L’arbre qui résiste au nickel

On connaissait le bleuet du Québec (sorte de grosse myrtille), l’orange bleue de Tintin ou l’hortensia aux pétales bleus… Désormais, il y a « l’arbre à sève bleue » : Pycnandra acuminata. « Il s’agit d’un arbre pouvant atteindre dix mètres de haut, de la famille des sapotacées, endémique de la Nouvelle-Calédonie, explique Laurent L’Huillier, écophysiologiste à l’Institut agronomique néocalédonien (IAC) à Nouméa. Symbole d’une biodiversité extraordinaire, il fait partie de la quarantaine de plantes capables de vivre sur des terrains dits “ ultramafiques ”, c’est-à-dire très riches en métaux ferro-magnésiens, des substances toxiques auxquelles aucune plante ordinaire ne survit », poursuit le biologiste.

 
Il faut dire que l’archipel à lui seul, mangroves, forêts, savanes et terrains miniers rassemblés, est « l’un des premiers “ points chauds ” (d’une richesse exceptionnelle) de la biodiversité mondiale sur 34 reconnus en 2009, ajoute Bruno Fogliani, bio-écologiste végétal à l’université de Nouvelle-Calédonie. Il est riche de 3.300 espèces de végétaux vasculaires (fougères, plantes à fleurs et à graines) avec un taux d’endémisme de 75 %, soit le 4e au monde après celui d’Hawaï, de Madagascar et de la Nouvelle-Zélande », poursuit le chercheur. Et ce, malgré son sol et sous-sol riches en métaux lourds et pauvres en éléments nutritifs essentiels comme l’azote, le phosphore ou le potassium.
 
« La géologie de la Nouvelle- Calédonie est tout à fait exceptionnelle, rappelle Bernard Robineau, géologue, directeur du Centre national de recherche et technologie sur le nickel (CNRT) de Nouvelle-Calédonie. Datant de 80 millions d’années, le “ Caillou ” est une roche magmatique, morceau de plancher océanique rehaussé à la surface de l’océan par les forces tectoniques puis altéré par l’érosion, aboutissant ainsi à un enrichissement en nickel, fer, chrome et cobalt », explique-t-il. « Sur ce substrat, les plantes à fleurs ont, elles, évolué depuis 37 millions d’années », renchérit Laurent L’Huillier. Si bien que finalement, « la présence de nickel est une des explications majeures de l’exceptionnelle biodiversité de la Nouvelle-Calédonie sur les maquis miniers », complète Bruno Folgiani.

Pycnandra est donc un arbre « hyperaccumulateur » dont la sève contient jusqu’à 20 % de nickel sous forme de citrate de nickel, une forme non toxique, soit deux mille fois plus que dans une plante ordinaire. « Une spécificité qui lui servirait à résister aux animaux phytophages (insectes) », explique Laurent L’Huillier. De l’extérieur, rien ne laisse paraître qu’il est très adapté à ce milieu nickelifère. Mais si on sectionne une de ses branches ou on entaille son tronc, le latex qui s’en écoule est d’une couleur bleu vert qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la couleur du minerai de nickel lui-même. Récemment découverte, cette adaptation est étudiée par les chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), tant au niveau physiologique qu’à l’échelle des gènes. Avec l’idée, qu’un jour, on puisse transférer son mécanisme de détoxification à d’autres plantes ou bien même récupérer le nickel à partir du latex.

Cette tolérance à un sol très riche en nickel passerait par des champignons microscopiques, des mycorhizes qui, fixés sur leurs racines, joueraient le rôle de transformateur vis-à-vis du nickel contenu dans le sol. De même, les bactéries y seraient pour quelque chose. À noter qu’à côté des plantes qui accumulent le nickel en la stockant dans ses vaisseaux de sève (elle ne s’en nourrit pas), d’autres au contraire l’empêchent complètement d’entrer. Une fois de plus, pour une même contrainte, des plantes ont « inventé » des solutions différentes. Bien qu’invisible pour le commun des mortels, c’est aussi cela l’effet de la biodiversité.

yogaesoteric

7 mai 2019

 

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