Vivons-nous dans une simulation informatique ?

 

Des physiciens de renom et des philosophes se sont réunis pour tenter de savoir si nous sommes réels ou virtuels, et de ce que signifient ces deux possibilités. Compte-rendu.

Et si vous, moi et toutes les personnes qui habitent l’univers étions en fait les personnages d’un grand jeu vidéo sans le savoir ? L’idée que l’univers est une simulation rappelle bien sûr les films de la trilogie « Matrix », mais c’est aussi une hypothèse scientifique sérieuse. Des chercheurs ont réfléchi à la question lors du congrès annuel Isaac Asimov Memorial Debate, qui s’est tenu en avril 2016 au Muséum américain d’histoire naturelle, à New-York.

Neil deGrasse Tyson, modérateur du débat et directeur du planétarium du Muséum, estime à une chance sur deux la probabilité que notre existence ne soit en fait qu’un programme sur un disque dur. « Je pense que la probabilité est très élevée », explique-t-il. Pour étayer son propos, il pointe du doigt l’énorme écart entre l’intelligence humaine et celle des chimpanzés, bien que nous partagions plus de 98 % de notre ADN. Quelque part, il pourrait y avoir des êtres dont l’intelligence serait bien supérieure à la nôtre. « À côté d’eux, nous passerions pour de profonds imbéciles » souligne-t-il. « Et si c’est le cas, il m’est facile d’imaginer que toutes nos vies ont été créées par des entités supérieures pour leur divertissement. »

Un des arguments populaires en faveur de l’hypothèse de la simulation informatique a été avancé en 2003 par Nick Bostrum, philosophe à l’Université d’Oxford. Il a suggéré qu’une civilisation avancée et disposant d’une énorme puissance de calcul pourrait avoir décidé de faire revivre ses ancêtres par des simulations. Ils auraient probablement la capacité de lancer plusieurs de ces simulations, au point qu’une grande majorité des consciences qui existent seraient en fait des consciences artificielles au sein de ces simulations. Dès lors, de simples statistiques suggèrent qu’il est bien plus probable que nous fassions partie de ces consciences simulées.

Il existe d’autres raisons de penser que nous sommes virtuels. Par exemple, plus nous en apprenons sur l’univers, plus il semble basé sur des lois mathématiques. Ce n’est peut-être pas un fait, mais plutôt une fonctionnalité de l’univers dans lequel nous vivons. « Si j’étais un personnage de jeu vidéo, je finirais bien par découvrir que les règles qui régissent mon monde sont complètement rigides et mathématiques » explique Max Tegmark, cosmologiste à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT). « Ce n’est que le reflet du code informatique dans lequel il est écrit. »

Par ailleurs, des idées issues de la théorie de l’information ne cessent de faire leur apparition en physique. « Au cours de mes recherches sur les quarks, les électrons et la supersymétrie, j’ai découvert un phénomène très étrange », explique James Gates, physicien à l’Université du Maryland. « Je suis tombé sur des codes correcteurs d’erreurs – similaires à ceux qui permettent aux navigateurs web d’afficher correctement des informations. Pourquoi se sont-ils retrouvés dans mes équations ? Cela m’a amené à prendre conscience que je ne pouvais plus considérer des gens comme Max Tegmark comme simplement fous. »

Une once de scepticisme

Pourtant, tout le monde n’est pas d’accord avec ce raisonnement. « Si vous trouvez une solution d’ordre informatique à vos problèmes, c’est peut-être parce que c’est à la mode en ce moment », remarque Neil deGrasse Tyson. « Un peu comme si vous étiez un marteau : tous les problèmes prendraient l’apparence d’un clou. »

Selon Lisa Randall, physicienne à l’Université Harvard, l’argument statistique qui suggère que, dans le futur, la plupart des consciences seront plutôt artificielles que biologiques n’est pas non plus un fait. « Cet argument n’est basé sur aucune probabilité bien définie. Il prétend que quelqu’un aimerait nous simuler. J’ai un problème avec ça. Nous sommes principalement intéressés par nous-même. Je ne vois pas pourquoi cette espèce plus avancée voudrait nous simuler. » Lisa Randall a admis qu’elle ne comprenait pas pourquoi d’autres scientifiques trouvaient stimulante l’idée que l’univers est une simulation. « En fait, je suis très curieuse de comprendre pourquoi tant de personne trouvent cette question intéressante. » Pour elle, les chances que cette idée s’avère vraie sont « nulles ».

De telles hypothèses existentielles sont souvent impossibles à tester, mais certains chercheurs pensent pouvoir prouver expérimentalement que nous vivons dans une sorte de grand jeu vidéo. Une de leurs idées repose sur le fait que les programmeurs auraient pu utiliser des astuces pour rendre la simulation plus facile. Selon Zohreh Davoudi, physicien au MIT : « si cette simulation de l’univers dépend de ressources informatiques limitées, comme c’est le cas pour nos simulations, les lois de physiques doivent s’étendre sur un ensemble fini de points dans un volume fini. Dans ce cas, nous pourrions remonter en arrière pour regarder si on trouve un indice qui trahirait que tout a commencé dans un espace-temps discret ». Cette preuve pourrait prendre la forme, par exemple, d’une distribution anormale de l’énergie des rayons cosmiques qui frappent la Terre et qui suggèrerait que l’espace-temps n’est pas continu, mais formé de points discrets. « C’est le genre de preuve qui me convaincrait en tant que physicien », explique James Gates. Cependant, prouver le contraire – c’est-à-dire que l’univers est bien réel – serait plus dur. Pour David Chalmers, professeur de philosophie à l’Université de New York, « on ne peut pas prouver que nous ne sommes pas dans une simulation, parce que n’importe quelle preuve pourrait elle-même être simulée. »

La vie, l’univers et tout le reste

Et s’il s’avérait que nous vivions vraiment dans un monde similaire à celui de « Matrix », serait-ce si grave ? « Peut-être sommes-nous dans une simulation, peut-être pas. Si c’est le cas, ce n’est pas si mal, » remarque David Chalmers. « Nous devrions sortir et faire des choses intéressantes », propose Max Tegmark, « afin que les responsables de la simulation ne décident pas de tout éteindre. »

Mais certains participants au débat font remarquer que la possibilité que nous visions dans une simulation soulève un questionnement d’ordre spirituel. Pour James Gates, « si l’hypothèse de la simulation est vraie, elle ouvre la voie vers la vie éternelle, la résurrection et toutes ces notions déjà traitées par la religion. La raison est simple : si nous sommes de simples programmes dans un ordinateur, tant que la machine fonctionne, nous pouvons toujours être relancés. »

Et si quelqu’un, quelque part, avait créé cette simulation, cette entité serait-elle Dieu ? David Chalmers explique que « dans cet univers, nous pouvons nous même créer des mondes simulés et il n’y a rien d’effrayant à cela. Notre créateur n’est pas particulièrement effrayant, c’est juste un jeune hacker dans l’autre univers. » En inversant les rôles, c’est nous qui serions des dieux pour nos propres créations virtuelles. Or, « nous ne nous considérons pas comme des divinités lorsque nous programmons le personnage de Mario, même si nous avons le pouvoir de décider à quelle hauteur il peut sauter », explique Neil deGrasse Tyson. « Il n’y a aucune raison de penser que ces entités sont toutes-puissantes juste parce qu’elles contrôlent tout ce que nous faisons. » Mais un univers simulé soulève une autre possibilité plutôt dérangeante : « Que se passerait-il si le programme rencontrait un bug ? »

 

yogaesoteric
22 avril 2020

 

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