Propagande et hypocrisie sociale : comment le totalitarisme instrumentalise-t-il le dogme du « bien commun » ?

par Ariane Bilheran

Ce texte interroge le penchant au conformisme et à l’hypocrisie sociale qui forment le terreau indispensable de toute dérive totalitaire. Le pouvoir totalitaire dicte de nouveaux codes de conduite en société. L’idéologie fige les discours dans un délire collectif de type paranoïaque. Les réactions sectaires se font toutes au nom de « vertus » : le « bien commun », « l’altruisme », la « responsabilité », activant dans le psychisme humain l’idéal narcissique du sauveur. Toutes ces supposées vertus ont une seule et même fonction : culpabiliser le citoyen, qui n’est jamais assez responsable ou altruiste », qui ne se sacrifie jamais assez pour le « bien commun ». Le citoyen trouve ainsi son confort et sa gratification narcissique dans la gloire de participer à une « œuvre supérieure » pour lequel il se sacrifie. L’article analyse le rituel d’initiation pour cimenter la culpabilité commune et entraîner une aliénation à un délire collectif, dans lequel il s’agit de faire taire au nom de la vertu.

Sur le sujet du totalitarisme, Hannah Arendt avait beaucoup étudié le rapport du totalitarisme aux masses : manipulation par la propagande, idéologie toujours en mouvement, etc. J’ai complété cette analyse philosophique par mes apports en psychopathologie, en considérant en particulier que le totalitarisme est un discours délirant de type paranoïaque qui soumet les psychismes par du harcèlement savamment orchestré, et les rend, au mieux, névrosés obsessionnels graves (« le fonctionnaire qui fonctionne »), au pire, schizophrènes, ou pris eux-mêmes dans le délire paranoïaque (ce que j’ai nommé « contagion délirante », voir les mécanismes dans Psychopathologie du totalitarisme[1] et Psychopathologie de la paranoïa[2]).

Il existe tout de même un point sur lequel il semble important de revenir, et il concerne le penchant au conformisme et à l’hypocrisie sociale, qui forment le terreau indispensable de toute dérive totalitaire. Rappelons au préalable que nous entendons par masse un agrégat d’individus ayant perdu leur esprit critique et se rassemblant dans une sorte de mystérieux « collage » d’émotions qu’ils éprouvent, sans pour autant qu’elles leur appartiennent en propre.

Les masques sociaux de la vertu

Nous le savons, il faut un minimum de « codes » et d’adhésion à une attitude et des rituels conventionnels pour former une société. Par exemple, si vous êtes invité, vous veillerez à vous tenir bien à table, à attendre que la maîtresse de maison s’assoie et commencer à manger quand ou vous en donne la permission. Vous ne confondrez pas les couverts du poisson et de la viande ni les verres pour le vin et l’eau, etc. Tous ces codes traditionnels du « bon comportement social » permettent en temps ordinaire d’apprécier une vie civilisée, polie, sinon galante. Or, le pouvoir totalitaire dicte de nouveaux codes de conduite en société, de nouveaux rituels de politesse. Prenons l’exemple du masque. J’ai remarqué à plusieurs reprises qu’il était devenu l’indice du service, d’une serviabilité, pour ne pas dire, d’une servilité. Vous allez au restaurant, et votre serveur porte le masque. Nous avons aussi tous ces exemples de photographies d’hommes et de femmes politiques qui sourient sans le masque, entourés d’une cour de laquais masqués. Le masque est un nouveau rituel de comportement social, un marqueur de soumission, de déférence et d’allégeance.

Pour tout endoctrinement, il s’agit pour le pouvoir totalitaire de créer des équipes de jeu, un peu comme dans les équipes sportives des préadolescents : l’équipe des jaunes, qui a pour nom « les ouistitis », pour valeur « le courage », pour slogan « les ouistitis, unis pour la vie », et d’autres codes encore, comme le t-shirt, le badge, le fanion, autant de rites qui créent un sentiment d’appartenance. Évidemment, l’appartenance signe la désaffiliation du groupe : si vous n’affichez pas les codes sociaux convenus, vous êtes suspects. La fameuse « loi des suspects », qui fut le meilleur instrument de la Terreur en 1793 : arrestation immédiate, sans motifs ni preuves, de tous ceux qui « n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution » ou de ceux qui « n’ayant rien fait contre la Liberté, n’ont rien fait pour elle. »

Il faut donc, pour ne pas avoir de problèmes avec le groupe, et y être pleinement intégré – ce qui répond à sa satisfaction de l’instinct grégaire primaire qui est le nôtre – non seulement afficher tous les nouveaux codes suggérés par le pouvoir totalitaire, mais encore en devenir les ardents défenseurs. Je n’étais pas Charlie en 2015. Non pas que je cautionne un quelconque attentat. Mais, ne pas cautionner un attentat ne me rendait pas a contrario militante de caricatures vulgaires, destinées à blesser des croyances, qui doivent rester de l’ordre de l’intime. Je me suis fait alpaguer, car je n’étais pas Charlie. J’étais le vilain petit canard du groupe, celui qui ne va pas à la communion rituélique, à la larmoyante messe de masse (aux côtés de politiques criminels de guerre…….), qui n’affiche pas sa photographie sur son compte Facebook, qui n’a pas son badge. J’étais devenue une « mauvaise citoyenne » et, pour un peu, une « terroriste ». Pire, j’ai vécu des ruptures amicales fracassantes pour proposer, à côté de l’hystérique « Je suis Charlie », d’autres sujets de débat, comme ce qui se passait en Syrie ou au Donbass.

Le groupe vomit tout ce qui n’est pas conforme à ses nouveaux codes sociaux. Le pouvoir totalitaire joue en permanence, dans sa propagande de masse, de l’angoisse d’abandon et d’ostracisme : il est d’autant plus important de se coller vite tous ensemble dans une équipe, avec son fanion, son nom, sa photo, son badge, son slogan, de façon à ne pas se retrouver seul désigné par la vindicte. Et celui qui ne joue pas explicitement, avec ferveur et ardeur, dans et pour l’équipe devient un ennemi de l’équipe.

Ces rituels proposés par le pouvoir n’ont de prise que parce que la grande majorité des individus fonctionne à l’hypocrisie sociale, aux masques de la vertu. Intégrer une équipe, c’est être, de toute évidence, « quelqu’un de bien ». Sinon, on est un paria, celui de la « mauvaise réputation » de Brassens. Celui qu’il vaut mieux ne pas fréquenter, car il couvre de honte qui le fréquente. Ou qu’il conviendra de fréquenter uniquement en secret.

Aujourd’hui, la politique n’est devenue qu’un vaste territoire d’ingénierie sociale, où chacun peut choisir son équipe : soutien à l’Ukraine (petit drapeau sur les réseaux sociaux, incitations aux dons dans les supermarchés, etc.), soutien aux réductions énergétiques, soutien aux injections, etc.

Plus les slogans sont simples et plus les actes rituéliques sont absurdes, mieux ça marche : on se souvient du café assis plutôt que debout[3] pour éviter les contaminations ! Citons Top Santé, le 27 octobre 2022 : « Covid-19 : plus on bouge, plus l’efficacité du vaccin augmente »[4] ou encore « Essence : ne remplissez surtout pas votre réservoir après le clic de la pompe »[5]. On se souvient aussi de l’incitation aux cols roulés[6], « question de sobriété », de la « cuisson passive » (ou comment faire cuire ses pâtes avec de l’eau bouillie en deux minutes[7]).

Il est légitime de se demander si les journalistes le font exprès, mais je crois que pour la plupart, ils sont eux aussi pris dans cette dynamique de l’ultra-conformisme : surtout, être plus royaliste que le roi. S’il faut dire que le roi est vêtu des plus beaux habits pour lui plaire, alors qu’il est nu, rivalisons de courtisanerie !

Résumons donc l’ingénierie sociale permanente :
« le slogan, la chanson et le vocabulaire d’appartenance, l’identité visuelle dont la couleur, le ou les objets rituéliques (bannière, badge, autocollant, fanion, etc.), l’incitation à changer de comportement avec la distribution de protocoles simplistes……. Tout contribue à créer la ligne de fracture entre le bon citoyen lobotomisé qui a le bon langage, le bon comportement, les bons gestes, le masque social suggéré et le mauvais citoyen. Le bon citoyen aura des récompenses ! Le mauvais sera puni. »

Les réactions sectaires et endoctrinées se font toutes au nom de « vertus » : le « bien commun », « l’altruisme », la « responsabilité », activant dans le psychisme humain l’idéal narcissique du sauveur. « Je suis bien, je suis comme il faut, je suis responsable, je contribue au ” vivre ensemble “, je suis dans la prévention, la protection, je sauve les autres, ma patrie, etc. » Et pour maintenir cette haute image de moi-même que me distribue ce pouvoir comme un bon point, je suis prêt à me plier à toutes les imbécilités protocolaires de ces campagnes de propagande (« chaque geste compte ») sans jamais les questionner : « Je baisse, j’éteins, je décale ».

« Portière gauche main droite, portière droite main gauche »[8] : le 3 octobre 2022, la sécurité routière en France nous explique que, pour éviter les accidents, nous serions plus à même de regarder dans notre rétroviseur en ouvrant la portière de la main opposée à la portière. « Ce changement de main entraîne mécaniquement la rotation des épaules », nous dit-on. Je me suis demandé si les séances d’ostéopathie à la suite de cette contorsion nécessaire au « bien commun » seraient remboursées par la sécurité sociale. Sur le site, parrainé par le ministère de l’Intérieur, il est indiqué que cette campagne permettrait de diminuer les accidents, le gouvernement est en effet préoccupé par « la plus forte hausse de mortalité » chez les cyclistes. Un petit tour en voiture dans Paris ou dans Genève permet aisément de comprendre que la problématique ne réside pas tant dans le maniement des portières que dans le sentiment de toute-puissance donné aux cyclistes, qui ne respectent ni les feux rouges ni les sens interdits, sur des pistes cyclables construites de façon souvent fort anarchique. Qu’à cela ne tienne : la faute va aux automobilistes et à leur manière d’ouvrir leur portière. Il serait tout de même intéressant de statuer sur la relation réelle entre le nombre de portières ouvertes sans regarder le rétroviseur et la mortalité des cyclistes.

Ces protocoles du « bien commun » non seulement renvoient la culpabilité d’un problème X ou Y au citoyen lambda (et non aux gros poissons qui commettent, eux, les véritables crimes et délits), mais ont en outre pour vocation de nous noyer dans les détails. Si je suis préoccupée par la technique qui permet de réduire l’émission de CO2 de 80% par rapport à une cuisson classique en faisant bouillir l’eau de mes pâtes, évidemment, je ne vais pas regarder du côté des plus gros pollueurs de la planète. Cette tactique de perdre les gens dans les détails est souvent, notons-le, utilisée dans les procès par les profils paranoïaques, de façon que nous perdions totalement de vue le véritable sujet et que leur culpabilité soit évidemment diluée.

La politique n’est devenue qu’un vaste territoire de marketing : « quand c’est trop, c’est tropico », « boire ou conduire, il faut choisir », « tous vaccinés, tous protégés », « à chaque vaccination c’est la vie qui reprend », avec le clip qui accompagne le slogan[9]…….

Elle joue en permanence sur nos émotions et des pseudos-valeurs, comme la supposée tolérance, qui devient de l’amalgame confusionnant : « face à l’intolérance, à nous de faire la différence ».

Nous voici donc à l’ère de la politique Moulinex !

Et si le marketing politique peut également jouer sur nos désirs orgasmiques à « hurler de plaisir », il ne faudrait tout de même pas que le moindre scrupule moral ne l’arrête.

Il faut induire dans la population des réflexes pavloviens, standardiser les comportements. On parle de « compétences » à acquérir. Rappelons-nous les fameux « Standards pour l’éducation sexuelle en Europe » de l’OMS : il s’agit ni plus ni moins que de l’ambition de « standardiser » la sexualité pour l’enfant, par « la matrice » d’information à acquérir, d’apprentissage de « compétences sexuelles », d’attitudes sexuelles « à développer », sur différents sujets, dont un, absolument fabuleux : « les déterminants sociaux et culturels de la sexualité », dont il s’agirait évidemment de se libérer (normes culturelles, règles sociales, religion, lois – si, si……. – etc.). La proposition est simple : la nouvelle norme est bien de s’affranchir de toutes les normes ! En clair, la culture est relative, la morale est relative, la religion est relative, l’ordre public est relatif, la loi est relative, la sécurité publique, la santé publique sont relatives. Seule n’est pas relative l’idéologie du sexe, qui l’emporte sur tout le reste, comme c’était déjà écrit dans la « Déclaration des droits sexuels »[10].

La rhétorique du totalitarisme est toujours la même. Et les vertus invoquées aussi : la « responsabilité », « l’altruisme » et le « bien commun » sont les éternels mots-clés. Citons Dupont Moretti, le 5 juillet 2023 : « mieux accompagner, mieux responsabiliser et parfois mieux sanctionner ».

Toutes ces supposées vertus ont une seule et même fonction : culpabiliser le citoyen, qui n’est jamais« assez responsable », qui n’est jamais « assez altruiste », qui ne se sacrifie « jamais assez » pour le « bien commun ».

En somme, le citoyen trouvera son confort et sa gratification narcissique dans la gloire de participer au « bien Commun ». Le bon et le bien, oui, mais sans le questionner, et surtout : sans effort. Un peu comme dans le rachat des bons sentiments en allant voir le film Sound of Freedom[11]. Ce qui épargne au passage d’aller entendre les témoignages des véritables survivants de ces atrocités. C’est la « bonne conscience » bon marché…….

Omniprésente aujourd’hui, sur différents sujets cruciaux, l’ingénierie sociale distribue des codes rituéliques signant l’appartenance à une équipe de jeu, que les gens choisissent pour être celle désignée par le pouvoir. Ils font ainsi le pari d’avoir davantage de chances de « gagner ».

Ce mécanisme n’est toutefois pas suffisant pour obtenir un changement radical de société par la soumission aux idéologies totalitaires. Il en existe un autre, plus caché, plus tapi, plus secret, mais néanmoins indispensable pour créer la cohésion de la masse : le rituel d’initiation. Comme dans les gangs américains, nous pourrions décrire cette intronisation collective en termes bruts : réaliser un acte sale en groupe, en être complice. Peu importe que cet acte soit visible et reconnu ou non, du moment qu’il est effectif, donc su par l’inconscient (ou la mauvaise conscience). Il peut s’agir d’actes de délation (les plateformes gouvernementales de délation qui fleurissent laissent à cet égard songeur) ou d’actes criminels que l’on commettra sans les qualifier.

La culpabilité commune

En France, il y a bien eu des « suspendus » durant des mois, c’est-à-dire des individus laissés sans ressources, sans revenus professionnels et sans assistance, dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de leur famille, privés de leurs droits fondamentaux. Il y a eu des professions interdites de travailler, car elles étaient jugées « non essentielles » (restaurateurs, artistes, etc.). Il y a eu des classes maternelles à 13 degrés[12] pour se conformer à la campagne gouvernementale sur la « sobriété énergétique ». À ce sujet, est-ce la « sobriété énergétique » ou la « santé pour tous » qui prime dans l’idéologie gouvernementale ?

Après que l’idéologie a stabilisé les trois vertus factices : responsabilité, altruisme et « bien commun », dans sa logique de sacrifice de l’individu pour le collectif, l’endoctrinement se raffermit par la culpabilité de l’individu au sein du groupe. Tous ceux qui n’ont rien dit quant aux maltraitances commises sur tous ces individus sacrifiés, sur les euthanasies dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPADs), sur tous ces enfants martyrisés à l’école (et nous avons recueilli beaucoup d’exemples de maltraitances avérées au nom de l’idéologie), sont complices de non-assistance à personne en danger et coupables. Même s’ils ne l’admettent pas consciemment, la mauvaise conscience, elle, le sait. On peut tricher avec tout le monde sauf avec elle.

A minima, il faut faire semblant d’adhérer à l’idéologie pour ne pas être persécuté. Cette hypocrisie sociale implique de taire le crime et de le camoufler sous les masques de la vertu.

Et puis, il a les zélés : ceux qui y croient dur comme fer, qui vendraient père et mère pour satisfaire ce sentiment d’être enfin utiles à quelque chose dans la société, pour honorer l’instinct grégaire en calmant leur insécurité fondamentale au bénéfice d’une reconnaissance sociale.

Une fois la culpabilité commune acquise, il est indispensable d’y entraîner les autres : « je ne peux pas avoir tort, je ne peux pas être coupable seul. Je ne suis d’ailleurs pas coupable, je suis un bon citoyen, responsable, altruiste, œuvrant pour le ” bien commun ”. Il faut donc que je rallie d’autres gens à ma cause et désigne des coupables à ma place. »

L’endoctrinement est donc la garantie de survie de l’équipe de jeu. Le prosélytisme de l’idéologie protège le secret pervers qui enterre cette culpabilité. Vite, ciblons les plus vulnérables afin de gonfler rapidement les troupes : les enfants[13].

L’individu fanatisé se conforte dans son illusion de véracité sur le mensonge qu’il se raconte à lui-même[14].

Le prosélytisme et la fabrication de la haine

La propagande dominante incite d’ailleurs les équipes de jeu à se consolider par du prosélytisme, des danses tribales et des refrains guerriers. Prenons l’exemple du clip et de la chanson des gestes barrières pour l’école[15] propagée par le gouvernement dans les écoles en France :

Lavez-vous les deux mains une demi-minute
En récré prenez soin d’éviter les disputes
Respectez la distance avec tous les copains
D’un mètre dit la science et puis tout ira bien !

La condition requise
Pour aller mieux demain :
Ne faites plus de bises,
Ne serrez pas de mains
Et pour être peinards, soyez mobilisés

Nom d’un petit pangolin
Je sais pas ce qui me retient
D’renvoyer sur Vénus
Ce satané virus !
Et nom d’une chauve-souris
Mais quand va-t-il filer d’ici ?
Déserter notre globe
Satané microbe !

La « science » totalitaire est invoquée, celle qui oblige à une distance d’un mètre, à ne plus s’embrasser et à ne plus serrer les mains ; mais la chanson confond virus et microbe et envisage que nous pourrions chasser un virus de la terre… Il s’agit donc d’une chanson tout aussi délirante que fanatique. Il en est de même quant à la promotion de la vaccination des enfants, où pour faire passer la piqûre, les enfants sont encouragés à se mettre sous réalité virtuelle[16]……. Tout un programme du futur « bon citoyen ».

Que, dans la réalité, des enfants aient été placés en quarantaine, isolés et séparés de leurs parents, dans des chambres sans fenêtre durant 60 jours (selon un témoignage que j’ai recueilli de quarantaines à l’entrée en Chine) ou qu’ils aient été laissés sans instruction durant des mois (mon propre constat en Colombie) ne sauraient émouvoir cette communauté acquise à la cause du méchant virus.

La « bonne conscience »

C’est ici que nous devons comprendre que la haine se fabrique à partir de la « bonne conscience » (qui dissimule la mauvaise). La dérive totalitaire correspond au déploiement d’une contagion délirante symptomatique d’un délire paranoïaque collectif[17]. Or, dans la paranoïa, il existe un mécanisme d’idéalisation archaïque : le paranoïaque est incapable de savoir ce qui constitue sa propre position subjective (et celle d’autrui). Au fond, il est vide et ne se maintient que par l’existence de ce Moi idéal (la représentation qu’il se fait de lui-même). C’est exactement ce qui se passe pour les individus endoctrinés : ils sont vides et luttent contre leur chute dépressive en se raccrochant à cette « bonne conscience » qui leur fait être reconnus et validés par leurs pairs, comme « quelqu’un de bien », « un bon citoyen ». La psychopathologie traditionnelle indique que la psychose paranoïaque[18] utilise systématiquement, et de façon détournée, les bons sentiments en invoquant l’idéal du « sauveur ».

La fascination de l’idéal soutient les individus sur le plan narcissique : enfin, ils existent pour quelque chose et sont invités à se sacrifier pour une cause. Vite, tricotons des pulls, applaudissons les soignants à 20 heures et tissons des masques ! Plus l’acte coupable collectif est passé sous silence, banalisé et normalisé, plus il faut le dissimuler sous « la bonne conscience » et la haine de l’ennemi. Il en va de la survie psychique face à un danger d’effondrement dans la dépression ou la psychose.

C’est bien le rôle de l’idéologie : colmater les éventuelles fissures qui pourraient craqueler la plaque de béton qui couvre le secret pervers de la culpabilité réelle. L’idéologie se doit d’être radicale comme la certitude intangible qui commande, impérative, l’action et nie l’altérité. René Kaës nous dit, dans son livre L’idéologie :
« Porteuse de certitudes absolues, la position idéologique radicale ne tolère aucune transformation. Elle s’affirme, contre l’incertitude et l’inconnu, comme une pensée contre le penser ou comme une ” authentique inaptitude à penser ” par prévalence du déni et du désaveu. Elle commande une action et elle la justifie. Elle est impérative, soupçonneuse, n’admet aucune différence, aucune altérité et prononce des interdits de pensée. Elle est sous-tendue par des angoisses d’anéantissement imminent et par des fantasmes grandioses de type paranoïaque. […] La position idéologique radicale est une organisation narcissique fondée sur un déni collectif de perception de la réalité au profit de la toute-puissance de l’Idée, de l’exaltation de l’Idéal et de la mise en place d’une Idole, ou fétiche. »[19]

L’individu, impuissant face à un idéal tyrannique, car inatteignable, projette la haine de soi sur autrui : il faut haïr et cibler qui susciterait la moindre déception dans l’idéal paranoïaque (par exemple, celui qui doute de l’idéologie officielle).

L’aliénation au délire

Le sujet se retrouve aliéné à un discours du maître supposé infaillible qu’il idéalise : le chef, l’idéal, le sauveur. Exonéré de la souffrance du conflit et de celle du rejet par le groupe, il sacrifie une part de soi au profit de l’illusion, confortable, d’être totalement pris en charge. L’état d’aliénation a un effet anesthésiant : l’aliéné jouit de son appartenance à un discours commun qui l’enveloppe, le porte, le berce, le materne, l’infantilise. Il reçoit une novlangue venue d’ailleurs et la transmet avec ferveur. Et tant pis si la pseudo-rationalité qu’il transmet est parfaitement imbécile : « Il faut s’habituer. La bonne nouvelle c’est que tous les efforts qu’on va faire pour diminuer la facture, c’est aussi pour la planète. »[20]

Le totalitarisme favorise toujours les dimensions collectivistes qui noient la responsabilité de l’individu dans le groupe : aujourd’hui, on nous serine le « fonctionnement collaboratif », ou la « communauté » (par exemple, la « communauté de soin »). On nous parle d’implantation : il faut « implanter des projets ». Ce nouveau prêt-à-penser dilue tout engagement politique dans ses actes. Il n’y a plus d’identification à soi-même comme être singulier, mais une aspiration identificatoire à une collectivité tenue par l’idéologie et un langage d’initiés.

Faire taire au nom de la vertu

Et c’est bien au nom des « valeurs suprêmes », du bien, du devoir, de l’idéal pseudo-moral, pseudo-sanitaire, pseudo-religieux, pseudo-pacifiste, etc. – du moment que l’on obtient le silence complice – que les questions et les doutes des citoyens sont invalidés, leur liberté d’expression, limitée, leur droit de réfléchir et de diriger leur conscience avec nuances, nié. La guerre pour sauver la paix, les licenciements pour sauver l’économie, le contrôle pour sauver la liberté, la ségrégation du prochain pour sauver l’altruisme, etc.

Le totalitarisme engage le citoyen à être « vertueux ». À force de camoufler les contradictions, de supprimer les autres angles d’analyse, « l’honnête citoyen » devient en réalité celui qui, des vertus cardinales, n’en possède plus aucune : ni prudence, ni tempérance, ni justice, ni courage. Il n’est « bon citoyen » que parce qu’il contribue activement à rendre invisible ce qui ne doit pas être vu au profit des instincts grégaires, d’un supposé progrès……. vers la régression. Les discours creux et stupides ont cette fonction sociale d’alimenter les débats sur du vide : La respiration humaine contribue-t-elle au réchauffement climatique ?[21], « heureusement que vous vous êtes fait vacciner car sinon votre covid aurait été plus sévère »……. Les phrases convenues sont devenues la nouvelle politesse sociale, les gestes de bonne conduite ne sont plus de la classique bienséance, mais ce que dicte la sphère politique au travers des médias de masse.

Les discours politiques eux-mêmes sont devenus absolument absurdes, mais cela ne dérange plus. Après le 14 juillet 2023, Emmanuel Macron promet à Pau en réponse aux émeutes : « Nous allons construire des décisions profondes dans les prochaines semaines qui vont percoler dans le temps ». Sandrine Rousseau nous explique qu’elle fait des gestes rituéliques qui représentent « le vagin, le sexe des femmes »[22]. Le flicage entre citoyens doit avoir lieu dans les moindres recoins de la vie quotidienne : qu’as-tu donc sacrifié pour l’idéologie ? Les politiques encouragent à toujours davantage d’infantilisation et nous encouragent par exemple à délaisser notre sèche-linge pour un étendoir[23]….…

L’inversion accusatoire est de mise avec les mêmes processus de désignation de l’ennemi. Les fascistes sont ceux qui ne parviennent pas à épouser corps et âme l’idéologie du moment. Ainsi, le « carbo-fascisme, nouvelle tendance du populisme »[24], désigneraient ceux « qui s’opposent à la science et à l’idée que les gens doivent changer leur style de vie, donc ils nient le réchauffement climatique ». Les « arguments débunkés » fleurissent, le « pourquoi les climatosceptiques ont tort », au nom de l’éternel « consensus scientifique », qui ne fait précisément pas consensus[25].

Les engagements sont standardisés : tous les artistes s’engagent pour la guerre en Ukraine, pour le port du masque, etc. Mais combien sont capables d’indépendance ? On a vu le prix qu’a payé Sophie Marceau pour avoir eu l’insolence de relayer le film Hold-Up[26].

La santé publique, c’est la guerre, nous le savons depuis mars 2020 : 413 milliards d’euros dépensés pour la loi de programmation militaire en France. Conséquence de l’abdication de l’individualité : la mutualisation des biens et leur réquisitionnement sur caprice du pouvoir.

Le cri de ralliement au groupe est donc pulsionnel, primitif, simpliste, avec des insignes de reconnaissance où chacun emprunte un faux self collectif, ânonne une langue technicisée et mécanique qu’il ne comprend pas, ce qui évite les tourments de devoir penser par soi-même.

Ne pas se faire le relais de la folie totalitaire

Ces masques de vertus dont se réclame le totalitarisme sont bel et bien aux antipodes des vertus cardinales et théologales……. Nulle prudence, tempérance, justice, courage (virtus). La charité, l’espérance et la foi sont quant à elles détournées pour servir l’idéologie.

Il existe une citation célèbre régulièrement attribuée à Soljenitsyne, sans que je ne sois parvenue à en identifier la provenance dans son œuvre, selon laquelle l’individu seul n’a pas les moyens de s’opposer à la machine totalitaire du mensonge, mais peut au moins éviter de s’en faire un relais. Plus que du mensonge, il s’agit à mon sens surtout de ne pas se faire un relais de la folie : ne pas se plier aux rituels hypocrites de la vertu ; ne pas participer aux discours qui reprennent en chœur les poncifs ; ne pas être un relais de la terreur totalitaire ; ne pas faire allégeance aux masques de la vertu.

Notes :
1. Bilheran, A. 2023. Psychopathologie du totalitarisme, Trédaniel.
2. Bilheran, A. 2016. Psychopathologie de la paranoïa, Dunod, 2ème éd. 2019.
3. https://www.europe1.fr/sante/covid-19-interdiction-de-consommer-debout-dans-les-bars-et-cafes-une-mesure-incomprehen-sible-4085857
4. https://www.topsante.com/medecine/maladies-infectieuses/zoonoses/vaccin-covid-exercice-physique-653098
5. https://www.presse-citron.net/essence-ne-remplissez-surtout-pas-votre-reservoir-apres-le-clic-de-la-pompe/
6. https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/bruno-le-maire-vante-son-col-roule-question-de-sobriete_208284.html
7. https://www.bfmtv.com/societe/comment-cuire-ses-pates-en-faisant-bouillir-l-eau-seulement-2-minutes_VN-202210200827.html
8. https://www.securite-routiere.gouv.fr/portiere-gauche-main-droite-portiere-droite-main-gauche
9. https://www.youtube.com/watch?si=OD9DcOmnqa0lhBqj&v=BHPu4KGXrsw&feature=youtu.be
10. Bilheran, A. 2017. L’imposture des droits sexuels, Bookelis, 5ème éd. 2022.11. Despot, S. 2023 « L’homme qui ne rit plus », Antipresse 399, 23 juillet 2023.
11. Despot, S. 2023 « L’homme qui ne rit plus », Antipresse 399, 23 juillet 2023.
12. https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/eure-et-loir/pas-de-chauffage-en-maternelle-et-en-primaire-mon-fils-garde-son-manteau-en-classe-2628936.html
13. https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2020/01/12_bruneteau.pdf
14. Bilheran, A. 2017. « Terrorisme : jeunesse, idéaux et paranoïa », in revue Soins, Elsevier. https://www.arianebilheran.com/post/terrorisme-jeunesse-ideaux-et-paranoia
15. https://www.youtube.com/watch?v=U7MyHIJWmkk
16. https://twitter.com/TheAvnerSolal/status/1643955747137495040
17. Bilheran, A. 2023. Psychopathologie du totalitarisme, Trédaniel.
18. Bilheran, A. 2016. Psychopathologie de la paranoïa, Dunod, 2ème éd. 2019.19. Kaës, R . 2016. L’idéologie. L’idéal, l’idée, l’idole, Dunod
19. Kaës, R . 2016. L’idéologie. L’idéal, l’idée, l’idole, Dunod.
20. https://twitter.com/RTLFrance/status/1686264740794839040
21. https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/rechauffement-climatique-respiration-humaine-contribue-t-elle-rechauffement-climatique-14867/
22. https://twitter.com/BFMTV/status/1577339439101231109
23. https://www.bfmtv.com/politique/sobriete-energetique-gilles-le-gendre-confie-avoir-delaisse-son-seche-linge-au-profit-d-un-eten-doir_AD-202209280644.html
24. https://www.leparisien.fr/international/le-carbo-fascisme-nouvelle-tendance-du-populisme-27-10-2018-7929555.php
25. https://www.wikiberal.org/wiki/Liste_de_scientifiques_sceptiques_sur_le_réchauffement_climatique
26. https://www.ladepeche.fr/2020/11/11/coronavirus-sophie-marceau-promeut-le-documentaire-hold-up-et-provoque-un-tolle-9195107.php

 

yogaesoteric
24 juillet 2024

 

Leave A Reply

Your email address will not be published.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

This website uses cookies to improve your experience. We'll assume you're ok with this, but you can opt-out if you wish. Accept Read More