Un réseau franc-maçon derrière la tentative de meurtre d’une coach par des agents de la DGSE
L’enquête sur l’assassinat proposé d’un coach d’affaires a permis d’identifier le prétendu commanditaire. Selon des informations parues dans la presse, ce dernier est lié à un réseau maçonnique qui aurait causé le meurtre d’un pilote corse.
L’affaire qui était déjà rocambolesque, elle prend une tournure encore plus incroyable. Et inquiétante. L’enquête sur la tentative d’assassinat d’une coach en entreprise-hypnotiseuse dans laquelle plusieurs militaires de la DGSE sont impliqués a mis au jour l’existence d’une officine privée de tueurs à gages nichée au cœur d’une loge maçonnique de l’Ouest parisien.
Daniel B., un ancien policier des services de renseignement à la retraite, interpellé le 22 janvier puis mis en examen, a révélé au cours de sa garde à vue qu’il avait déjà été impliqué dans deux projets criminels, dont l’un a bel et bien abouti à un meurtre il y a deux ans. Vertigineux. Il a également mis les enquêteurs de la brigade criminelle de Paris sur la piste du commanditaire présumé du contrat contre la coach. Jean-Luc A.B., un rival de la cible dans ce milieu professionnel juteux, a été mis en examen mardi 2 février et écroué. Il avait été interpellé vendredi 29 janvier, ainsi que l’a révélé France Télévisions.
Tout débute le 24 juillet dernier au petit matin. Intrigué par la présence de deux hommes vêtus de noir et porteurs de gants, un habitant de Créteil (Val-de-Marne) alerte les forces de l’ordre. Dans le véhicule, les policiers découvrent un pistolet avec une cartouche chambrée et un système artisanal de silencieux à base d’emballage souple de compote. Les deux passagers, Pierre B. et Carl E., sont deux militaires affectés à la surveillance du centre parachutiste d’entraînement spécialisé (CPES) de Cercottes (Loiret), où sont formés les agents du service action de la DGSE. Lors de son transfert vers la brigade criminelle, Pierre B. annonce qu’il œuvre pour le service action de la DGSE. Sa mission : exécuter Marie-Hélène Dini, une cheffe d’entreprise spécialiste du coaching.
Un contrat, de nuit, sous un pont
Les enquêteurs de la Crim’ s’attachent alors à démêler les contours de cette ténébreuse affaire. L’armée dément toute implication. Au gré des auditions, les policiers identifient le recruteur des deux soldats, un certain Sébastien L. Interpellé, cet autodidacte spécialisé dans la protection rapprochée finit par admettre le projet d’assassinat. Il affirme dans un premier temps avoir été missionné par un homme « de type européen d’une quarantaine d’années […] à la gueule carrée » parlant avec « un léger accent d’Europe de l’Est » qui lui aurait soumis le contrat une nuit de mai 2020 sous un pont surplombant le périphérique parisien.
Réentendu en septembre dernier, il précise avoir été mis sur la piste de Marie-Hélène Dini en janvier 2020 par « un ancien agent des services de renseignement ». Sébastien L. reconnaît en tout cas avoir monté une équipe, notamment par l’intermédiaire de Yannick P., un policier de la DGSI en congé parental reconverti dans la sécurité sur Internet et formateur à la DGSE. Mais il se refuse à donner le nom de son commanditaire qu’il appelle « le vieux ».
C’est l’audition récente de la compagne de Sébastien L. qui va faire rebondir l’enquête. La jeune femme révèle qu’en 2016 son compagnon a été mis en relation avec Daniel B., un ancien policier de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, l’ancêtre de la DGSI) à la retraite depuis 2009. Et que c’est ce dernier, spécialiste en intelligence économique, qui lui aurait remis le contrat de Marie-Hélène Dini. Une somme de 50.000 euros est évoquée.
L’ancien commandant est interpellé le 22 janvier dernier. Et se met à table. Daniel B., qui se revendique franc-maçon, explique qu’il a effectivement recruté Sébastien L. pour s’en prendre à Marie-Hélène Dini, victime en octobre 2009 d’une première agression devant son domicile au cours de laquelle son ordinateur portable est dérobé. Très fortement suspecté d’y avoir participé, Sébastien L. le conteste. Mais ce premier avertissement n’ayant manifestement pas été jugé suffisant, il est alors question d’éliminer la quinquagénaire en simulant un accident. Daniel B. explique que, pour motiver son contact, il lui fait croire qu’il s’agit d’une mission d’Etat…
« Des dérives d’institutions censées être irréprochables »
Mais Daniel B. va plus loin encore et livre le nom de ses commanditaires présumés. Le contrat lui aurait été présenté par Frédéric V., qu’il présente comme un frère appartenant à la même loge que la sienne et ayant un fort ascendant sur lui. Cet ancien « vénérable » l’aurait introduit dans la confrérie. Il s’agit d’un homme à la tête d’une société de sécurité privée. Frédéric V. a été mis en examen le 29 janvier. Dans ce dossier où la chaîne de responsabilité s’étire, le nom du commanditaire principal finit par émerger. Il s’agirait de Jean-Luc A.B., un pro du coaching appartenant là encore à la même loge maçonnique au grade de « vénérable ». L’homme est alors placé en garde à vue.
Le nom de Jean-Luc A.B. n’est pas étranger à Marie-Hélène Dini. Dès sa deuxième audition, deux jours après la tentative d’assassinat à laquelle elle a échappé, elle avait livré son nom comme faisant partie des confrères qui auraient pu lui en vouloir. En 2019, elle avait créé un syndicat du coaching qui n’avait pas été du goût de tous ses concurrents, à commencer par Jean-Luc A.B. « [Il] me reprochait de lui faire de la concurrence déloyale en me disant que mes commerciaux avaient un discours qui dévaluait sa société et que si cela se savait dans le milieu cela pourrait être ennuyeux pour mon image, livrait-elle à l’époque. Il m’a dit qu’il était quelqu’un de conciliant, mais que s’il devait attaquer il attaquerait. » Sur le plan judiciaire, avait-elle imaginé.
« Cette affaire hallucinante mêle à peu près toutes les dérives d’institutions censées être irréprochables, réagit Me Joseph Cohen-Sabban, qui assure la défense de l’entrepreneuse au côté de Me Jean-William Vézinet. Elle révèle également une part très sombre de notre société. »
Un pilote de rallye corse assassiné
Déjà extravagante, l’histoire a pris une tournure encore plus folle avec les déclarations de Daniel B. L’ancien policier de la DCRI a assuré que son « frère » Frédéric V. n’en était pas à son premier contrat d’assassinat. Il y a deux ans, le pro de la sécurité privée aurait demandé à Sébastien L. d’éliminer un Corse connu dans le milieu du rallye, domicilié à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et criblé de dettes, en faisant passer cela pour une disparition. Ce pilote évoluait dans le Championnat de France GT II en Carrera Cup, et il a participé à l’édition 2008 des 24 heures du Mans. L’exécutant aurait envoyé, comme preuve du contrat honoré, une photo du cadavre enterré dans une forêt.
Selon nos informations, cette victime existe bel et bien. Après vérifications, les enquêteurs ont découvert qu’une procédure pour « disparition inquiétante » avait été ouverte par le parquet de Nanterre lorsque le pilote corse a cessé de donner signe de vie, avant d’être requalifiée en « homicide ». Le corps de la victime avait en effet été retrouvé en 2020, avant l’affaire Dini. Mais les enquêteurs en charge du dossier n’étaient pas parvenus à identifier le tueur et patinaient dans leurs investigations.
Contacté, l’avocat de Sébastien L. n’a souhaité s’exprimer. Les juges en charge de l’affaire Dini pourraient bientôt reprendre le dossier du pilote assassiné. Lors de ses auditions Daniel B., a évoqué un autre contrat d’assassinat visant « un syndicaliste » de l’Ain, mais ce projet n’aurait pas abouti.
« Nous sommes au bout de la chaîne dans cette affaire, estime une source proche de l’enquête. Pour de l’argent, des gros bras ont dévoyé une loge maçonnique pour commettre de basses œuvres dans une forme d’entraide mortifère. »