Pourquoi Dieu ne va pas partir. La science du cerveau et la biologie de la croyance (2)
par Iolanda Kosti
Aujourd’hui, à l’ère maximale de la pratique de la rationalité, le sentiment religieux est, bien que méprisé et repoussé dans la sphère de l’obscur, toujours présent. Pourquoi les gens gardent-ils leurs croyances ? Est-il possible qu’un jour la science efface Dieu de l’équation ? Des recherches relativement récentes en neurosciences offrent de nouvelles perspectives sur la résolution de ces questions troublantes, révélant un fait très simple et aussi très rigoureux du point de vue scientifique : le sentiment religieux est enraciné dans la biologie du cerveau humain.
Les chercheurs américains Andrew Newbeg, membre de l’équipe de Médecine nucléaire de l’Hôpital de l’Université de Pennsylvania, Eugène d’Aquili et Vince Rause fondent cette conclusion sur une longue étude sur le fonctionnement du comportement du cerveau humain. Au centre de la théorie scientifique des trois auteurs présentée dans le livre «Why God won’t go away. Brain science & the biology of belief» se trouve un modèle neurologique qui offre un lien entre l’expérience mystique et les fonctions cérébrales observables.
Lisez ici la première partie de cet article :
Pourquoi Dieu ne va pas partir. La science du cerveau et la biologie de la croyance (1)
La formation du mental dans le cadre de l’ontogenèse
La voie dont le moi se forme est un mystère, mais les trois chercheurs américains pensent qu’il peut prendre naissance par un processus de «réification». La réification est la capacité de convertir un concept en une chose concrète ou, plus brièvement, d’accorder à quelque chose la qualité d’être réel ou vrai. Dans sa définition neurologique, le terme se réfère à la puissance de l’esprit pour donner sens et substance à ses propres perceptions, pensées, croyances et considérer qu’ils ont une signification particulière.
Le cerveau de l’enfant commence à interagir avec le monde d’au-delà de ses sens et de ses opérations internes, produisant des sons et des actions physiques. Dans un premier temps, le cerveau extériorise ces actions, puis les observe et les analyse. Ensuite, il les intériorise comme des informations nouvelles. Enfin, le cerveau identifie ou réifie ces actions, pensées, émotions comme étant le «moi».
Imaginez un enfant qui balbutie dans son berceau. Lorsqu’il entend le babillage, ceci devient une partie du monde extérieur et il est présenté au cerveau de l’enfant comme une nouvelle «entrée» (stimulus) sensorielle, que le cerveau reconnaît comme étant un résultat de son propre fonctionnement neurologique. Dans le même temps, le cerveau de l’enfant perçoit la présence de sa mère, qui répond au son de son babillage, le bébé applaudissant ravi. Le cerveau de l’enfant ne peut trouver aucune corrélation en lui-même pour ce comportement, en d’autres termes, il reconnaît le comportement de sa mère comme quelque chose de différent de lui-même. En comparant ces perceptions, le cerveau de l’enfant commence à reconnaître les catégories générales de stimuli sensoriels – le premier est une conséquence de son comportement, le second est un stimulus qu’il ne génère ou ne contrôle pas. La perception de ces catégories est la première étape dans la capacité du cerveau à tracer une ligne entre la réalité intérieure subjective et la réalité extérieure du monde.
A mesure que l’expérience avec le monde extérieur se poursuit, le cerveau de l’enfant est capable de reconnaître un nombre croissant de comportements qui semblent être les siens. Les diverses fonctions indépendantes – les pensées, les émotions, les intentions, les actions et les souvenirs – sont probablement classées ensemble comme un système unique, distinct et cohérent. En d’autres termes, elles seront réifiées en quelque chose de familier, durable et très personnel, le «moi».
Ce «moi» n’est pas identique au mental. Le mental existe avant lui et, d’une manière ou d’une autre, il nourrit les souvenirs, les émotions essentielles ainsi que les autres parties composantes essentielles qui forment le “moi”. Si ces éléments pouvaient être en quelque sorte décelés, la formation du moi deviendrait plus clair.
Les auteurs de cette étude estiment que c’est exactement ce qui se produit lorsque l’aire d’orientation et d’autres aires qui pourraient maintenir un sens du moi sont touchées, privées de nouveaux stimuli sensoriels. On isole alors ces aires des souvenirs, des émotions et des modèles de comportement que le mental reconnaît comme étant le moi. Cette modification n’a pas pour effet de priver le mental de conscience, mais simplement libère la conscience du sens ordinaire, subjectif du moi, ainsi que de tout le sens de la spatialité du monde où ce moi pourrait exister. Tout l’ensemble des constructions du mental conscient – les émotions, les souvenirs, les pensées et les intuitions sans forme, par lequel nous connaissons le moi – vont se dissoudre dans cette pure conscience fondamentale qui serait le plus profond et véritable moi, le soi universel décrit par les mystiques.
Comment se produisent du point de vue neurologique les états de conscience supérieurs ?
Ils sont le résultat de la diminution du sens commun du moi et créent la sensation d’absorption dans une réalité plus vaste. En étudiant les SPECT (single photon emission computed tomography) du cerveau pendant la méditation, les chercheurs américains ont remarqué que ces sensations sont produites suite à la modification de l’activité de l’aire cérébrale qui assemble le sens de l’orientation (aire que nous appelons en bref zone d’orientation), notamment parce qu’elle est privée de stimuli neuronaux.
Cette zone corticale est située à l’arrière du lobe pariétal et reçoit des stimuli sensoriels à partir du sens du toucher et des autres sens, en particulier de la vue et de l’ouïe. Ceci lui confère la possibilité de créer la sensation de tridimensionalité du corps et d’orientation de celui-ci dans l’espace. Il y a deux zones d’orientation situées dans chaque hémisphère cérébral, et qui accomplissent des tâches différentes mais connexes, montrées dans les images SPECT. La zone d’orientation de l’hémisphère cérébral droit est responsable de la création de la matrice de neurones, que nous éprouvons en tant qu’espace physique, et celle de l’hémisphère cérébral gauche joue un rôle très important dans la création du sens du moi subjectif.
La modification de l’activité de la zone d’orientation peut être produite par les activités rythmiques des comportements rituels (religieux ou non) et par diverses autres formes de comportement rythmique, par exemple, écouter une musique ambiante lente, la récitation ou la lecture d’un beau poème, bercer un bébé ou des activités dynamiques comme la course de fond, les jeux amoureux, l’enthousiasme à la vue d’un spectacle impressionnant etc. Ce processus de changement de l’activité au niveau de la zone d’orientation conduit à des moments d’unité spirituelle transcendante aux degrés d’intensité divers selon le niveau de blocage d’écoulement de neurones vers cette zone corticale.
Nous pouvons décrire un continuum unitaire des états de conscience, où le point de départ (le plus bas) est l’état quotidien et familier dans lequel nous vivons : manger, dormir, travailler, interagir avec les autres. Tandis que nous sommes conscients de notre connexion avec le monde autour de nous, nous éprouvons un état d’individualité distincte.
A mesure que nous avançons le long de ce continuum, l’état de séparation du monde diminue de plus en plus. Nous pouvons éprouver des sensations faibles d’unification, par exemple à travers l’art ou la musique ou en nous promenant dans la forêt en automne. Nous pouvons atteindre des états plus profonds d’unité lorsque nous sommes romantiques ou amoureux. En outre, nous pouvons expérimenter des états spirituels d’extase spirituelle, par exemple à partir d’une expérience amoureuse tantrique. A l’extrémité supérieure du continuum sont les états de complète transcendance du moi individuel limité et de totale unité spirituelle avec l’univers, que les mystiques de toutes les traditions authentiques ont décrits.
Pour atteindre ces états supérieurs de conscience, les voies spirituelles mettent à disposition des méthodes spécifiques appropriées, qui éveillent dans l’être de l’aspirant des énergies très intenses. Ainsi, certains méditent afin de concentrer l’énergie du mental comme un laser, d’autres pour le rendre parfaitement calme et dissoudre toute pensée troublante qui pourrait distraire sa nature ultime, tandis que d’autres utilisent l’immense énergie naturelle de l’éros pour le même but.
L’abord passif
Toute approche spirituelle commence par un acte de volonté. Dans le modèle de la méditation passive, il y a tout d’abord l’intention de purifier nos pensées, nos émotions et nos perceptions. Cette intention consciente est induite par la zone corticale de l’attention – la source primordiale des actions volontaires – comme une nécessité de protéger le mental des intrusions sensoriels et des stimuli cognitifs. À cette fin, la zone de l’attention se transforme via le thalamus en structure limbique appelée hippocampe, centre important d’échange d’informations entre les différentes parties du cerveau afin de réduire le flux de stimuli neuronaux. Ce blocage neural influence de nombreuses structures cérébrales, y compris la zone d’orientation qui est de plus en plus privée d’informations et dont l’activité est modifiée.
Dans les premiers instants de méditation, ce changement est faible, mais à mesure que l’état méditatif devient plus profond et que la zone de l’attention fait des efforts pour garder le mental imperturbable devant les pensées, la zone d’orientation est avec l’hippocampe de plus en plus dépourvue de flux neuronal. Comme le blocage continue, de véritables effusions de l’influx nerveux commencent à circuler avec l’énergie croissante de la zone d’orientation, dont l’activité est modifiée par le système limbique, vers la structure neuronale connue sous le nom de l’hypothalamus. Ce dernier relie les activités plus évoluées du cerveau avec les fonctions de base du système nerveux autonome et contrôle sa capacité à créer des sensations de relaxation (la composante parasympathique) ou de tonification (la composante sympathique). Les impulsions qui atteignent l’hypothalamus ont un effet puissant sur le système parasympathique. Ceci génère en arrière du système limbique une explosion d’impulsions neuronales qui atteint finalement la zone de l’attention. Celle-ci enregistre des impulsions de relaxation et les renvoie dans le circuit pour un autre tour.
Ainsi, le circuit créé dans le cerveau gagne de la puissance à mesure que les impulsions glissent encore et encore le long du chemin neuronal. Ils créent ainsi une résonance spécifique, produisant une méditation de plus en plus profonde à chaque reprise de ce cycle.
Pendant ce temps, le sujet qui médite continue le processus de vider le mental de pensées, provoquant progressivement la formation de l’énergie nerveuse qui bloque de plus en plus l’entrée du flux de stimuli sensoriels dans la zone d’orientation. Il en résulte un changement de plus en plus accentué de l’activité de cette zone corticale et une augmentation proportionnelle du taux de décharges neurales à travers le système limbique vers l’hypothalamus. Ce bombardement neural continu pousse bientôt la fonction de relaxation de l’hypothalamus à sa limite. Ces niveaux élevés de relaxation génèrent une diminution proportionnelle de la fonction du système sympathique. Dans ces conditions survient le « renversement » neurologique, l’activation maximale du système parasympathique déclenche une réponse immédiate de dynamisation maximale du système sympathique.
Au fur et à mesure que les systèmes sympathique et parasympathique se dynamisent de plus en plus, le mental est submergé par un flot énorme de neurones, provoquant un état de calme et d’éveil en même temps. Le résultat est une « explosion » de l’activité neuronale qui s’élève tout à coup de l’hypothalamus, à travers le système limbique vers la zone d’attention déterminée à travailler à pleine capacité. En réponse, la modification de l’activité de la zone d’orientation augmente et, dans un intervalle de quelques millisecondes, elle est au maximum.
Le stoppage total des stimuli neuronaux a un effet radical tant sur le côté droit de la zone d’orientation que sur le côté gauche. Le côté droit de la zone d’orientation, en charge de créer la matrice des neurones qui nous donnent la sensation de l’espace, sera privé de l’information nécessaire pour créer le contexte spatial nécessaire au moi pour s’orienter. La seule option pour lui est de générer une sensation d’absence totale de l’espace, qui sera interprétée par le sujet comme un sentiment d’espace infini et d’éternité, ou, au contraire, comme vide dépourvu de temps et d’espace. Dans le même temps, le côté droit de la zone d’orientation, qu’on a décrit comme ayant un rôle crucial dans la génération du sens subjectif de soi, n’est plus en mesure de reconnaître les limites corporelles. La perception de soi devient alors celle d’illimitation. En fait, le sentiment du moi individuel n’existe alors plus du tout.
Dans cet état de totale modification de l’activité de la zone d’orientation, le mental perçoit une réalité neurologique similaire aux nombreuses descriptions des états mystiques d’unité spirituelle ultime : les objets ou les êtres qui nous entourent ne sont plus perçus, tout comme disparaît la sensation d’espace et de passage du temps. Il n’y a plus de séparation entre moi et le reste de l’univers. En fait, le sens de l’individualité séparée disparaît totalement, il y a seulement un état d’unité absolue – sans pensées, sans mots, sans sensations. Nous continuons d’exister, mais sans le sentiment de l’ego et dans un état de conscience pure et indifférenciée.
Gene et Andrew appellent cette condition énigmatique l’état d’Existence Absolue Unifiée. Dans les traditions mystiques de l’Orient, il est connu sous le nom de Vide, Conscience Absolue, Nirvana, Brahman, Atman, Tao. Quel que soit le nom qui lui est attribué, cet état d’unité ineffable est unanimement considéré comme l’essence ineffable de tout ce qui existe, la vérité pure. Au niveau neurologique, ces états peuvent être expliqués comme une séquence de processus neuronaux qui sont déclenchés par l’intention volontaire de calmer le mental conscient. Ces états élevés de conscience représentent le but millénaire de la méditation passive.
L’abord actif
Les méditations actives ne commencent pas avec l’intention de purifier le mental des pensées, mais avec celle de le focaliser avec intensité sur une pensée ou un objet particulier. Par exemple, un bouddhiste répète un mantra ou se concentre sur la flamme d’une bougie ou au-dessus d’un bol d’eau, tandis qu’un chrétien prie, le mental concentré sur Dieu ou sur le symbole de la croix.
Imaginez que nous concentrons notre attention, mentalement, sur l’image de Jésus. Le processus de méditation commence comme dans le cas de l’approche passive avec la zone de l’attention, ce qui traduit en termes neurologiques l’intention consciente de prier. Mais dans ce cas, puisque notre intention est celle de nous concentrer sur un objet ou une pensée, la zone de l’attention facilite le flux neuronal, au lieu de l’inhiber.
Dans notre modèle, cette augmentation du débit neuronal détermine le côté droit de la zone d’orientation (responsable de la création de la matrice espace-temps) simultanément avec la zone visuelle à fixer l’objet réel ou imaginaire dans le mental. La focalisation continue sur l’image induite par la contemplation soutenue provoque des décharges neuronales du côté droit de la zone de l’attention qui circule en bas à travers le système limbique vers l’hypothalamus. Ceci déclenche la dynamisation du système nerveux sympathique. Il en résulte un état agréable de légère excitation. A mesure que la contemplation s’approfondit, la circulation de l’influx nerveux augmente jusqu’à ce que la fonction réveil de l’hypothalamus atteint un maximum. A ce point se produit le basculement, provoquant immédiatement la croissance au maximum de la fonction d’activation parasympathique de l’hypothalamus.
La dynamisation simultanée du système sympathique et parasympathique envoie un flux neuronal, qui produit une stimulation maximale à travers le système limbique vers les deux côtés de la zone de l’attention. En raison du flux neural maximal, l’activité de la zone de l’attention est poussée à un niveau de fonctionnement maximal, ce qui augmente la capacité de concentration du mental sur l’objet de l’attention, générant des répercussions importantes sur les deux côtés de la zone de l’orientation.
Au niveau de la zone d’orientation de l’hémisphère cérébral gauche, on observe les mêmes résultats qu’on a surpris à l’approche passive: la restriction du flux neuronal exercé par l’hippocampe conduit à une modification de l’activité, d’où résulte la perturbation du sens du moi. Les effets sur le côté droit de la zone d’orientation sont cependant assez différents. Rappelons-nous que la zone de l’attention a déterminé la zone d’orientation à se concentrer de plus en plus sur l’image de Jésus. A mesure que la zone de l’attention atteint le niveau de fonctionnement maximal, elle cesse de bloquer la circulation de l’information vers le côté droit de la zone d’orientation, comme elle l’a fait avec celui vers la gauche. Au contraire, la zone de l’attention a déterminé le côté droit à se focaliser davantage sur l’image de Jésus.
Pour une focalisation très intense sur cette image, la zone de l’attention commence à priver le côté droit de la zone d’orientation de stimuli neuronaux différents de ceux issus de la contemplation de l’image de Jésus. En d’autres termes, le côté droit de la zone d’orientation, à mesure qu’elle s’efforce de créer une matrice spatiale dans laquelle le moi puisse exister, n’a rien d’autre à faire fonctionner que les impulsions provenant de la zone de l’attention. Par conséquent, la seule possibilité est de créer une réalité spatiale de la contemplation unidirectionnelle dirigée vers la zone de l’attention, l’image de Jésus. Comme le processus se poursuit, que toutes les impulsions nerveuses non pertinentes sont supprimées et que le mental devient plus concentré, l’image de Jésus «s’expansionne» et en vient à être perçue par le mental comme occupant la totalité de l’ouverture et de la profondeur de la réalité.
Parallèlelement avec la modification de l’activité dans le côté droit de la zone d’orientation, la modification de l’activité dans le côté gauche augmente également, ce qui provoque la diminution de la perception des limites du moi. Lorsque le sens de l’ego est totalement anéanti par la complète modification de l’activité dans cette zone, le mental expérimente l’étonnante perception d’absorption mystérieuse du moi individuel dans la réalité transcendante de Jésus. Ainsi, la neurologie peut expliquer l’Unio Mystica, l’union mystérieuse avec Dieu qui caractérise les expériences spirituelles des mystiques chrétiens. En fait, les neuroscientifiques peuvent expliquer en termes neurologiques tout état mystique où on perçoit la présence d’une divinité personnelle.
Il est cependant important de comprendre que cet état de fusion n’est pas l’état de transcendance totale ou d’existence absolue ultime, où il n’y a plus du sens de moi individuel ou de perception de Dieu ou de la réalité. Cependant il est très probable que la méditation active, qui a conduit le mystique à l’Unio Mystica, pourrait le conduire encore plus loin, à l’état ultime. Cela se produit lorsque le mental se détend (dans son effort de concentration) et lorsque la zone de l’attention affaiblit son activité, privant ainsi la zone d’orientation de l’unique influx nerveux existant, en la projetant, ensemble avec le côté gauche, dans l’état d’activité totalement modifiée. À ce stade, le mental va entrer dans la même réalité dépourvue du sens de l’ego et de limites que celle obtenue pendant la méditation passive: la réalité de l’existence absolue unifiée.
Il ne peut y avoir plusieurs versions d’un état d’unité absolue
Du point de vue neurologique et philosophique, il ne peut y avoir deux versions de l’état absolu d’unification. Mais il peut «être» différent, rétrospectivement, selon les croyances culturelles et les interprétations personnelles: une religieuse catholique peut interpréter toute expérience mystique comme une fusion avec Jésus, tandis qu’un bouddhiste qui ne croit pas en un Dieu personnifié peut interpréter la fusion mystique comme une fusion avec le vide. A ce stade, il est important de comprendre que les différentes interprétations sont d’ inévitables distorsions de la subjectivité. Dans l’état d’existence absolue unifiée, les observations subjectives sont impossibles – d’une part il n’y a pas de moi subjectif qui les produise, et d’autre part, il n’y a rien de séparé de l’observateur. L’observateur et l’objet de l’observation sont les mêmes, il n’y a pas de degrés de différenciation, ou de ceci et de cela comme le disent les mystiques. Il n’y a que l’unité absolue et il ne peut y avoir deux versions d’une même réalité unique.
Sur quoi se base l’intolérance religieuse
L’histoire montre que l’intolérance religieuse est avant tout un phénomène culturel, fondé sur l’ignorance, la peur, les préjugés, la xénophobie et le chauvinisme ethnique. Mais les auteurs de cette étude estiment que l’intolérance a sa source dans quelque chose de plus profond que la simple étroitesse mentale. Ils pensent qu’elle est basée sur les mêmes expériences transcendantes qui nourrissent la foi en la suprématie absolue de dieux personnifiés.
Comme nous l’avons vu, les états transcendants se retrouvent le long d’un continuum de niveaux progressifs, de plus en plus élevés d’existence unifiée, continuum qui se termine à un point où l’unité devient absolue. Dans l’état d’unité absolue, il n’y a pas de versions concurrentielles de la vérité. Il n’existe que la vérité elle-même, donc les croyances conflictuelles ou d’autres contradictions ne sont même pas possibles. Si toutefois un mystique ne parvient pas à réaliser l’unité absolue – si, en termes neurologiques, l’activité de la zone d’orientation n’est pas complètement bloquée – , alors la conscience de la subjectivité ne disparaîtra pas complètement et le mystique interprétera cette expérience comme une union mystique et ineffable entre soi et un autre.
La neurobiologie d’un tel état – Unio Mystica – a été examinée pendant la présentation de la méditation active. Comme tous les états profonds d’unité, cette unité mystérieuse va créer une forte sensation de réalité: les mystiques vont même ressentir au niveau très organique qu’ils se trouvaient en présence de la réalité absolue. Un chrétien pourrait appeler cette vérité Jésus, un musulman peut invoquer le nom d’Allah, dans les cultures primitives, elle pourrait être interprétée comme un fort esprit de la nature. Mais dans chaque cas, il s’agit de l’expérience d’une vérité spirituelle séparée qui est au-delà de toute autre vérité.
La «découverte» d’une telle vérité à travers l’expérience mystique donne au croyant un puissant sentiment de contrôle sur les caprices du destin, autrement incontrôlables. La présence d’un fort allié spirituel convainc le croyant que sa vie fait partie d’un plan compréhensible, que le bien gouverne le monde et qu’en fin de compte, la mort elle-même peut être vaincue. Ce qui rend ces croyances un peu plus réels que de simples rêves, c’est que Dieu, qui est derrière elles, a été perçu lors d’une réunion mystique et directe comme une vérité effective absolue. Toute provocation quant à l’authenticité de cette vérité est donc une attaque non seulement contre quelques idées sur Dieu, mais aussi contre une certitude plus profonde soutenue du point de vue neurobiologique, qui rend Dieu réel. Si Dieu est irréel, alors il en est de même avec notre plus grande source d’espoir et de rédemption.
Il ne peut y avoir qu’une seule vérité absolue, il s’agit d’une question de fondement existentiel. Toutes les autres ne sont que des menaces de nature essentielle et elles doivent être exposées comme les escroqueries. En d’autres termes, la présomption de la vérité «unique» fondée sur l’intolérance religieuse peut provenir des états incomplets de transcendance neurobiologique. Lorsque le processus de la transcendance est mené à la logique extrême et neurobiologique, le mental est confronté à un état d’unité absolue, sans concession, où tous les conflits, toutes les contradictions et toutes les variations concurrentielles de la vérité disparaissent en une unité harmonieuse et unique. Si ces idées sont vraies, si les religions et les dieux qu’elles définissent sont en fait des interprétations de l’expérience transcendantale, alors toutes les interprétations de Dieu ont leur source en fin de compte dans la même expérience de l’unité transcendante. Cela reste vrai, que la réalité ultime soit réelle ou qu’elle soit seulement une perception neurologique causée par la condition cérébrale inhabituelle. Par conséquent, toutes les religions sont liées. Aucune d’entre elles ne peut détenir la vérité ultime; tout au plus, elles guident les cœurs et le mental dans la bonne direction.
L’histoire de l’humanité prouve que peu de religions ont souhaité assumer une telle vision globale et pleine de compréhension, et le conflit était presque toujours la règle. Cependant, il y a des signes encourageants qu’un certain nombre d’importants penseurs religieux ont commencé à accepter la possibilité, voire la perspective, que toutes les religions partagent un but spirituel commun.
L’état mystique est-il la perception d’une réalité ou seulement un état subjectif ?
Nos outils de perception qui nous disent que rien n’est plus réel que la terre sur laquelle nous marchons et la chaise sur laquelle nous sommes assis peuvent nous pousser à rejeter la réalité spirituelle. Un examen approprié de l’expérience mystique nous montre cependant que cela ne peut être fait facilement. Comme nous l’avons vu, nous ne pouvons affirmer catégoriquement que les mystiques sont des victimes de l’illusion, parce que leurs expériences sont basées sur des fonctions observables du cerveau. Les origines neurologiques de ces expériences les rendent aussi réelles que toute autre perception du cerveau. Donc, les mystiques ne soutiennent pas des fantasmagories; ils rapportent des événements neurologiques authentiques.
C’est la conclusion tirée par les chercheurs américains et elle exige une question provocatrice sur la nature ultime de la spiritualité humaine : toute forme de spiritualité ou d’expérience de la réalité de Dieu peut-elle être réduite à un éphémère flux d’impulsions et d’éclairs électrochimiques qui «courent» le long des voies nerveuses du cerveau ? Sur la base de notre compréhension actuelle de la façon dont le cerveau transforme l’influx nerveux dans des perceptions de l’expérience humaine, la meilleure réponse est oui. Dans ce cas, nous affirmons que Dieu est juste une idée, n’ayant plus de substance qu’un fantasme ou un rêve ? Sur la base de la compréhension profonde de la façon dont le mental interprète les perceptions du cerveau, la réponse la plus simple est non.
La science de notre cerveau ne peut confirmer ou nier l’existence de Dieu, du moins pas par de simples réponses. Les aspects neurobiologiques de l’expérience spirituelle soutiennent l’opinion de la réalité de Dieu. Cependant, nous interprétons et filtrons ce que notre cerveau nous dit être réel, par la conscience subjective de soi.
La science est mythologie et, comme tout système mythologique de croyances, elle est basée sur une hypothèse fondamentale : tout ce qui est réel peut être vérifié par des mesures scientifiques et donc tout ce qui ne peut pas être vérifiée scientifiquement n’est pas vraiment réel. Après tout, l’autorité de la science est ancrée dans l’hypothèse que la réalité matérielle est la réalité dans sa forme la plus haute, qu’il n’y a rien de plus réel que la substance physique et matérielle de l’univers. Mais même dans la perspective scientifique, la nature de la réalité matérielle pourrait être beaucoup plus «glissante» que nous le suggèrent nos sens. Albert Einstein pensait certainement ainsi. En 1938, il a exprimé la conviction que les interprétations scientifiques sur le monde physique seraient moins sûres que ce que les rationalistes matérialistes veulent croire :
«Les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain, et non pas comme cela puisse paraître, déterminés sans doute par le monde extérieur. Dans notre effort pour comprendre la réalité, nous ressemblons à un homme qui essaie de comprendre le mécanisme d’une horloge scellé. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend même le tic-tac, mais il ne peut pas ouvrir la boîte. S’il est ingénieux, il peut concevoir une idée sur un éventuel mécanisme responsable de toutes les choses qu’il observe, mais il ne pourra jamais être sûr que cette image est la seule explication pour ses observations. Il ne sera jamais en mesure de comparer l’image qu’il a fait avec le mécanisme réel et il ne peut même pas imaginer la possibilité ou la signification d’une telle comparaison.»
La chose la plus précise que la science peut nous offrir est une image métaphorique de la réalité, et si cette image a un sens, cela ne signifie pas que c’est nécessairement vrai. Dans ce cas, la science est une sorte de mythologie, un recueil d’histoires explicatives qui résolvent certains des mystères de l’existence et nous aident à faire face aux défis de la vie. Cela serait valable même si la réalité matérielle était en vérité le plus haut niveau de la réalité, parce que malgré l’inquiétude de la science quant à la vérité objectivement vérifiable, le mental humain est incapable d’observations purement objectives. Toutes nos perceptions sont, de par leur nature, très subjectives, parce que de même que nous ne pouvons pas regarder à l’intérieur de l’horloge d’Einstein, il n’y a pas moyen de se faufiler en dehors de la subjectivité du cerveau pour voir la réalité derrière. Cela signifie donc que toute connaissance scientifique est métaphorique. Même les plus simples perceptions sensorielles du monde environnant peuvent être vues comme une histoire explicative créée par le cerveau.
yogaesoteric
Mai 2014
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