3. Méditer comme un coquelicot rouge
Selon Jean-Yves Leloup, „Écrits sur l’hésychasme”
C’est ainsi que le jeune homme apprit à fleurir . . . La méditation, c’est d’abord une assise et c’était ce que lui avait enseigné la montagne. La méditation, c’est aussi une ” orientation ” et c’est ce que lui enseignait maintenant le coquelicot : se tourner vers le soleil, se tourner du plus profond de soi-même vers la lumière. En faire l’aspiration de tout son sang, de toute sa sève transmutée en énergie.
Cette orientation vers le beau, vers la lumière le faisait quelquefois rougir comme un coquelicot. Comme si ” la belle lumière ” était celle d’un regard qui lui souriait et attendait de lui quelque parfum . . .Il apprit également auprès du coquelicot que pour bien demeurer dans son orientation, la fleur devait avoir ” la tige droite ” et il commença à redresser sa colonne vertébrale.
Cela lui posait quelques difficultés, parce qu’il avait lu dans certains textes de la philocalie que le moine devait être légèrement courbé. Quelquefois même avec douleur. Le regard tourné vers le coeur et les entrailles.
Il demanda quelques explications au père Séraphin. Les yeux du staretz le regardèrent avec malice : ” Ca, c’était pour les costauds d’autrefois. Ils étaient pleins d’énergie, et il fallait un peu les rappeler à l’humilité de leur condition humaine, qu’ils se courbent un peu le temps de la méditation cela ne leur faisait pas de mal . . . Mais toi, tu as plutôt besoin d’énergie, alors, au moment de la méditation, redresses-toi, sois vigilant, tiens-toi droit vers la lumière de Dieu, mais sois sans orgueil . . .d’ailleurs si tu observes bien le coquelicot, il t’enseignera non seulement la droiture de la tige, mais aussi une certaine souplesse sous les inspirations du vent et puis aussi une grande humilité . . . . ”
En effet, l’enseignement du coquelicot était aussi dans sa fugacité, sa fragilité. Il fallait apprendre à fleurir, mais aussi à faner. Le jeune homme comprenait mieux les paroles du prophète :
” Toute chair est pour Dieu comme l’herbe, et sa délicatesse est celle de la fleur des champs. L’herbe sèche, la fleur se fane lorsque le vent de Dieu les traverse ; mais au-delà de tout, le mot de Dieu demeure pour toujours… Les nations sont pour Dieu comme une goutte de rosée au bord d’un seau, comme la poussière fine sur une balance . . . . Les Juges de la terre à peine sont-ils plantés, à peine leur tige a-t-elle pris racine en terre . . . alors ils se dessèchent et la tempête de Dieu les emporte comme un fétu “. (cf. Isaïe 40-7, 8, 15, 23, 24).
La montagne lui avait donné le sens de l’Éternité, le coquelicot lui enseignait la fragilité du temps : méditer, c’est connaître l’Éternel dans la fugacité de l’instant, un instant droit, bien orienté. C’est fleurir le temps qu’il nous est donné de fleurir, aimer le temps qu’il nous est donné d’aimer, gratuitement, sans pourquoi, car qu’est-ce que nous pourrons recevoir d’autres à part ce que Dieu nous offre, et de la part de qui ? Pour quoi les coquelicots fleurissent-ils? Et pour qui ?
Il apprenait ainsi à méditer ” sans but, ni profit “, pour le plaisir d’être, et d’aimer la lumière éternelle de Dieu. ” L’amour est à lui-même sa propre récompense “, disait saint Bernard. ” La rose fleurit parce qu’elle fleurit sans pourquoi “, disait encore Angelus Silesius.
” C’est la montagne qui fleurit dans le coquelicot, pensait le jeune homme. C’est tout l’univers qui médite en moi. Puisse-t-il rougir de joie l’instant privilégié que dure ma vie. ” Cette pensée était sans doute de trop. Le père Séraphin commença à secouer notre philosophe et de nouveau le prit par le bras.
Il l’entraîna par un chemin abrupt jusqu’au bord de la mer, dans une petite crique déserte. ” Arrête de ruminer comme une vache le bon sens des coquelicots. . . Aies aussi le coeur marin. Apprends à méditer comme l’océan “.
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