerre de Sécession, la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. Nous abordons à présent le quatrième tournant majeur de l’histoire des États-Unis, et le pays sera complètement transformé une fois que nous l’aurons franchi. »
Les crises majeures « se produisent selon des cycles d’environ 80 ou 100 ans », précisait-il la même année, lors d’une conférence organisée par Project GoPink, le groupe des femmes du Parti républicain. « Et, dans les dix ou vingt prochaines années, nous allons traverser une crise de ce type. Nous verrons alors si notre pays est digne de l’héritage qui nous a été transmis, ou si nous assisterons à quelque chose d’entièrement différent. (…) L’Occident judéo-chrétien est en train de s’effondrer, d’imploser sous nos yeux. Les retombées de cet événement vont être gigantesques. »
La guerre approche, disait-il. « En fait, nous y sommes déjà. C’est la guerre. C’est la guerre. Tous les jours, nous mettons en gros titre : “ L’Amérique est en guerre.” Nous sommes en guerre. » (Steve Bannon, directeur de la stratégie et conseiller du président des États-Unis, en 2015)
Quelques autres déclarations:
• « Il y a un islam expansionniste, et une Chine expansionniste », affirmait-il en 2016 lors d’une émission de radio. « Ils sont motivés. Ils sont arrogants. Ils se sont mis en marche. Et ils pensent que l’Occident judéo-chrétien est sur le déclin. »
• « Face à l’islam radical, nous sommes engagés dans une guerre de cent ans », confiait-il à la station Political Vindication en 2011.
• « Je pense que nous serons en guerre en mer de Chine méridionale d’ici cinq ou dix ans », remarquait-il l’an dernier (2016), lors d’un entretien avec Lee Edwards, biographe de Ronald Reagan.
• « Nous sommes engagés dans une guerre ouverte contre le fascisme djihadiste et islamique », déclarait-il en 2014, dans un discours au Vatican. « Le conflit s’étend beaucoup trop vite pour les différents gouvernements en présence. »
• En 2015, lors d’un passage à la radio, il revenait sur la manière dont il pilotait Breitbart, un site d’information d’extrême droite. « C’est la guerre. C’est la guerre. Tous les jours, nous mettons en gros titre: “ L’Amérique est en guerre.” Nous sommes en guerre. »
Pour contrer ces menaces, soutenait-il, l’Occident judéo-chrétien doit se défendre, faute de quoi il perdra la guerre, comme en 1453 avec la chute de Constantinople. L’an dernier, il qualifiait l’islam de « religion de soumission », un jugement diamétralement opposé à celui de George W. Bush qui, après le 11 Septembre, y voyait encore une religion de paix. En 2007, Steve Bannon avait rédigé le premier jet d’un documentaire décrivant une « cinquième colonne » composée d’associations musulmanes, d’organes de presse, d’organisations juives et d’agences fédérales, œuvrant de concert pour renverser le gouvernement et imposer la charia.
« Il y a quelque chose de pourri au cour de l’Occident judéo-chrétien »
« Il est clair qu’il existe une cinquième colonne, ici-même, aux Etats-Unis », prévenait-il en juillet 2016. « Il y a quelque chose de pourri au cœur de l’Occident judéo-chrétien », confiait-il en novembre 2015. « La laïcité a retiré à l’Occident judéo-chrétien la force de défendre ses idéaux », soutenait-il durant sa conférence au Vatican. Selon lui, les « élites politiques » et les médias travaillent main dans la main avec l’islam tout entier et la Chine expansionniste pour saper les fondements de l’Amérique judéo-chrétienne.
Ce type de conflit existentiel occupe une place centrale dans les prédictions de Strauss et Howe. Selon eux, un quatrième tournant peut suivre quatre scénarios différents. Trois fois sur quatre, cela suppose un bouleversement massif.
Un « Armageddon homicide »
L’Amérique peut alors « renaître » de ses cendres, et il faut alors attendre 80 ou 100 ans avant que le nouveau cycle n’atteigne une nouvelle fois son point critique. Ce pourrait bien être la fin du monde moderne (la séquence de l’histoire occidentale qui, pour les auteurs de cette théorie, a commencé au XVe siècle). La catastrophe « épargnera peut-être la modernité, mais marquera la fin de notre pays ». Ou bien nous assisterons à « l’extinction de l’humanité », dans une guerre globale conduisant à un « Armageddon homicide ».
Aujourd’hui, un adepte de ces théories aussi vagues que fumeuses est à la Maison-Blanche. Et c’est le bras droit du président. « Nous allons devoir passer de sombres journées avant de contempler l’azur d’une aube nouvelle aux Etats-Unis », annonçait-il en 2010. « Nous connaîtrons d’atroces souffrances. Tous ceux qui s’imaginent que nous pourrons éviter cette épreuve vous trompent. »
« Ce mouvement », précisait-il en novembre dernier, « n’est que le début de la première manche. »
yogaesoteric
31 mars 2017