Conférence de la Yalta, 4-11 février 1945 (2)

 

Lisez la première partie de cet article

 

A3) Les suites de Yalta

25 avril/26 juin 1945. Conférence de San Francisco regroupant 51 États, à la suite de Yalta : création de l’Organisation des Nations unies (ONU).

B) Ils croyaient la paix durable… loin du « partage du monde » (L’Humanité)

Contrairement à une idée convenue, la conférence de Yalta n’a pas été l’occasion d’un partage du monde entre les trois protagonistes : Churchill, Roosevelt et Staline. Du 4 au 11 février 1945, le souci fut plutôt le maintien de la paix et de la «  grande alliance  » entre les trois pays. Yalta, un mythe : celui d’un «  partage du monde  » qu’auraient réalisé entre eux les chefs de la coalition antinazie, Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt et Joseph Staline, en février 1945. Et une seule des entreprises mises en œuvre, à l’époque, par ces trois «  Grands  », comme on disait alors : l’Organisation des Nations unies (ONU), son Conseil de sécurité et ses cinq membres permanents, dotés chacun d’un droit de veto.

Tout le reste, tout ce dont il avait été question dans le palais de Livadia, l’ancienne résidence du tsar Nicolas II, tout en marbre de Carrare blanc et en granite de Crimée, avec son grand jardin à la française, a sombré dans les fosses de l’Histoire. Mais le mythe a la peau dure, au point que Yalta est aujourd’hui un nom commun autant qu’un lieu commun. On parle d’un Yalta de ceci, d’un Yalta de cela dès qu’on parle de partage.

Et on tient pour acquis que les divisions du monde, surtout celles de l’Europe, jusqu’aux années 1980, ont résulté d’une «  entente  » ou, plutôt, d’une escroquerie dont les Occidentaux auraient été victimes de la part des Soviets. Tout cela sur fond d’un révisionnisme inquiétant dont on est près de toucher le fond, ces derniers jours, avec les déclarations insensées du premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, sur «  l’invasion  » de l’Allemagne et de l’Ukraine par l’Armée rouge ou celle du ministre polonais des Affaires étrangères, Grzegorz Schetyna, selon qui ce sont les Ukrainiens et non les Russes qui ont libéré le camp d’Auschwitz  ! Ce serait parfaitement ridicule, suprêmement idiot, si on ne réhabilitait pas les nazis dans les pays Baltes et en Ukraine ; si l’Otan et les Américains n’entreprenaient pas de réinstaller autour de la Russie un «  cordon sanitaire  » du même genre que celui que Paris et Londres avaient tissé avant la Seconde Guerre mondiale, la provoquant, peut-être pas tout à fait, mais la facilitant pour sûr.

Roosevelt et Staline voulaient croire à la solidité de leur coalition

De quoi s’était-il agi entre les 4 et 11 février 1945 à Yalta ? Principalement de l’après-guerre. De la paix. Du maintien de la «  grande alliance  » entre les trois pays qui allaient remporter la victoire. D’empêcher «  à tout jamais  » qu’une barbarie pareille à celle dont l’Allemagne nazie avait fait preuve ne se reproduise où que ce soit. De garantir la sécurité de tous et en premier lieu celle de l’Union soviétique dont les peuples avaient payé le plus lourd tribut : plus de 22 millions de morts et une terre brûlée d’ouest en est jusqu’à Moscou.

Il n’y avait rien à partager. Il convenait de prendre acte des réalités militaires. Celles-ci étaient claires : les tanks soviétiques étaient à moins de 100 kilomètres de Berlin ; ceux des Alliés à 500 km. L’Armée rouge campait à Bucarest, Sofia, Varsovie ; elle s’était jointe aux partisans de Tito pour libérer Belgrade ; elle assiégeait Budapest. Et puisque l’on s’était déjà entendu là-dessus, l’Allemagne serait partagée en quatre zones d’occupation, l’est du pays revenant tout entier aux Soviétiques.

Certes, beaucoup de méfiance demeurait, surtout entre Staline et Churchill. Le second s’accrochait désespérément à la Pologne et à son gouvernement provisoire en exil à Londres. Question vitale pour le premier qui ne voulait plus d’un État fantoche de l’Ouest à sa frontière et exigeait la reconnaissance du gouvernement de gauche, à dominante communiste, qu’on appelait «  gouvernement de Lublin  » du nom de la première grande ville libérée de Pologne où il s’était, d’abord, installé.

Sauf Churchill, viscéralement anticommuniste, Roosevelt et Staline voulaient croire à la solidité de leur coalition. Le président américain promit aux Soviétiques une aide financière pour la reconstruction. Et Staline, dans un dernier toast, le soir du 11 février, fut d’avis que «  les difficultés commenceront après la guerre, lorsque des divergences d’intérêts risqueront de diviser les Alliés. Mais, dit-il, j’ai confiance que l’alliance actuelle résistera à cette épreuve…  » Le 23 avril, deux mois et quelques jours après la fin de la conférence, Truman remplaçait Roosevelt décédé à la Maison-Blanche et jurait d’«  effacer Yalta  ».

La déclaration finale de Yalta (extraits)

«  L’Allemagne nazie est condamnée à sa perte (…) Nous sommes inflexiblement résolus à anéantir le militarisme et le nazisme allemands et à faire en sorte que l’Allemagne ne puisse plus jamais troubler la paix mondiale (…) Il n’est pas dans notre intention d’anéantir le peuple allemand, mais les Allemands ne pourront espérer une existence convenable et une place dans le Conseil des nations unies qu’après l’extirpation du national-socialisme et du militarisme (…). » Le texte se concluait sur la «  résolution commune  » des Trois de «  maintenir et de renforcer dans la paix à venir l’unité de buts et d’action qui a rendu possible et certaine la victoire (…), obligation sacrée que nos gouvernements ont contractée vis-à-vis de nos peuples et du monde entier  ».

C) Février 1945, la conférence de Yalta : peur de la révolution et partage du monde (Lutte Ouvrière)

Il y a 73 ans, du 4 au 11 février 1945, le président américain Roosevelt, le Premier ministre britannique Winston Churchill et le dirigeant de l’URSS Staline se réunissaient à Yalta, en Crimée, alors que la fin de la guerre était proche, pour décider du sort de l’Europe. Ce ne fut qu’une des conférences qui jalonnèrent la guerre, après celle de Téhéran en novembre 1943, et avant celle de Potsdam en juillet 1945, sans compter les multiples rencontres bilatérales, ou tripartites, entre chefs d’État ou ministres. Mais Yalta allait rester le symbole d’un accord de partage du monde.

L’entente entre ces Alliés contre l’Allemagne était une collaboration non seulement pour gagner la guerre, mais aussi pour s’opposer à tout mouvement révolutionnaire. Ils n’avaient pas oublié que de la Première Guerre mondiale était sortie une révolution qui, partie de la Russie en 1917, avait ébranlé le monde.

Alliés… contre le danger d’explosion révolutionnaire

Les représentants de l’impérialisme, en la personne de Roosevelt et de Churchill, se méfiaient de Staline. Il était certes un dictateur, ce qui ne pouvait que les rassurer, à la tête d’un État gangrené par la bureaucratie dont il était le représentant. Mais cet État était issu d’une révolution ouvrière, celle d’octobre 1917. Et si les travailleurs russes n’avaient plus le pouvoir politique en URSS, l’économie, elle, restait collectivisée. De ce fait, les représentants américains et anglais de l’impérialisme n’auraient pas vu d’un mauvais œil que l’URSS soit vaincue par Hitler. Mais il n’en fut pas ainsi.

Roosevelt et Churchill durent donc collaborer avec un allié dont la fidélité ne leur paraissait pas assurée. En réalité, Staline était tout autant qu’eux décidé à éviter l’explosion d’une révolution en Europe. Celle-ci aurait pu secouer la classe ouvrière soviétique, lui donner l’envie et la force de renverser le régime bureaucratique de Staline. Mais celui-ci n’en dut pas moins prouver aux Alliés impérialistes sa volonté de maintenir l’ordre établi.

La crainte d’une révolution engendrée par la guerre, la misère et l’instabilité, conséquence de la destruction des appareils d’État, n’était pas seulement fondée sur le souvenir des révolutions passées, mais sur les événements révolutionnaires qui agitaient alors l’Italie et la Grèce.

Italie, Grèce, Allemagne, la peur de révoltes ouvrières

En Italie, dès le début du mois de mars 1943, en plein conflit mondial, et alors que Mussolini était au pouvoir depuis vingt et un ans, une grève contre la vie chère, partie de l’usine Fiat de Turin, s’étendit aux autres villes industrielles, du nord jusqu’au sud du pays. Au total, 300.000 ouvriers firent grève contre les bas salaires, mais aussi et surtout parce qu’ils en avaient assez de la guerre et de la dictature. Cette vague de grèves allait contribuer à l’écroulement du régime de Mussolini, et réveiller l’espoir des opprimés.

Cette agitation, dans laquelle la classe ouvrière joua un rôle prépondérant, continua après le débarquement des troupes anglo-américaines en juillet 1943, après l’arrestation de Mussolini et la mise en place d’un nouveau régime qui ressemblait beaucoup à l’ancien.

Un an plus tard, en mars 1944, toute l’Italie du Nord connut de nouveau une vague de grèves qui toucha 1.200.000 travailleurs. Mais le dirigeant du Parti communiste italien, Togliatti, de retour d’URSS, assura les Alliés anglo-américains qu’ils n’avaient rien à craindre. Il déclara que le PCI, loin d’envisager une révolution, apportait son appui à « un gouvernement fort, capable d’organiser l’effort de guerre », et dans lequel il y avait, selon lui, « place pour tous ceux qui veulent se battre pour la liberté de l’Italie ».

Cela incluait entre autres le roi, compromis jusqu’à la moelle avec le fascisme. Le 22 avril 1944, se constitua un gouvernement d’union nationale reconnaissant l’autorité du roi, avec Togliatti comme vice-président ! Cette politique d’alliance dans des Fronts de résistance, allant des PC à des partis d’extrême droite et à des forces politiques qui s’étaient déjà compromises au pouvoir, fut appliquée partout.

En Grèce, comme en Italie, la population se révoltait contre la guerre et la misère. Mais le Parti communiste, qui avait organisé la résistance à l’occupation allemande, accepta de négocier avec les représentants de la dictature honnie de Metaxas et le roi, qui tous avaient fui en exil à Londres, et fit passer ses milices sous le commandement militaire anglais. Le 12 octobre 1944, les troupes allemandes évacuaient Athènes, et trois jours plus tard, les troupes britanniques y faisaient leur entrée. Début décembre, à l’occasion d’une manifestation à Athènes, Churchill donna pour consignes au commandement britannique de ne pas hésiter « à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se développe une rébellion locale ». Le commandement britannique imposa la loi martiale et continua jusqu’au 5 janvier 1945 à réprimer la population qui se révoltait contre le retour de ces politiciens haïs.

Au travers des événements en Italie et en Grèce, les Alliés purent vérifier la loyauté de Staline et son soutien total à la mise au pas de la population. Mais le danger révolutionnaire n’était pas écarté pour autant. Plus encore que la Grèce et l’Italie, c’était la possibilité que les classes ouvrières allemande et japonaise réagissent qui inquiétait les dirigeants américains et anglais, et aussi Staline. Leur politique, initiée par les gouvernements américain et anglais dès 1941, fut de terroriser la population ouvrière, de la disperser, par des bombardements massifs et systématiques des grandes villes, comme ceux qui, à Dresde, rasèrent littéralement la ville, du 13 au 15 février 1945.

La même terreur fut appliquée contre la population au Japon. En 1945, cent villes furent bombardées et 8 à 10 millions de leurs habitants durent les fuir, avant même les bombes atomiques que les États-Unis allaient larguer sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945.

Le partage de l’Europe

La conférence de Yalta se tint trois mois avant la fin de la guerre, mais les futurs vainqueurs discutaient depuis déjà longtemps des zones d’influence qui leur reviendraient. Ces marchandages, se basant sur les rapports de force militaires existant sur le terrain, n’étaient alors pas favorables aux Occidentaux. L’armée soviétique, qui avançait à grands pas en Europe de l’Est, n’était déjà qu’à une centaine de kilomètres de Berlin.

C’est dans ce contexte que se discuta le sort qui serait fait à l’Allemagne, une fois celle-ci définitivement vaincue. Roosevelt, Churchill et Staline tombèrent vite d’accord pour imposer le démantèlement du pays. L’Allemagne fut divisée en trois zones d’occupation, anglaise au nord-ouest du pays, américaine au sud-ouest, soviétique à l’est, auxquelles s’ajouta une zone d’occupation française prélevée sur les zones occidentales. La capitale, Berlin, fut elle aussi divisée en quatre zones. C’est en fait toute l’Europe qui allait être divisée en une zone contrôlée par l’URSS à l’est, et une autre à l’ouest contrôlée principalement par les États-Unis.

Une fois le danger de révolution écarté avec certitude, l’entente entre les représentants de l’impérialisme et de la bureaucratie allait vite voler en éclats pour faire place à la guerre froide – froide seulement parce qu’elle ne dégénéra pas en guerre mondiale – opposant l’impérialisme américain à l’URSS.

L’alliance militaire entre les États impérialistes et l’URSS stalinienne pour vaincre les puissances de l’Axe se doubla ainsi d’un accord politique pour empêcher, à la fin de la guerre, toute révolution ouvrière qui aurait pu renverser le système capitaliste. La fin de la boucherie impérialiste ne fut pas celle du système économique qui l’avait engendrée. 73 ans après, l’humanité entière paye très cher cette survie d’un ordre social qui ne cesse d’engendrer crises, guerres et massacres.

 

yogaesoteric
27 juillet 2018

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