Un supersolide créé pour la première fois en laboratoire
Avec un gaz refroidi quasi au zéro absolu, des chercheurs ont créé un état de la matière étonnant, à la fois superfluide et solide, prédit il y a près de 50 ans.
Cette simulation numérique met en évidence des régions de surdensité et de sous-densité dans un condensat de Bose-Einstein. Le motif régulier indique que le condensat a une structure cristalline solide. En reproduisant ce système, il est possible de créer alors un supersolide présentant aussi des propriétés de superfluidité.
Nombre de phénomènes de la physique quantique semblent paradoxaux. Les supersolides en sont un exemple. Il s’agit d’un cristal solide qui présente dans certaines conditions les propriétés d’un superfluide, de sorte qu’une impureté qui le traverserait ne subirait aucune force de friction malgré la structure « rigide » du solide. Imaginés dans les années 1960, de tels supersolides peuvent-ils réellement exister ? Deux équipes, du MIT (l’institut de technologie du Massachusetts) et de l’école polytechnique fédérale de Zurich, ont réussi à en créer une forme à partir de condensats de Bose-Einstein.
Les condensats de Bose-Einstein sont des états de la matière dans lesquels les atomes se retrouvent tous dans le même état quantique et présentent alors des propriétés collectives particulières. Le phénomène a été prédit en 1925 par Albert Einstein à partir des travaux de Satyendranath Bose. Un des condensats de Bose-Einstein les plus connus est l’hélium-4, qui devient superfluide à une température inférieure à 2 kelvins : les frictions disparaissent et la viscosité du fluide devient nulle. D’autres types de condensats de Bose-Einstein sont obtenus à partir de gaz dilués d’atomes refroidis par des lasers. Wolfgang Ketterle a obtenu le prix Nobel de physique en 2001 pour ses travaux sur de tels systèmes. Il dirige l’équipe du MIT qui a réalisé un supersolide.
L’idée de supersolide a été proposée dès 1969 par les théoriciens russes Alexander Andreev et Ilya Liftshitz, David Thouless (prix Nobel de physique en 2016) et d’autres. Pour les réaliser expérimentalement, la première piste fut de partir de l’hélium-4. À basse température, son état quantique l’empêche de geler à moins d’appliquer une pression d’au moins 25 atmosphères. Les atomes s’ordonnent régulièrement et forment un réseau cristallin. Le solide est cependant très souple car le réseau contient de nombreux trous, ou lacunes. Or d’après les théoriciens, ces lacunes se déplacent de façon cohérente dans l’hélium-4 solide et sans frottement, comme dans un superfluide. On aurait ainsi un comportement de supersolide. Cependant, l’hélium-4 supersolide n’a jamais pu être mis en évidence en laboratoire malgré plusieurs annonces, qui n’ont pas résisté à des analyses méticuleuses.
Les condensats de Bose-Einstein de gaz d’atomes froids sont plus facilement contrôlables que l’hélium-4 superfluide, en particulier en utilisant des lasers. Un autre avantage est qu’ils se prêtent très bien aux observations. Wolfgang Ketterle et son équipe, ainsi que Tilman Esslinger et son groupe à Zurich, ont donc utilisé des gaz d’atomes refroidis pour produire des supersolides. La première équipe a utilisé des lasers pour créer des ondes dans un gaz d’atomes de sodium. Les atomes se répartissent alors en régions de surdensité et en régions de sous densité formant des stries régulièrement espacées.
L’équipe de Tilman Esslinger a utilisé une autre technique. Un gaz d’atomes de rubidium est placé entre deux cavités optiques encadrées par des miroirs formant un angle de 60°. À cela s’ajoute un faisceau de lumière unidirectionnel qui interagit avec les atomes. Ceux-ci s’organisent alors, mais la symétrie est perturbée par les cavités suivant des critères bien précis. C’est exactement ce que cherchaient à produire les physiciens car, d’un point de vue théorique, l’obtention d’un supersolide n’est possible qu’en brisant deux types de symétries du condensat de Bose-Einstein. L’expérience de Wolfgang Ketterle conduit également à des brisures de symétrie.
Ces deux expériences ont-elles vraiment obtenu des supersolides ? Toutes les caractéristiques théoriques sont réunies pour qualifier ces phases de supersolides. Mais pour certains chercheurs, le vrai défi serait de créer un supersolide avec de l’hélium-4, où les interactions interatomiques sont plus fortes et la structure cristalline régulière (l’espacement entre les atomes) n’est pas imposée par un élément externe (la longueur d’onde du laser). Dans l’hélium-4, les choses seraient plus « directes » tout en restant fondamentalement équivalentes. Mais comme le souligne Anatoly Kuklov, de l’université de Staten Island, ces deux résultats expérimentaux sont fantastiques et donnent déjà à voir un état de la matière étonnant où cohabitent des propriétés de superfluidité et de solide. Un monde bien étrange que celui de la physique quantique !
yogaesoteric
22 novembre 2017
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