Un fœtus sauve sa mère en se sauvant lui-même
Angioscanner (coupe sagittale) : le dos du fœtus est extériorisé à travers la zone de rupture utérine.
C’est un cas clinique spectaculaire que rapportent des obstétriciens, néonatologistes et radiologues du CHRU de Lille dans un article publié en ligne le 3 juin 2017 dans l’European Journal of Obstetrics, Gynecology, and Reproductive Biology. Il concerne une femme qui se présente aux urgences de l’hôpital, à 36 semaines d’aménorrhée, pour d’importantes douleurs abdominales d’apparition soudaine. Agée de 31 ans, cette patiente a déjà eu une césarienne en 2013. Celle-ci avait été réalisée en urgence, à 30 semaines d’aménorrhée, devant la découverte d’anomalies du rythme cardiaque fœtal.
Cette fois, le cœur du fœtus bat tout à fait normalement. La jeune femme n’est pas en période de travail : elle n’a pas de contractions utérines. L’échographie montre un fœtus qui bouge et se présente par le siège. La quantité de liquide amniotique est normale. La patiente ne présente pas de saignement vaginal, ni d’hémorragie abdominale. Elle continue d’avoir mal malgré un traitement antalgique à la posologie maximale. La douleur remonte vers les épaules, faisant craindre une dissection aortique, c’est-à-dire une déchirure de la paroi de l’aorte. Cette pathologie vasculaire constitue une urgence chirurgicale majeure. Un angioscanner est effectué sans délai afin de visualiser le gros vaisseau. C’est alors que le radiologue pose un tout autre diagnostic. La patiente présente une rupture utérine, complication grave pour la mère et le fœtus.
Une césarienne est réalisée en urgence, qui confirme que la paroi du muscle utérin est rompue au niveau de la cicatrice de la césarienne antérieure sur une longueur d’environ 10 cm. Les images radiologiques montrent un fœtus se présentant par le siège, positionné de telle façon que son dos fait face à la paroi antérieure de l’utérus et que son abdomen se trouve en regard de la colonne vertébrale de sa mère.
Ce cas clinique est exceptionnel dans la mesure où le dos du fœtus va venir se plaquer contre la zone rompue du muscle utérin. Il se produit alors un effet de succion : le dos du bébé est aspiré par la brèche utérine qu’il va complètement colmater. Tout se passe donc comme si le dos du bébé faisait ventouse. En appuyant sur l’ouverture circulaire dans la paroi de l’utérus, le rachis lombaire fœtal évite que la poche des eaux sorte de l’utérus et finisse probablement par se rompre.
Le dos du bébé colmate la brèche
Le bébé a donc eu la vie sauve en collant son dos contre la zone de rupture. Ce faisant, il a aussi comprimé les artères du muscle utérin déchiré, ce qui a eu pour effet d’éviter que la mère fasse une hémorragie utérine.
Aspiré par la brèche utérine, le dos du fœtus a fait office de bouchon hermétique, d’autant que l’utérus s’est rétracté également autour de lui. Le dos du bébé a par ailleurs empêché que le cordon ombilical passe à travers la rupture utérine et provoque ce que les spécialistes appellent un prolapsus du cordon ombilical. Dans un tel cas, le cordon peut être comprimé avec pour conséquence un risque d’anomalie de croissance du fœtus, voire de décès in utero.
« Il s’agit d’un cas extraordinaire de rupture utérine où le bébé s’est sauvé lui-même ! L’aspiration complète du dos [du bébé] à travers la brèche a empêché une hémorragie, un prolapsus du cordon ombilical et une fuite de liquide amniotique, et par conséquent permis d’éviter des complications maternelles ou fœtales », soulignent le Dr Charles Garabedian et ses collègues dans leur article.
Ce cas clinique décrit une patiente avec un « utérus cicatriciel », expression signifiant que cet organe est porteur d’une cicatrice liée à une césarienne antérieure qui rend l’utérus plus fragile. Or l’utérus cicatriciel est un facteur de risque majeur de rupture utérine. Les auteurs indiquent qu’il n’y a pas de tableau clinique typique, ni de signes cliniques annonciateurs, d’une rupture utérine. De fait, les symptômes sont très variables : douleurs abdominales, saignement vaginal, diminution de l’intensité des contractions utérines, chute de la tension artérielle, hémorragie utérine, anomalies sévères et brutales du rythme cardiaque fœtal. Certains signes peuvent être absents du tableau clinique.
« Chez cette femme de 31 ans présentant une rupture utérine sur un utérus cicatriciel, l’accouchement s’est fait par césarienne en urgence. Le nouveau-né, un petit garçon, était en pleine forme, avec un poids à la naissance de 2520 grammes. Le score d’Apgar, qui évalue ses fonctions vitales à la naissance, était de 10/10. Le pH sur le sang artériel de cordon ombilical, témoin d’une asphyxie lorsqu’il est inférieur à 7, était normal, à 7,27. Le bébé n’a pas fait de complications à la naissance. Il présentait cependant une grosse bosse dans le dos du fait de l’importante aspiration de la région lombaire à travers la brèche utérine. Cette boursouflure, due à un œdème volumineux, s’est résorbée d’elle-même en quelques heures », précise le Dr Charles Garabedian, obstétricien à l’hôpital Jeanne de Flandre (CHRU de Lille).
Ce spécialiste précise que « cette observation montre que l’on doit penser au diagnostic de rupture utérine en cas de douleurs abdominales intenses même en dehors du travail, quand la patiente ne présente donc pas de contractions. A l’exception des douleurs abdominales importantes, ce cas n’était pas associé aux signes cliniques classiques de rupture utérine. Il n’y avait notamment ni saignement, ni anomalies du rythme cardiaque fœtal ». Avant de conclure : « Par-dessus tout, ce cas clinique montre qu’un fœtus est capable de se sauver en même temps qu’il peut sauver sa mère ».
Rupture utérine sur utérus cicatriciel
Une étude menée aux Pays-Bas indique que l’incidence de rupture utérine chez les femmes avec utérus cicatriciel est de 5,1 pour 10.000, alors qu’il est de 0,8 pour 10.000 en cas d’utérus non cicatriciel. Cette étude néerlandaise a déterminé un taux de mortalité de 5,9 % pour le fœtus en cas de rupture utérine.
La rupture utérine sur utérus cicatriciel est également associée à des complications maternelles sévères dans environ 15 % des cas, telles que la nécessité de réaliser une hystérectomie (ablation de l’utérus) ou la survenue de lésions viscérales associées. La rupture utérine entraîne le décès de la mère dans moins de 1 % des cas. En France, pour la période 2001–2003, le nombre de décès maternels en lien direct avec une rupture utérine était de 11 cas (4,4 % de mortalité maternelle d’origine obstétricale) et de 2 cas (0,9 % des décès maternels) pour la période 2004–2006.
yogaesoteric
4 novembre 2017
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