1944, la Norvège se debarrasse des enfants de Boche ?
En norvégien, on les appelle les tyskeungar, les enfants d’Allemands. Ils sont nés de l’union d’un soldat allemand et d’une Norvégienne durant l’occupation de ce pays scandinave pendant la seconde guerre mondiale. La plus célèbre d’entre eux s’appelle Frida Lyndstad, l’une des anciennes chanteuses du groupe de pop suédois Abba. Sa mère s’est suicidée à 19 ans, à la fin de la guerre, après que son père, un soldat de la Wehrmacht, fut reparti vers sa famille légitime en Allemagne.
Ces « enfants de la guerre » norvégiens seraient de 10.000 à 12.000
Paul Hansen est né le 7 avril 1942. De son père, un soldat de la Luftwaffe, il ne possède qu’un portrait, une simple photocopie. Il sait seulement qu’il est mort en 1952, et qu’il portait le même prénom que lui. Sa mère, Asta, l’a abandonné à la naissance dans un Lebensborn, l’une de ces maternités nazies créées par Himmler dès 1935 en Allemagne pour recueillir le sang « de bonne race », et étendues à certains pays occupés pendant la guerre.
Paul Hansen a passé les premières années de sa vie dans un Lebensborn norvégien, entouré et choyé. Le privilège du sang. Mais à la libération du pays en 1945, sa vie va se transformer en calvaire. De façon totalement arbitraire, il sera placé dans différentes institutions psychiatriques et n’en sortira qu’à l’âge de 22 ans, traumatisé pour la vie. « J’ai vécu dans ces centres avec des personnes malades alors que j’étais normal, explique cet homme qui semble se réfugier derrière un mur invisible. Tout cela, c’était à cause de la haine des Allemands. »
Tove Laila Strand
Son père à elle est mort après avoir sauté sur une mine en Russie, peu de temps après sa naissance, en 1941. Une tante lui a raconté comment sa mère, alors qu’elle avait à peine un an, l’avait brûlée avec un fer à repasser. Tove Laila est ensuite abandonnée dans un Lebensborn qui l’envoie, peu après, chez ses grands-parents paternels, en Allemagne.
En 1947, la petite fille est rapatriée en Norvège, rendue à cette mère qui ne voulait pas d’elle et qui s’est mariée avec un Norvégien. Une mère à qui la présence de Tove Laila rappelle, jour après jour, tout le poids de sa honte. « J’ai compris dès le premier jour que je n’aurais pas dû naître, explique-t-elle. On me traitait de sale boche, d’enfant de boche. J’étais appelée ainsi par ma propre mère. » Elle est battue, violée par son beau-père, et finira par fuir à l’âge de 15 ans. Durant toute sa vie, Tove Laila essaiera en vain de réparer le lien brisé avec sa mère. « Peu de temps avant sa mort, elle m’a téléphoné et m’a dit : “ Le jour où je meurs, je ne veux pas de fleurs de ta part sur ma tombe ”. Lorsqu’elle est morte, j’ai pris sa main dans le cercueil. Là, elle ne pouvait plus me battre. Ça a l’air macabre, mais c’était pour lui donner la paix que j’avais besoin de la voir et de la toucher. »
Harriet von Nickel a tant souffert, elle aussi, qu’elle a écrit un livre pour raconter son histoire. Parfois, son père adoptif l’attachait avec une laisse. Quand elle avait 9 ou 10 ans, on lui a gravé avec les ongles une croix gammée sur le front.
Karl Otto Zinken a été placé dans une école spéciale pour déficients mentaux où il a été violé par deux hommes.
Tous les enfants d’Allemands de Norvège n’ont pas connu pareil traitement. Mais le cas norvégien reste unique. Dans tous les pays européens qui avaient subi l’occupation nazie, les femmes coupables de « collaboration horizontale » ont été soumises à la vindicte populaire, avec les fameuses scènes de tonte publique. Toutefois aucun autre pays ne s’en est pris, comme la Norvège, de façon systématique aux enfants nés de ces liaisons que la morale patriotique condamnait. S’ils ont été montrés du doigt en tant que groupe « à risque », c’est beaucoup dû à la stigmatisation dont ils ont fait l’objet de la part des autorités elles-mêmes.
Cette politique officielle s’appuyait sur les conclusions d’un rapport pseudo psychiatrique établi par un professeur de l’époque : « A partir d’expériences avec quelques femmes d’Allemands, qui avaient été patientes dans son hôpital pendant la guerre, ce psychiatre fumiste a étendu ses conclusions à toute la population concernée. Selon ses calculs, environ la moitié des mères d’enfants de la guerre étaient des attardées mentales », explique l’historien Kare Olsen. De plus, il a estimé que les soldats allemands qui s’étaient contentés de soit-disant femmes débiles devaient eux-mêmes avoir un problème. Sur la base de ses connaissances sur l’hérédité, il en a conclu que plusieurs milliers de ces enfants de la guerre norvégiens devaient être mentalement attardés ! Et que cela constituait un grave problème pour les autorités norvégiennes, qui devaient réagir.
C’est la raison pour laquelle quelques centaines de ces enfants maltraités tentent, depuis des années, d’obtenir réparation de l’Etat norvégien. Ils sont sortis de l’anonymat tardivement, à mesure que leurs parents vieillissaient, risquant d’emporter leur secret dans la tombe, à mesure aussi que leurs propres enfants commençaient à poser des questions et que le besoin de savoir grandissait. A présent, ils portent plainte devant les Tribunaux internationaux et norvégiens invoquent la prescription.
Depuis que l’affaire des enfants d’Allemands occupe la scène médiatique en Norvège, de nombreuses études ont été faites sur eux. L’une d’entre elles, publiée en 2005, indique que ces personnes, âgées aujourd’hui de 60 à 65 ans, ont connu des conditions de vie nettement plus mauvaises que leurs contemporains. Les chercheurs ont constaté que ce groupe présentait une mortalité plus importante, davantage de problèmes de santé, un niveau de formation plus bas, des revenus en dessous de la moyenne norvégienne, plus de chômage et un taux de divorce bien plus élevé, surtout parmi les filles d’Allemands.
Mais la Norvège ne semble avoir compris rien de ce triste episode. A travers de Barnevernet, les pratiques pleines d’horreurs continuent, à autre echelle, même a présent.
yogaesoteric
6 novembre 2017
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