Shamballa est réel (X)
Le messager porteur de la connaissance
par Monica Dascălu
Le voyage au Shamballa fascine même aujourd’hui tous les chercheurs spirituels qui connaissent l’existence et la réalité concrète du Centre d’initiation planétaire. Depuis la première mention historique de Shamballa dans les textes traditionnels tibétains, de nombreux yogis se sont demandés de façon très naturelle et pratique quel est le chemin à suivre pour y arriver. Bien sûr, les yogis peuvent voyager à Shamballa dans leur corps astral, mais beaucoup plus excitant pour ceux qui osent est le voyage qui commence dans le physique.
Si nous envisageons un but particulier ou si nous voulons atteindre une destination particulière, nous pouvons regarder le chemin vers notre objectif ultime avec deux attitudes totalement différentes. Ainsi, certains voyageurs – peu dévoués envers leur sublime objectif– estiment que le chemin est la distance qu’ils ont à parcourir pour atteindre la destination, ou en d’autres termes, l’espace qui les sépare et les éloigne de leur objectif ultime et ainsi ils parviennent même à détester le chemin qu’ils ont à parcourir. D’autres voyageurs le considèrent comme un fil conducteur qui les relie à leur but, les y conduisant en fin de compte. Les véritables chercheurs spirituels, nous enseignent la tradition de la sagesse planétaire enseigne, aiment le chemin spirituel, car il les mène à Dieu. Les véritables voyageurs à Shamballa sont amoureux de la voie vers lui, la voie qu’ils ont à faire.
La tradition tibétaine concernant le Shamballa contient un certain nombre de Guides de voyage qui décrivent le chemin vers ce royaume mystérieux des sages. La plupart de ces guides sont inspirés du Tenjur (ou Tengyur), la deuxième partie du canon tibétain, qui se compose de 255 volumes de commentaires aux enseignements bouddhistes traditionnels. Nous présentons ci-dessous quelques extraits d’un texte d’une facture un peu différente des autres, pour illustrer comment les initiés tibétains ont présenté sous une forme cryptée, la route vers Shamballa.
Le Guide de voyage duquel nous allons citer quelques passages clés s’appelle « Le Messager porteur de la connaissance » et se distingue de tous les autres principalement par le style dans lequel il est écrit et le contexte dans lequel il est intégré. L’auteur de ce guide est un prince tibétain, Rinpung Ngawang Jigdag (en bref, Rinpungpa), qui a vécu au XVIe siècle et a régné sur une grande partie du Tibet. Il est considéré jusqu’à nos jours comme un des plus grands poètes tibétains – même son Guide est écrit comme un poème – mais malheureusement, il semble qu’il n’était pas aussi habile en rôle de gouvernant, il a été éloigné du trône par son ministre, quelques années après avoir écrit ce texte.
Rinpungpa a écrit « Le messager porteur de la connaissance » en 1557 sous la forme d’une lettre adressée à son père, qui avait quitté le plan physique et, selon lui, était rené à Shamballa. Dans cette lettre, le prince tibétain se confesse à son père lui expliquant les différents problèmes administratifs et sociaux auxquels il était confronté, il se lamente sur les difficultés rencontrées, etc. La partie du poème qui contient le Guide vers Shamballa est très ingénieusement introduite: l’auteur visualise la manifestation d’un « Messager », un yogi auquel il confie la lettre pour son père. Ensuite, l’auteur indique au Messager quel est le chemin qu’il doit parcourir pour atteindre Shamballa. Mais accordons la parole à cet initié tibétain qui a décrit de manière détaillée le chemin vers Shamballa un demi-siècle avant la traduction du Guide de voyage inclus dans le Tenjur. Le texte est paraphrasé avec de la prose parce que la poésie culte tibétaine est extrêmement touffue, pleine de fioritures et de tournures de phrase.
Dans le poème « Le messager porteur de la connaissance » écrit par le poète initié Rinpungpa on peut distinguer un niveau purement intérieur du voyage initiatique, à cause de l’attention que l’auteur accorde aux expériences intérieures, notamment à la méditation yogie. Cette interprétation symbolique est basée sur l’analogie fondamentale entre le microcosme de l’être humain et le Macrocosme (l’Univers): tout ce qui existe dans l’Univers existe sous une certaine forme et dans une certaine mesure dans l’être humain aussi – et vice-versa. Ainsi, le Centre initiatique planétaire suprême correspond au « centre » de l’être humain, son Cœur spirituel, le Soi suprême, immortel, Atman. Le chemin vers Shamballa corresponde analogiquement à la voie spirituelle qui nous conduit de l’état initial profane à la révélation de notre Soi suprême, Atman.
Le Guide de Rinpungpa est certainement destiné aux yogis qui maîtrisent assez bien certains procédés et techniques yogies, secrètes tantriques. Pour ces adeptes tantriques avancés, la distinction usuelle entre l’extérieur et l’intérieur disparaît et donc le monde extérieur et le monde intérieur du yogi sont interdépendants et se reflètent mutuellement de manière explicite et évidente. En outre, le voyage extérieur vers Shamballa a intrinsèquement des significations intérieures mises en correspondance avec différentes étapes que le yogi doit parcourir pour atteindre la libération spirituelle.
Tout d’abord, il est très significatif que l’auteur du poème cherche au début quelqu’un à l’extérieur pour lui confier le message à son père, mais il ne trouve personne pour cette tâche. Cet échec lui fait tourner son attention vers l’être intérieur, il visualisant un yogi doté du pouvoir et de la sagesse nécessaire pour atteindre le Royaume caché. Tout comme les divinités visualisées dans certaines formes de méditation du yoga tantrique tibétaine, ce yogi est la manifestation d’un niveau beaucoup plus pur et plus profond de l’être que la conscience de l’état de veille. En d’autres termes, dans cette interprétation, celui qui entreprendra le voyage est Rinpungpa même, mais non pas dans l’état de la conscience commune à la plupart des gens (qui est en fait un état d’inconscience), parce que rien dans cet état de conscience ne peut fournir ni l’énergie, ni la sagesse nécessaires pour avoir accès à Shamballa. Seul l’éveil des aspects supérieurs les plus profonds du mental et de l’âme peut nous aider à surmonter les obstacles qui apparaissent sur ce chemin.
« Prenez ce message et portez-le à mon père en Shamballa. Que ces paroles porteuses de vérité puissent conquérir les montagnes du dualisme et vous guider le long du chemin, en vous aidant également à surmonter tous les obstacles qui se manifesteront dans votre chemin. Allez d’abord à l’autel du palais de Rinpung et demandez à mon Père de vous bénir. Ensuite, allez vers Shigatse, le monastère patronné par mes divinités tutélaires et demandez leur aide pour la réussite de votre voyage à Shamballa. Vous devez ensuite traverser le Tibet central, visitant les monastères et les sanctuaires situés le long de la route… » (Ici ce texte comprend un parcours, un long circuit de pèlerinage à travers le Tibet, Himalaya, Népal, retournant ensuite au mont sacré Kailash. Le messager est conseillé de chercher à obtenir le soutien des diverses divinités, mais aussi à rencontrer différents grands yogis).
Rinpungpa envoie son messager dans un pèlerinage aux lieux sacrés du Tibet et du Népal, ce qui correspond à la conscientisation de l’empreinte que l’environnement culturel dans lequel nous sommes formés pose sur notre façon de penser, d’agir et de sentir. Cette empreinte de l’environnement affecte aussi toutes les perceptions, la vision sur nous-mêmes et sur le monde. La conscientisation de ces influences permet la connaissance de soi qui nous aidera finalement à pénétrer jusqu’aux « racines » de notre ego, pour réussir à l’anéantir. Même à ce niveau de l’environnement culturel et spirituel, le yogi peut recevoir quelques conseils et avoir des intuitions inspiratrices, signifiées par les bénédictions qu’il reçoit. L’idée de base est que ce n’est pas possible de progresser spirituellement si nous ignorons complètement notre condition actuelle, en imaginant que nous sommes autrement (par exemple, plus intelligents, plus généreux, plus libres, plus élevés) que nous le sommes en réalité.
« Du haut du mont Kailash continuez votre chemin vers le nord-ouest, vers le Ladakh, et puis allez vers le sud à travers les montagnes et les forêts, jusqu’à ce que vous atteignez la vallée du Cachemire. Là il y a de belles forêts de safran et de santal qui répandent des parfums suaves et aussi des prairies vertes ravissantes. Dans ce lieu paradisiaque il y a trois millions de localités et dans toutes ces localités les maisons sont ornées de pierres précieuses et ont les murs en cristal… De belles femmes aux yeux bleu foncé et des seins incitants vous jetteront des regards séduisants… soyez prudent et évitez le piège de la passion, rappelez vous de votre objectif et continuez votre chemin. »
La suivante étape du périple mène le yogi dans la belle vallée du Cachemire, où toute la description suggère un état de rêverie dans lequel apparaissent beaucoup d’éléments fantastiques, état qui se manifeste souvent chez les yogis débutants dans la pratique de la méditation, en glissant dans de tels états de rêverie très agréable. Cet état idyllique, très agréable, du mental, est le premier obstacle majeur sur la voie vers Shamballa, car il crée un fort attachement que le yogi doit surmonter en se souvenant du but poursuivi. En particuliers les fantasmes érotiques (symbolisés par de belles femmes) sont très tentants à ce niveau, et même s’ils peuvent être profondément bénéfiques pour les êtres humains, leur place ne devrait pas être dans ces méditations!
« Ensuite le voyage devient plus difficile. Vous devez suivre des sentiers étroits à travers un dédale de montagnes effrayantes. Beaucoup de ces sentiers mènent à des vallées d’où aucun voyageur ne peut revenir. Si vous choisissez une de ces voies erronées, vous seriez irrémédiablement perdu. Mais si vous êtes audacieux et vous consacrez tous vos efforts pour le bien de tous les êtres humains, vous réussirez à vous en sortir des montagnes et vous allez atteindre une région habitée par la tribu Paksik, la tribu des chevaliers portant des turbans blancs et des tuniques en coton. Bien qu’ils aient la poitrine large et un regard menaçant, ils sont très aimables et ils ne vous feront pas de mal.
Laissez derrière vous ces chevaliers et allez vers le nord, en traversant les plaines. Après plusieurs jours de voyage, vous entrez dans une forêt dense avec des arbres si hauts qu’ils atteignent les nuages. Pour cette raison, tout ce qui se trouve à leur base est immergé dans une obscurité oppressante. Bien qu’il n’y ait pas de lumière pour vous aider à voir la route, vous devez trouver votre chemin à travers la forêt. De l’autre côté de ce passage sombre et lugubre vous tombez sur une rivière sauvage et mousseuse, Sita. »
Dans la plupart des guides de voyage à Shamballa, la rivière Sita (identifiée par certains chercheurs comme le fleuve Tarim en Asie centrale) est le dernier repère identifiable sur les cartes géographiques connues.
Tout en quittant le Cachemire, le yogi pénètre dans un dédale vertigineux et effrayant formé par des montagnes où de nombreux chemins trompeurs peuvent l’écarter définitivement de son chemin. Ces montagnes symbolisent le domaine encore inconnu et déroutant du subconscient suivant de faux maîtres spirituels ou de faux chemins, ou dans certains cas elles indiquent le fait qu’il peut avoir des problèmes physiques ou mentaux qui peuvent être parfois irréversibles. A ce stade de son évolution, le yogi doit chercher avec ardeur et foi en lui-même, devenant réceptif envers le guidage mystérieux de sa propre voix intérieure, comme le suggère très expressivement le voyage à travers la forêt sombre où le yogi, bien qu’il n’ait pas de source de lumière extérieure, il doit trouver en lui les ressources et une certaine forme de connaissance directe, expérimentale, qui lui permettront de traverser les ténèbres des niveaux profondes de la « forêt » de l’inconscient.
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Yogaesoteric
2013